Précédemment dans #62jours : Apprendre à (s’)écouter, pour mieux comprendre les autres
Salut. Tu m’en voudras pas de te tutoyer, toi qui me lis. J’ai un peu de mal à écrire le sujet du jour comme si je m’adressais à toute une salle de conférence. Et je ne peux pas, pour ce sujet en particulier, l’écrire comme si je ne parlais à personne, ou à moi-même, d’ailleurs.
Parce qu’aujourd’hui, je voudrais te parler de vulnérabilité. De la mienne, pour commencer.
Ma vulnérabilité, j’ai passé toute ma vie à l’enfouir très profondément. J’en ai honte. Pour les mêmes raisons que j’ai longtemps cru que mes émotions étaient des boulets qui me lestent, j’étais convaincue que la vulnérabilité était une tare. Le sceau des gens trop faibles pour affronter la vie.
La vulnérabilité, c’est ce sentiment que j’ai, à chaque fois que je publie un billet personnel, et plus particulièrement aujourd’hui : celui d’être en train de poster une photo de moi nue sur Internet.
C’est tellement fort, que c’en est presque violent, comme sentiment. C’est exposer mes cibles les plus tendres à une armée d’archers, l’arc bandé.
Tu m’étonnes que j’aie passé ma vie à cacher ces cibles ! Je protégeais toutes mes faiblesses et mes points sensibles en les enfouissant bien profondément. En les maquillant, en les masquant.
Ma vulnérabilité, ma honte, et les autres
Je cache mes larmes au cinéma, je ne dis jamais que j’ai peur même quand la sueur coule le long de ma nuque, je ne dis jamais « je t’aime » parce que c’est viser en plein dans le mille : trop de risques que ça rate, trop de risques d’en souffrir.
Au fil des ans, je me suis construit une véritable armure, que je porte au quotidien. Elle me protège de tout : des critiques, des attaques, des remarques, même des blagues.
Elle me protège des autres, en fait.
Là, ça fait environ 20 minutes que je regarde clignoter le curseur, que je fais des aller-retours pour actualiser Facebook… Tout pour ne pas écrire.
Pièce à conviction n°1
La vulnérabilité, si je devais la décrire : c’est moi, c’est tout ce que je suis, quand j’enlève toutes les couches qui me protègent. L’armure, la carapace, le cuir, appelle-ça comme tu veux, c’est tout ce qui « m’emballe » pour éviter de souffrir, au quotidien.
D’où la sensation d’être à poil, quand je la regarde, évidemment…
Mais j’ai compris un truc, récemment : c’est pas ma vulnérabilité qui me fait souffrir. C’est mon refus de l’accepter, qui est la cause de ces souffrances.
Je m’explique. C’est pas le fait de pleurer au cinéma qui me fait du mal. Au contraire même, ça me fait un bien fou ! C’est un des buts du cinéma, comme au théâtre antique, il accomplit une fonction cathartique pour l’être humain.
Comment ma lutte contre la vulnérabilité me fait du mal
Ce qui me fait du mal, c’est le sentiment de honte que me provoque le fait de pleurer devant un film, au cinéma.
Sauf que. D’où vient ce sentiment de honte ? Sérieusement, qui me juge d’être en train de verser des larmes devant une scène dramatique ? Certainement pas les gens dans la salle, que j’entends aussi sortir un mouchoir.
Ni ceux que je croise à la sortie, les yeux rougis, en train de se tamponner les narines avec un Kleenex.
C’est moi qui me juge. Au lieu d’accepter que ce film me touche, au lieu d’accepter les émotions qu’il me procure, je cherche à les refouler, et je me culpabilise de les ressentir ! En bref: je tente de nier ma vulnérabilité.
Je prends l’exemple du cinéma parce que c’est sans doute le plus parlant, le plus ridicule et le plus évident. Mais la même scène est transposable à une infinité de situations.
Il se passe quelque chose : une scène de la vie, une remarque, une interaction sociale. Cet événement provoque en moi une émotion. L’expression de cette émotion me gêne, alors je la refoule et je me fais honte toute seule pour éviter à l’avenir de « me laisser atteindre » par si peu.
Rencontre avec ma vulnérabilité : je rends les armes
J’ai rencontré ma vulnérabilité le jour où j’ai arrêté de faire ça.
J’en parle au passé comme si j’étais un vieux sage, m’apprêtant à te conter une anecdote qui remonte à mes jeunes années.
