Lors de ce Festival de Cannes 2014, nous avons l’occasion de voir de beaux films, comme Timbuktu, que nous sommes très contents de pouvoir vous recommander. Mais The Homesman est particulier : il est qualifié par la presse de « western féministe », alors forcément, on a voulu creuser l’idée !
Un regard particulier sur la condition des femmes
The Homesman raconte comment trois femmes, face à la dureté de la vie dans le Middle West américain du XIXème, deviennent folles suite à une maladie, à la perte d’un enfant ou après avoir été violées par leur mari. Trop faibles, elles ne peuvent plus survivre dans ce milieu hostile et doivent être ramenées à leur familles sur la côte Est.
Effectivement, ça va pas fort…
C’est Mary Bee Cuddy, une femme célibataire, un poil obsédée par l’idée de se marier mais courageuse et pieuse, qui va mener ce convoi alors que les hommes de la ville abandonnent lâchement le défi. C’est parti pour cinq semaines de voyage en carriole à travers le désert, avec comme chargement trois femmes déséquilibrées (dont une assez violente), et sur la route de nombreux dangers : des Indiens, encore en position de force, ainsi que des hommes mal intentionnés…
Mais Mary Bee Cuddy a la gâchette sensible, et surtout ne doute pas de ses convictions, ce qui en fait la véritable héroïne de ce film. Rapidement, un vieil homme bougon sans attaches, George Briggs (interprété par Tommy Lee Jones), les rejoint après avoir été secouru par notre héroïne. C’est l’histoire de ce duo et de la façon dont ils tenteront de mener à bien cette étrange mission qui fait l’enjeu de ce film.
Ils n’ont pas fini d’avoir l’air soucieux…
Beaucoup de critiques ont voulu faire de The Homesman une sorte de western féministe. En effet, pour une fois c’est la femme qui incarne la vertu et la force alors que tous les hommes sont lâches ; c’est Mary qui sauve George et c’est elle qui impose ses conditions.
Je m’appuierai malgré tout sur deux déclarations pour défendre un point de vue opposé :
« « Western » est un terme galvaudé à force d’être utilisé par beaucoup de gens, et n’a donc plus vraiment de sens. Du coup (…) je ne sais pas très bien ce qu’est un western. » — Tommy Lee Jones, acteur et réalisateur
« À partir du moment où l’on ne s’embarrasse pas de stéréotypes ou de conventions pour aborder ces personnages, je ne pense pas qu’il soit utile qu’ils aient nécessairement une résonance politique ou « féministe » pour le public contemporain. » — Wes Olivier, producteur du film
En fait le problème des journalistes qui veulent absolument coller l’étiquette « féministe » sur ce film, c’est que voir un personnage principal courageux interprété par une femme est tellement rare qu’on croit assister à quelque chose d’exceptionnel…
En réalité, le réalisateur n’est absolument pas engagé dans une défense des femmes ; par exemple les trois folles représentent assez classiquement l’« hystérie » qu’on attribue habituellement aux femmes. Il a « juste » créé un personnage fort et complexe qui se trouve être une femme, magistralement interprétée par Hilary Swank.
Dans le contexte actuel, bien sûr, ces choix sonnent comme une démarche progressiste. Mais d’une part, dans les faits il s’agit d’une adaptation littéraire du Chariot des Damnés de Glendon Swarthout, ouvrage sorti il y a trente ans, d’autre part c’est l’obsession de la justesse dans le rendu d’une époque qui a prévalu à la réalisation :
« Nous avons déniché quelques livres fascinants. Tommy nous a notamment fait découvrir un ouvrage sur les femmes pionnières qui comportait des photos extraordinaires. On a pas mal fait circuler le livre dans l’équipe et je dois dire que le langage cinématographique du film s’est largement inspiré de l’iconographie de ce livre. » — Wes Olivier, producteur
Si cette Mary Bee Cuddy est forte, active et débrouillarde, c’est parce que des femmes de son acabit ont réellement existé !
Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas de dire « les films féministes c’est nul/inutile » ! Il s’agit juste de ne pas coller cette étiquette sur TOUS les films mettant en scène une femme au premier plan. Car il y aurait alors un vrai risque à voir ces rôles fascinants comprimés dans une case qui servirait à se donner bonne conscience, voire qui servirait d’argument promotionnel : « Oh regardez, on a mis une femme forte en héroïne, on est vraiment underground ! ».
C’est cohérent dans la démarche de Tommy Lee Jones : il refuse l’étiquette trop cliché du western, de même qu’il refuse celle de film engagé, mais alors… que cherchait-il ?
