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Le Viol d’une Petite Cerise Noire, pièce engagée mais peu programmée

Le Viol d’une Petite Cerise Noire est une pièce de théâtre traitant du viol et abattant le quatrième mur pour inviter le public au coeur du débat. Malheureusement, son sujet difficile fait qu’elle n’est pas souvent programmée…

J’ai rencontré une comédienne et un metteur en scène pour parler de leur pièce qui parle du viol. L’occasion d’aborder un beau projet et surtout des réactions que suscite son thème auprès du public, des comédiens et des programmateurs de théâtre. Mise en abîme dans 5, 4, 3…

SOS VIOL et ses nouveaux locaux

À l’origine de cette rencontre avec Yves-Marina Gnahoua et Imhotep Tshilombo, il y a un événement qui, d’entrée de jeu, plante le décor : l’inauguration des nouveaux locaux de SOS VIOL le 14 février dernier (il n’y a pas de petit symbole). SOS VIOL, c’est une association Bruxelloise spécialisée dans la prise en charge des victimes de viol et, naturellement, l’inauguration de ses nouveaux locaux, plus grands, plus beaux et plus neufs que les anciens rassemblait bon nombre de défenseurs des droits des femmes.

C’est après un éloquent discours en forme de rappel des acquis féministes et d’appel au maintien de ces derniers que vint le moment de se présenter les uns aux autres, et qu’un dialogue s’est noué entre Yves-Marina, Imhotep et moi. Petits fours calés dans une main et verre de Coca dans l’autre, je partais à la découverte d’un nouveau terreau féministe et de jolis projets en gestation.  C’est de l’un d’entre eux que je vous parle aujourd’hui.

Le Viol d’une Petite Cerise Noire : la genèse

C’est par un après-midi particulièrement ensoleillé pour un mois de mars à Bruxelles que je retrouve Yves-Marina Gnahoua et Imhotep Tshilombo pour en savoir plus sur la pièce sur laquelle ils travaillent, respectivement en tant que comédienne et metteur en scène.

Le Viol d’une Petite Cerise Noire est une pièce que Pascal Vrebos signe à la fin des années 90. Il la dédiera peu après à l’une de ses anciennes élèves entre-temps devenue comédienne, Yves-Marina Gnahoua, en lui disant « tu fais de ça ce que tu veux ». Et la légende prétend qu’il se frotta les mains.

De tiroirs en réécritures, 10 ans de maturation

Le texte, en forme de monologue, fait la part belle au point de vue de la victime puisque c’est elle qui conte à l’auditoire son destin tragique (basé sur des faits réels) de jeune fille originaire d’Afrique venue étudier en Europe. Sans faire l’économie ni de la douleur, ni de la violence, l’héroïne raconte son viol dans une pièce courte, au long de laquelle la poésie n’ôte rien à la violence du propos.

Entre le jour où la comédienne reçoit le texte et son premier showcase en 2012, un peu plus de 10 ans s’écoulent. En effet, la première réaction d’Yves-Marina ne fut pas exactement enthousiaste :

« Je lui ai dit que ce n’était pas possible, que c’était trop cru,  qu’il ne pouvait pas me faire dire des choses comme ça. Les images associées étaient trop violentes. Je lui ai dit que c’était mal, que c’était sale. Ce à quoi il a acquiescé, en me rappelant que le sujet lui-même était sale. »

Un projet engagé

Trop trash, trop lourd à porter, le texte est plusieurs fois réécrit avant d’atteindre sa version finale en 2008, mais là encore, il se heurte systématiquement au refus des metteurs en scène qu’Yves-Marina contacte.

« Je voulais que la pièce soit mise en scène par un homme, absolument. Je voulais le doigt d’un homme sur un sujet pareil, je voulais voir comment un homme représenterait ce que pouvait subir une femme. C’était une manière aussi de faire en sorte que le viol ne soit pas uniquement une affaire de femme. »

Retour du monologue à la case « tiroir » en attendant 2010 et la prise de conscience de la comédienne :

« J’ai compris qu’il ne serait jamais temps pour ce sujet, qu’il fallait faire quelque chose. Combien de personnes vivent ça au quotidien ? Et je ne parle pas que des femmes, je vous parle de petits garçons, de petites filles et d’hommes aussi. Pourtant personne n’en parle, c’est un sujet trop fort. Entre la réalité du viol et la description incroyablement dure que la pièce en fait il y a encore un gouffre. C’est dire la violence du sujet. »

C’est à ce moment-là que la pièce, de projet théâtral, devient un projet engagé.

Le viol, un concept-hérisson

Quand je demande à Imhotep Tshilombo comment il a réagi à la première lecture du texte, il me répond « mal ». Quand je lui demande ce qui l’a convaincu d’y participer, il me répond que c’est le parti-pris de l’auteur :

« C’est traité de l’intérieur. C’est pour ça que j’ai dit oui. C’est un texte qui se prête facilement au travail dans la matière ; au niveau de ses sonorités, l’écriture de la pièce est très riche, musicalement parlant. Mais j’ai essayé d’aller au-delà. C’est un sujet qui rebute facilement, il méritait d’aller plus loin, alors j’ai pris le parti de faire tomber le quatrième mur. »

La culture du viol ne s’éloigne jamais beaucoup de notre discussion. Je l’aborde sous l’angle de l’Europe et des pays occidentaux en général en mentionnant Jack Parker, les jeux vidéo et l’apologie du viol en général. Et Imhotep de justifier sa mise en scène en expliquant que pour dénoncer un système, il faut en montrer les détails.