Je te parle en fait des dernières semaines qui viennent de s’écouler. C’est un thème qui a un lien direct avec la thérapie psy que je suis, notamment pour me débarrasser de la dépression (tiens, je ne dis plus « ma » dépression…).
Accepter ma vulnérabilité, c’est arrêter de refouler tout un tas d’émotions, et d’en rajouter en plus en me culpabilisant toute seule de les ressentir. C’est comme si au lieu de laisser s’exprimer ce qui a besoin de sortir, je les comprimais, j’en faisais des petites pierres bien denses, et je me les collais sur le dos.
Et à chaque fois que je fais ça, je me rajoute un galet noir de la honte, pour la peine. Tu m’étonnes que je me retrouve avec le dos en vrac tous les six mois. L’effet de seuil se fait vite ressentir, si je me plombe toute seule de poids… qui ne demandent qu’à être évacués, du reste.
Arrêter de me faire du mal à moi-même, c’était déjà pas une mince affaire. Mais si j’ai mis autant de temps à réussir à écrire sur la vulnérabilité, c’est surtout pour la deuxième dimension que j’y trouve : ma vulnérabilité, c’est mon point de connexion aux autres.
Ma vulnérabilité, c’est mon point de connexion aux autres
J’en parlais hier, lorsque je réfléchissais à comment mieux communiquer avec les autres. Mes principales pistes de réflexions m’amènent vers les émotions. Sauf que je cache les miennes, et qu’il y a fort à parier que les autres font de même.
T’as pas ce sentiment, parfois, de tenir tes sentiments près de toi, comme des cartes à jouer que tu caches à la vue des autres? S’ils ou elles savaient que la carte qui vient d’être posée te touche, te parle, te sert… Tu affrontes la vie comme une partie de poker, en faisant bien attention à ce que personne ne puisse lire ta main sur ton visage ?
Moi, c’est ce que je fais. Mais ça me coûte une énergie folle, de tenir tout ça à bout de bras, et de ne pas laisser les autres lire dans mon jeu. Sur mon visage.
Accepter ma vulnérabilité, c’est pas forcément abattre toutes mes cartes. C’est juste arrêter de les cacher comme si ma vie en dépendait. Comme si j’allais perdre la mise, juste parce que quelqu’un, à côté de moi, arrive à deviner mon jeu ce matin : « t’as pas l’air bien, est-ce que ça va ? »
C’est quand la dernière fois que j’ai répondu sincèrement à cette question ? Attends, je demande à ma vulnérabilité… La dernière fois que je l’ai laissée s’exprimer, ça remonte, tu sais…
Pourquoi je vais continuer à cultiver, à accepter ma vulnérabilité ?
Cette histoire de vulnérabilité me fait vraiment suer. Je suis en train d’essayer de faire exactement le contraire de ce que j’ai fait tout au long de ma vie : accepter qui je suis et m’ouvrir aux autres.
À chaque fois que je prenais une flèche pile dans une zone sensible, j’en avais honte, je m’en voulais. Je ne m’étais jamais dit que j’avais le droit de réagir autrement.
Le droit de me dire : hé, mais en fait, ça fait mal, ce point. Pourquoi ? Qu’est-ce que je peux faire pour aller mieux ?
Est-ce qu’il y a quelque à faire, d’ailleurs, ou est-ce qu’il me faut juste accepter que… oui, ce point est douloureux ?
Je n’ai pas la réponse à toutes les questions que je me pose. C’est peut-être un commentaire anodin pour toi, mais pour moi, c’est un grand pas en plein dans ma vulnérabilité : je n’ai pas la réponse. J’accepte de ne pas avoir réponse à tout. La control freak en moi, et mon apparence de meuf-qui-maîtrise-le-game-de-la-life frémissent à l’unisson.
Qu’importe. Je respire. J’accepte.
Et toi, comment ça va ?
Pour aller plus loin
J’ai commencé mes réflexions sur la vulnérabilité en découvrant ce TED Talk, de Brené Brown : Le pouvoir de la vulnérabilité.
Je me retrouve dans le cheminement individuel de cette mère de famille, qui a grandi dans la pression de la perfection. Un jour, elle a pété un plomb. Ça a duré une bonne année, elle a suivi une thérapie, et elle a fini par briser le carcan qui l’étouffait en acceptant sa vulnérabilité.
Une bonne entrée en matière…
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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