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Presse féminine : un paradoxe voué à ne jamais se régler ?

Pourquoi la presse féminine, lancée pour émanciper les femmes, est t-elle aujourd’hui accusée de les asservir ? Émilie Laystary a une théorie à vous proposer.

L’autre soir, j’étais chez une copine, pour une de ces fameuses sauteries-entre-jeunes-actifs-qui-veulent-bien-s’enivrer-en-semaine-mais-tiennent-à-rentrer-par-le-dernier-métro-tout-de-même (autrement appelées « apéros dinatoires »).

Les copains n’étaient pas encore arrivés et on s’affairait encore autour de tomates cerise et pains surprises Monoprix, quand soudain je surpris mon hôte en train de ré-arranger la dizaine de magazines présents sous sa table basse. But deviné de la manoeuvre : ostensiblement disposer la presse d’actualité en haut de la pile, au détriment de la presse féminine, reléguée au bas de la pile. Pour vous donner un ordre de grandeur : Courrier International s’est retrouvé en haut, Biba en bas, les Inrocks pris en sandwich au milieu.

« Ouvre-moi le cagibi, j'ai quelques magazines à y ranger »

« Ouvre-moi le cagibi, j'ai quelques magazines à y ranger »

La table basse, miroir de nos consommations culturelles, éternel avatar de ce que le maître de maison veut donner à voir de lui-même, est donc une construction physique (les magazines y sont déposés, faussement en vrac) et mentale (l’hôte compte plus sur l’étalage de ses lectures que la propreté de l’appartement*) mais aussi une béquille pour socialiser (« tiens, toi aussi tu lis Le Canard Enchaîné ? »)

*car où est l’intérêt d’avoir l’air une fée du logis qui s’abreuve des histoires citadines de Elle quand on peut paraître plus désordonné mais avoir les idées claires d’un classieux Monde Diplo ?

Que mon amie ait préféré mettre en avant son goût pour les questions géopolitiques au détriment de son intérêt « moins glorieux » pour la presse féminine n’est pas tant la question. Que l’on soit si nombreuses à se sentir obligées de justifier cette consommation est bien plus symptomatique…

  • de la frivolité affichée par cette littérature
  • de la difficulté à aujourd’hui se dire aussi « intelligente et concernée » que « coquette et curieuse »
  • de l’échec de la presse féminine dans sa mission première de vecteur d’émancipation des femmes (nous reviendrons sur ce point un peu plus bas)

Car en effet, quelles sont les excuses les plus souvent avancées pour justifier la présence d’un Cosmo dans le sac à main ou d’un Elle sur la table ?

« Ah non, je me fiche de Vanessa Paradis. Ce qui m'intéressait, c'était euh l'adresse du bar bio conseillé à la fin »

« Ah non, je me fiche de Vanessa Paradis. Ce qui m'intéressait, c'était euh l'adresse du bar bio conseillé à la fin »

– L’intérêt ciblé : « je l’ai acheté juste pour lire la recette du macaron au foie gras, tu sais, je dois ramener des amuse-gueules au prochain apéro » ; « nan mais t’as vu, ils te filent un agenda, avec ! »

Improve your English : « je passe le TOEFL dans 1 mois, alors je regarde Dexter en anglais et j’achète Cosmo UK »

–  Passer le temps : « oh tu me connais, je l’achète jamais d’habitude, mais là, j’avais 3h à tuer dans mon Lyon-Paris »

– Assumer mais pas revendiquer : « oui bon, ça va… J’ASSUME. C’est merdique mais ça me détend »

En fait, tout se passe comme si la plupart des filles qui lisent la presse féminine

  1. légitiment leur lecture en en minimisant la portée,
  2. considèrent être « des lectrices particulières » (les autres lectrices seraient des consommatrices premier degré, des abonnées, des cibles parfaites).

En gros, dites l’air rigolard que vous lisez Biba avec distance, et le monde entier vous excusera, se rappelant surtout vous achetez aussi Libé.

