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Société

Je suis une jeune femme noire, voici pourquoi je ne voterai pas pour vous, Marine Le Pen

Kamm nous raconte son quotidien de jeune femme noire dans la France de 2017, entre préjugés culturels et racisme décomplexé. Voilà pourquoi elle ne votera pas pour Marine Le pen.

Madame Le Pen,

Je ne m’étais pas dit, en rentrant de mon boulot, aujourd’hui, ni en me levant ce matin, que je serais aussi fâchée, aussi révoltée.

Je ne me disais pas que je troquerais ma petite sieste pour vous écrire.

Et pourtant.

Je suis une jeune femme noire, et je ne voterai pas pour vous

Madame Le Pen, vous ne savez pas qui je suis.

Je suis une jeune femme noire.

J’ai 23 ans, je suis athée, je suis française.

Et aujourd’hui, je sors de ma réserve parce que je suis insultée.

Madame Le Pen, vous n’aurez pas ma voix, au second tour.

Vous ne l’aurez pas parce que votre parti, vos alliés et votre famille m’excluent, me crachent dessus, piétinent mon histoire, mon héritage et mes valeurs, depuis toujours.

Vous n’aurez pas ma voix parce que j’aime la France, parce que je n’ai pas confiance en vous et parce que vous me faites peur.

Vous n’aurez pas ma voix parce que je hais les réactions que vous provoquez, et qui ont un énorme impact sur mon quotidien. Vous rendez le racisme correct, vous le rendez normal. Ça n’est pas tolérable.

À lire aussi : Mon père est raciste — Témoignage

Vous n’aurez pas ma voix, madame Le Pen. Voilà à quoi ressemble déjà ma vie, madame Le Pen. Et je sais que ce n’est qu’un avant goût de ce qui m’attends avec vous.

Le racisme au quotidien, à cause de vous

Samedi dernier, je suis allée au restaurant avec un ami.

J’avais pris une demi-heure à nouer correctement un foulard sur mes cheveux. Un beau « maré tèt ».

À lire aussi : Katia, créatrice de turbans « pour les nulles », en interview !

J’en étais fière, j’avais eu tellement de mal à le faire.

On s’est assis à l’une des tables que le serveur nous a indiqué, et mon ami s’est levé.

Il m’a laissée cinq minutes, juste cinq minutes.

Il y avait un couple derrière nous qui m’avait poignardée de regards réprobateurs dès que nous nous étions installés dans le restaurant.

Et il a suffi que mon ami se lève pour que ce couple vienne me voir.

« Vous n’avez pas honte de mettre ça, nous sommes dans un pays d’origine chrétienne ici ! »

Sauf que moi, je suis athée.

On ne porte pas forcément un foulard pour des raisons religieuses, mais aussi parce que c’est un héritage culturel, une tradition dont je suis fière.

Je suis souvent victime d’ignorance culturelle et d’islamophobie décomplexée.

À lire aussi : Comprendre le racisme ordinaire en six leçons

Et ce n’est pas la première fois qu’une chose pareille m’arrive. En plus, avec vous au deuxième tour, je ne sais que trop bien que ce ne sera pas non plus la dernière.

Vous voulez un autre exemple, madame Le Pen ? Je ne vous ai pas convaincue ?

J’ai testé pour vous : être la seule femme noire de son village à l’ère Le Pen

Tout à l’heure, à la sortie du travail, juste avant de rentrer chez moi, je suis allée faire quelques petites courses.

J’habite un petit village de campagne.

J’arrive donc à la caisse et en m’apprêtant à payer, j’entends :

« Non mais décidément, ces noirs sont partout, ils nous volent nos boulots et en plus, ils ont de quoi payer. »

En jetant un coup d’oeil aux alentours, j’ai compris que c’était moi qui était visée.

J’étais effectivement la seule personne noire de la file.

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Ça aurait pu s’arrêter là mais j’ai recroisé ce charmant petit couple de racistes en allant à ma voiture.

L’homme m’a regardé avec dégoût et a dit à sa femme :

« On se croirait en Afrique ici, on est vraiment plus chez nous, ils sont partout. »

Croyez- moi, au bout de vingt-trois ans, ce racisme décomplexé me choque toujours autant.

Mais si cette haine frontale est intolérable, il y a presque pire encore.

Le mythe du « bon sauvage », toujours d’actualité trois siècles après Rousseau

Hier soir, j’étais avec des collègues, à un apéro, et on m’a fait comprendre que j’étais une bonne noire, moi.