« Je voulais que ce soit réaliste. C’était un énorme défi, parce qu’on risquait de mettre les gens mal à l’aise. Mais devant l’ampleur du phénomène, et étant d’origine congolaise, c’était un risque qui méritait d’être pris.

On parle des viols en Syrie, mais à travers le monde, les gens commencent à se révolter face à l’horreur de ce qu’il se passe au Congo et au silence des médias. C’est aussi pour ça que j’ai accepté cette pièce et son parti pris réaliste. C’était un moyen pour moi de rétablir un semblant d’équilibre dans les représentations, pour nos sœurs, nos mères et toutes celles qui sont ici.

Quand j’étais à l’université, j’ai côtoyé sans le savoir des victimes de viol. J’ai appris ce qu’elles avaient subi par la suite, et là j’ai vu les vies bousillées. Pour moi, il fallait confronter le public, lui communiquer l’état de la victime parce que quand on n’est pas directement concerné, on ne sait pas et on ne veut pas savoir. »

On en parle, mais on n’y touche pas

Rebondissant sur le but avoué d’Yves-Marina de faire du viol plus qu’une affaire de femme, j’ose une question sur le ressenti personnel du metteur en scène.

« J’avais du mal à comprendre la problématique du viol. C’est un sujet que je connaissais, comme beaucoup de monde, mais dont je n’avais pas conscience. Quand j’ai commencé à travailler sur la pièce, j’en ai beaucoup discuté avec mes amies de l’époque. Ma curiosité m’a poussé à poser beaucoup de questions que je ne m’étais pas vraiment posées avant.

On se demandait dans quelle mesure dissocier le côté piquant qu’on retrouve parfois dans l’échange sexuel, le jeu de pouvoir qui sous-tend parfois l’excitation, du reste. La sexualité est incroyablement vaste, travailler sur le viol amène beaucoup de questions.

En l’occurrence ici, c’est la pulsion destructrice qui est abordée. Le viol est une violence, non un registre sexuel. »

Toute la subtilité de la pièce réside dans son traitement franc — à travers le prisme de la victime et sans quatrième mur — d’un sujet ultraviolent sans pour autant tomber dans l’écueil du trash et de la facilité. On ne culpabilise pas le public, mais on essaie de lui communiquer l’immensité d’un drame finalement ordinaire.

Pour cela, la comédienne a invité une danseuse et une violoncelliste à improviser autour du texte original, le tout sous forme de table ronde autour de laquelle le public a sa place. L’idée est ici d’utiliser l’art comme un outil pour à la fois distancier le problème, et s’y plonger totalement.

La difficulté de programmer la pièce

Yves-Marina Gnahoua s’est entourée de cautions solides pour justifier son projet et s’assurer de ne pas pécher par ignorance. Plusieurs associations bruxelloises se sont penchées sur la pièce avant de l’adouber, parmi lesquelles SOS VIOL et Garance, spécialisée dans les cours de self-defense pour les femmes.

C’est d’ailleurs sur leurs conseils que l’équipe a décidé de prévenir son public avant le commencement de la pièce. Précaution loin d’être superflue puisqu’à chacun des showcases, quelques personnes ont quitté la salle.

Le reste du public a souvent mis plus d’un quart d’heure à la quitter une fois la représentation terminée, et systématiquement, les gens sont venus poser des questions avant de sortir. Preuve que la pièce fait mouche, quand il s’agit de sensibiliser et de susciter le questionnement.

Malgré des salles remplies à chaque showcase (le premier lors de la quinzaine de la femme en 2012 à Bruxelles, puis deux autres en 2013, toujours à Bruxelles), la pièce peine à trouver des sponsors et se heurte à la réticence des directeurs de théâtre qui, temps de crise oblige, préfèrent le divertissement aux sujets qui fâchent. On parle donc plus que jamais du viol, mais certains s’y frottent toujours plus que d’autres.

Vous pouvez aller voir Le Viol d’une Petite Cerise Noire aujourd’hui, le 16 mai 2014, à St Étienne dans le cadre des universités populaires du théâtre lancées par Michel Onfray. Et en septembre à Paris, en collaboration avec le Centre Bruxelles Wallonie (juste en face du centre Pompidou, pour les inconditionnelles du Marais) !

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Les Commentaires

1
Avatar de Serafina Pekkala
16 mai 2014 à 15h05
Serafina Pekkala
Est-ce que vous avez une idée plus précise de la date à Paris en septembre ?  (et sinon est-ce que si vous l'apprenez ce sera possible de mettre l'article à jour ?  merci !)
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