Dans Presse Féminine : la puissance frivole, Vincent Soulier raconte dans son avant-propos :

« pour avoir travaillé […] dans la presse magazine économique puis féminine […], j’ai vite été frappé par la différence de crédit généralement accordé à l’une par rapport à l’autre de ces deux familles. En effet, à la presse économique – et l’on pourrait en dire autant des quotidiens nationaux et des newsmagazines – sont associées des images de sérieux , d’influence, de respectabilité, tandis que la presse féminine est le plus souvent taxée de superficialité »

Mais alors, d’où vient cette crise de légitimité (et complexe d’infériorité latent) de la presse féminine ?

Un paradoxe structurel, décalage entre les ambitions premières et la marketisation de l’objet…

En fait, il me semble que cette dichotomie entre l’essence première de la presse féminine

(émanciper les femmes) et la frivolité dont on l’accuse aujourd’hui (elle perpétuerait le système sociétal tel qu’il est, c’est-à-dire avec tout ce qu’il faut d’inégalités des sexes) tient d’une aberration structurelle :

1. UNE VOLONTÉ D’UNIR…

La presse féminine est née de l’envie d’associer les femmes entre elles, de les solidariser, de les rendre conscientes de leur entité face à celle des hommes, l’entité dominante. Il suffit de revenir aux origines de sa création : la presse féminine est née dans la seconde moitié du XVIIIe siècle dans le cadre des salons mondains, en vue d’affirmer la spécificité du mode de vie des femmes par rapport à celui des hommes dans le domaine de la mode, la littérature et la beauté (à l’époque, les femmes et les hommes se retrouvaient ensemble dans les salons mondains pour discuter littérature, déclamer de la poésie, etc.) Dans ce contexte, la presse féminine était vue comme un adjuvant au bien-être des femmes.

2. … QUI S’EST TRADUITE PAR UNE MARGINALISATION

Mais qui dit « spécialisation » dit un peu aussi « marginalisation ». En se fixant sur le traitement de thèmes récurrents (déjà associés aux femmes dans une société machiste de fait), la presse féminine a choisi d’unir les femmes en excluant les hommes. Est donc devenu féminin tout ce qui n’était pas masculin. En s’emparant de certains sujets (mode et cuisine par exemple), la presse féminine s’est dé-légitimé sur d’autres. C’est presque du sexisme malgré elle, de l’auto-exclusion et du communautarisme – s’il faut grossir le trait.

3. D’OÙ UNE DUALITÉ INTRINSÈQUE AUJOURD’HUI

La presse féminine se veut encore outil d’émancipation des femmes (on y parle cul là où on y papotait port du pantalon, ciné et théâtre au lieu de salons mondains, etc.) mais est structurellement dépendante (ou esclave, pour les plus pessimistes) des caractéristiques qui la fondent (idéal de beauté, canons esthétiques très en phase avec ce que la société du spectacle impose partout ailleurs, défi démocratique de réussite et donc, d’émancipation dans nos rôles de femmes citadines et actives, etc.)

Pour extrapoler sur la classe pour soi / classe en soi de Marx, c’est comme si les femmes, à travers la presse féminine, avaient voulu passer d’un genre en soi à un genre pour soi (conscience de genre, volonté de se fédérer autour de thèmes précis – sauf que ces thèmes ont eux-mêmes été piochés dans la société sexiste). En ce sens, la presse féminine n’est que le prolongement d’une société déjà tournée vers la valorisation des hommes.

… qui ne se réglera jamais ?

Le conflit ne se réglera jamais, en tout cas devrais-je dire, je pense qu’il est voué à ne jamais se régler. Prenons pour exemple un magazine féminin papier dit intelligent : tout le monde a Causette, le nouvel arrivé, à la bouche. Causette est souvent décrit comme « un mag féminin MAIS intelligent ». Comme s’il nous fallait absolument expliquer la plus-value de ce titre en appuyant grossièrement sur sa « différence » de traitement de sujet (politique, féminisme, écologie etc) avec les autres, comme si le changement massif n’était jamais considéré, comme si (et c’est bien là que le bât blesse), la presse féminine, qui a un jour voulu solidariser les femmes, s’était désolidarisé entre temps.