Pourquoi ? Parce que je n’ai pas l’accent lascif et chantant de l’Afrique noire, parce que je ne fais pas de leçon sur la colonisation, parce que je ne me « victimise » pas, parce que je ne traite pas les blancs de « sales blancs », parce que j’écoute du Cabrel et que je ne vis pas dans une cité, mais aussi pour mon métier.

Je suis une bonne noire parce que je ne suis pas musulmane, parce que je ne porte pas de boubou, parce que des fois je me lisse les cheveux, parce que je ne parle pas fort, parce que je ne suis pas immigrée ni enfant d’immigrée.

Je suis une bonne noire. Une bonne petite noire.

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Ça sonnait comme « négresse de maison ».

Je suis une bonne noire parce que je suis assimilée, prétendument.

Et cela, même si je connais mon histoire d’enfant des Antilles, que mon répertoire comporte du Kasav, du Konshen, du Kalash et d’autres soleils, et cela même si je suis antillaise, fière Antillaise, fière femme noire.

Fière. À quoi bon ?

Vos valeurs me font sentir étrangère dans mon propre pays

Je reste une étrangère dans mon propre pays, dans ma propre patrie.

Un arbre sans racines et dont les branches se tordent sans savoir vers où aller.

Voilà à quoi mène votre petit jeu, madame Le Pen. Voilà pourquoi il est dangereux.

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Je suis une bonne noire, mais pas assez française, quoique dise mon passeport, ma carte d’identité, mon permis, mon casier, mon état civil.

Et je suis fatiguée, madame Le Pen.

Je suis fatiguée d’aller faire mes courses et d’être traitée d’étrangère, de voleuse de métier, j’en ai assez d’entendre dès que je sors que vous me bouterez hors de « vos » terres.

Je suis fatiguée d’être insultée, fatiguée d’être prise à partie ces jours où je décide de porter un simple « maré Têt » qui vous rappelle que je suis peut-être trop noire, et pas assez Française.

Je suis effrayée à l’idée qu’un jour, on me contrôle et que ça dérape. Et curieuse que ça arrive.

Que diront les journaux ?

Je ne voterai pas pour vous

Je ne voterai pas pour vous, madame Le Pen.

Je ne voterai pas pour vous parce que même si vous aviez eux de bonnes idées et un bon comportement (ce qui n’est pas le cas), historiquement, votre parti me crache dessus.

Comment pourrais-je jamais croire en un parti qui puise son essence même dans la haine, le racisme, la xénophobie, l’homophobie, l’islamophobie ?

Comment pourrais-je croire en le renouveau d’une patrie quand les « vive le Front National » sont accompagnés de remarques sur le genre, la couleur de peau ou les origines ?

Comment puis-je jamais croire en un parti dont les partisans crachent sur les journalistes ?

Comment puis-je vous faire confiance quand vous refusez de répondre à une simple convocation ?

Et comment puis-je jamais me sentir en sécurité quand votre existence médiatique encourage des gens à m’insulter ?

Vous n’aurez pas ma voix, madame Le Pen, et j’espère que vous ne passerez pas, parce que je ne supporte pas ce que vous faites de la France, rien qu’en étant candidate.

Kamm, une jeune femme noire, française et athée.

À lire aussi : Surveillance, intimidation et insultes : le quotidien glaçant d’une ville dirigée par le Front National


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Les Commentaires

19
Avatar de lafillelabas
4 mai 2017 à 13h05
lafillelabas
@Ana-Esperanza

Ah je dis pas qu'il y a pas de risque ou qu'elle aurait dû répondre, je me permettrais pas. Juste pour dire qu'ils auraient amplement mérité de se faire remettre à leur place en venant comme ça faire de la provocation.

mais on est aussi dans une situation de double bind où quoi qu'on fasse, on donne raison à l'agresseur (lui répondre c'est bien la preuve qu'on est des sauvages).

Je suis pas sûre que des gens pour qui les Noirs doivent faire "profil bas" soient des gens dont l'opinion puisse être encore plus pourrie, donc leurs déductions totalement non biaisées à partir de la réaction de quelqu'un qu'ils viennent d'insulter, ils se les gardent bien où ils veulent.



Je me garderais bien de faire du victim blaming, le fait que j'aie tendance perso à réagir différemment n'invalide en rien sa réaction à elle, d'ailleurs je salue sincèrement son self control.
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