Une galerie de personnages authentiques
Ce qu’on retient surtout de The Homesman, c’est son sens de la pureté. C’est pour cela qu’il est impossible d’y coller la moindre étiquette, qui ne ferait qu’alourdir le film.
Les folles, par exemple, le sont chacune dans un registre délicatement nuancé, de la mélancolique à l’agressive, mais elles ne tombent jamais dans la caricature de « la possédée en attente d’exorcisme ». À l’aide de quelques flashbacks, on comprend comment le Grand Ouest a littéralement démoli leur personnalité trop fragile pour résister face à la solitude ou aux privations. Elles ne sont jamais tournées en ridicule, car elles sonnent vrai :
« Les comédiennes qui les incarnent se sont appuyées sur leurs recherches et ont nourri leurs rôles à partir de sources différentes, en ayant des approches différentes. C’est comme cela que les trois personnages de femmes, qui ont emprunté des chemins distincts, se sont esquissés. C’est un élément fidèle à la réalité. » — Tommy Lee Jones
Je me suis même demandé un moment si The Homesman n’en devenait pas macho, puisque la femme forte est contrebalancée par trois femmes faibles. En fait, là encore tout est dans les détails, et les plus folles ne sont pas toujours celles que l’on croit…
Un huis-clos dans le Grand Ouest
Sentiment d’immensité bonjour
Oublions un instant l’aspect sociétal et intéressons-nous à ce dont parle réellement ce film :
un horizon. C’est un peu court comme résumé mais pourtant cet horizon est comme un personnage supplémentaire :
« Le paysage se résume, pour l’essentiel, à une ligne d’horizon qui sépare le ciel et la terre. Le plus souvent, il s’agit d’une ligne droite qui crée un environnement à la fois émotionnel et naturel. » — Tommy Lee Jones
C’est la fameuse exploitation des grands espaces américains dont Hollywood adore abuser : c’est joli et c’est déjà là, donc pas besoin de se ruiner en décors.
Mais là où Tommy Lee Jones est vraiment fort c’est quand il parvient, dans cette immensité, à créer un sentiment… de huis-clos. On étoufferait presque. On ne peut pas fuir, survivre seul est impossible, et on doit rester accroché à cette carriole si l’on veut tenir le coup jusqu’à l’Est. Les quelques villages traversés, perdus dans le vide, renforcent cette impression de profonde solitude.
The Homesman devient vraiment intéressant lorsque, pendant un instant, on peut imaginer ce qu’on dû ressentir les premiers explorateurs de l’Ouest : certes, le paysage est magnifique et s’étend à perte de vue, mais dans quel but ? Pour arriver où ? Et on comprend la détresse qui a pu rendre ces femmes folles à l’idée de se savoir coincées là…
Une reconstitution épurée
Pour nous faire ressentir quelque chose d’aussi authentique, Tommy Lee Jones n’a eu besoin que d’un horizon. Tout le reste du film s’articule autour de cette simplicité. Pour mieux comprendre la démarche, je vous propose cet extrait de son interview tirée du dossier de presse :
« — Meredith Boswell ? C’est une formidable chef-décoratrice. Elle est capable de concevoir des objets très simples, comme un chariot censé traverser le Nebraska au XIXème siècle ! Et quand on le filme, cela s’avère un objet à la fois très beau et parfaitement fonctionnel. C’est la meilleure chef-décoratrice que j’ai jamais rencontrée.
— Et Lahly Poore ?
— Ses costumes correspondent parfaitement à l’époque du film (1855) et sont d’une grande précision. Elle a su faire un boulot remarquable malgré un budget modeste. »
Budget modeste, simplicité et fonctionnalité. Pour une fois, une reconstitution historique n’est pas une tarte à la crème où les décors et les costumes servent d’excuse à un scénario discutable ! L’authenticité se cache dans les maisons, via un poêle, une baignoire en ferraille accrochée au mur, une paillasse. Le but n’est pas d’impressionner le spectateur avec du chiqué mais de l’immerger dans ce monde, pour qu’il puisse se concentrer sur l’aspect dramatique du film.
Je vous ai chroniqué uniquement l’aspect sociétal et esthétique de The Homesman, et ces éléments seuls suffisent à en faire un bon film, mais c’est bien sa puissance dramaturgique, due à un scénario minimaliste mais puissant, qui en fait un EXCELLENT film.
Du coup, je vous laisse, sadiquement, le découvrir au cinéma car trop en dire serait gâcher la surprise ! Il est actuellement en salles : on se retrouve dans les commentaires pour en parler ?
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