L’autre point qui m’incite à dire que le conflit ne se réglera jamais, c’est que l’évolution de la presse féminine n’a pas bénéficié de, ce que j’appellerais volontiers, « l’aide de la société ». Il me semble que la cible de cette famille de presse est passée d’ « aristocrate qui cherche à s’éveiller » à « consommatrice ». Évidemment, il y a eu des titres plus subversifs entre temps (notamment sous la révolution bourgeoise), mais grosso modo, on est passé d’un idéal-type à son opposé, partant du principe qu’une femme éveillée, c’est une femme émancipée. Or quel meilleur moyen d’être émancipée et en phase avec l’ultra-libéralisme que consommer, consommer et encore consommer ?

En dépit des papiers sur le féminisme, des dossiers sur la condition des femmes partout ailleurs, des reportages centrées sur le sexe faible et des tribunes appelant à plus de liberté sexuelle, la presse féminine a été à jamais entachée par le spectre de la consommation mentionnée plus haut.

En fait, l’évolution de la presse féminine ressemble à une sombre histoire de discrimination positive qui aurait foiré (on a isolé les femmes dans une certaine presse à un instant T pour mieux les émanciper… mais elles ne sont jamais sorties de cette case restrictive).

Pour unir, la presse féminine a dû désunir et pour s’accaparer le système (libéralisme et spectacle), elle a dû se mettre à la botte de celui-ci. Voilà, à mon sens, les deux plus grands maux de la presse féminine. Entre conservatisme sur papier glacé et miroir du progressisme.


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

Les Commentaires

53
Avatar de Miawou
11 avril 2012 à 16h04
Miawou
Je n'ai jamais eu honte de lire la presse féminine. Je trouve toujours ça marrant de voir les gens se justifier "Oh mais c'est juste pour le train/la plage, je lis aussi des trucs intelligents, hein"...

Je lis ce que je veux, je n'ai rien à prouver à personne.

Je suis absolument d'accord! J'ai commencé à lire la presse féminine dans le train, comme tout le monde, et maintenant je lis Glamour tous les mois, Elle assez souvent etc... Et je m'en fous! Quand je lis ça, je sais très bien ce que j'y recherche! Si je veux lire des articles approfondis sur le ciné ou des critiques, je lis Studio, des articles culturels, je suis abonnée à Télérama, l'actualité, je consulte Libé et le Monde tous les jours sur mon Iphone, par contre quand j'ai besoin d'un moment plus "frivole", et encore c'est pas le mot que je cherche, c'est là que je vais le chercher.
La mode me passionne, j'aime les articles qui en parlent, les séries de photos etc... Oui y a des trucs inaccessibles, mais ça m'empêche pas de rêver, et de m'inspirer du look en général, et c'est pas parce qu'on me dit, cet été tu ressembleras à un bonbon sorti d'une boîte de dragées, que je le fais, je prends ce qu'il me plaît!
Pour les articles de régime/minceur, oui c'est un fait, particulièrement avant l'été, la plupart des femmes ont envie de se raffermir un peu, histoire de pas sortir en maillot le cuissot flasque, mais encore une fois, chacun(e), fait comme il (elle) veut!
Bien sûr y a des trucs profondément niais et culcul, j'ai envie de dire et alors?
J'ai vu tout le monde s'agiter autour de Topchef (que j'ai regardé pour la première fois la semaine dernière), je trouve pas que ça soit particulièrement une émission qui t'élève spirituellement, et pourtant visiblement tout le monde est accro.
C'est grâce à un magasine que j'ai découvert l'existence de la BB cream et des shampoings secs, et ça me sert bien.
Je pense qu'il faut juste être honnête et lucide sur ce qu'on lit. Et moi, même si je m'intéresse énormément à l'actualité, que je fais des études d'Art du Spectacle, que je lis beaucoup, que je suis la politique, y a des soirs où j'ai juste envie de me faire les ongles de pied devant Le diable s'habille en Prada.

(Sinon j'ai découvert Madmoizelle y a quelques mois à peine, et j'adore et le consulte tous les jours!! :-) )
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