Elle n’avait que 21 ans. Marie-Bélen Pisano, originaire d’Alès, s’apprêtait à prendre le métro lorsqu’elle s’est fait poignarder le 17 mars 2019 à Marseille. L’auteur des faits avait alors pris la fuite, dérobant au passage le portable de la victime. Il avait fallu plusieurs mois avant que des traces d’ADN ne mènent à un jeune homme, âgé de 17 ans, jugé depuis lundi devant la cour d’assises des mineurs d’Aix-en-Provence. Le chef d’accusation retenu ? « Vol précédé, accompagné ou suivi de violences ayant entraîné la mort ».
Un motif rejeté par la famille de Marie-Bélen Pisano
En d’autres mots, ce serait donc le vol du portable qui aurait motivé le tueur. Pour la famille de la jeune femme, cette qualification ne tient pas la route. Ils réclament que le crime soit reconnu comme « féminicide non intime » estimant que le tueur aurait ciblé Marie-Bélen en raison de son genre. Mais, peut-il s’agir d’un féminicide si le meurtrier ne la connaissait pas ?
Qu’est-ce qu’un féminicide ?
Aujourd’hui, en France, le terme féminicide n’a pas d’existence juridique. Il est cependant largement entré dans le langage courant, jusqu’à être élu mot de l’année en 2019 par le Petit Robert. Des associations comme Osons le féminisme militent depuis plusieurs années pour faire évoluer la loi à ce sujet (et pour en finir avec l’idée de crime passionnel).
Dans son usage le plus courant, il désigne le meurtre d’une femme en raison de son genre, perpétré par son conjoint ou ex-conjoint. Une définition bien trop restrictive, selon Rosa Muriel Mestanza, amie de Marie-Bélen et doctorante en sociologie du genre, qui s’est confiée à nos confrères de Médiapart : « En France, on ne parle que du féminicide conjugal. Mais en Amérique Latine, la notion de féminicide englobe les féminicides non intimes sans même avoir besoin de le préciser. Là-bas, des mouvements féministes massifs ont permis cette prise de conscience ».
Cette définition élargie va d’ailleurs dans le sens de celle de l’OMS, qui emploie le terme « fémicide » et distingue quatre catégories :
- Le fémicide « intime », commis par le conjoint actuel ou ancien de la victime.
- Les crimes « d’honneur » lorsqu’une femme est « assassinée par un membre masculin ou féminin de sa famille parce qu’elle a ou est censée avoir commis une transgression sexuelle ou comportementale, notamment un adultère, des relations sexuelles ou une grossesse hors mariage, ou même parce qu’elle a été violée. »
- le fémicide lié à la dot, lorsqu’une femme est assassinée par sa belle famille car la somme d’argent versée lors du mariage est jugée insuffisante. Ce type de crimes se retrouve notamment en Inde.
- le fémicide « non intime », commis par une personne qui n’a aucun lien intime avec la victime.
Le 9 janvier, l’inter Orga Féminicides, qui recense et analyse les féminicides en France, elle aussi, a choisi d’élargir la définition du terme afin de permettre un décompte plus juste :
Un terme que l’on retrouve dès le 17ᵉ siècle
En France, Le terme a été popularisé par Jill Radford et Diana Russell en 1992, grâce à leur ouvrage Femicide, The Politics of Woman Killing. On retrouve pourtant certaines occurrences du mot dès le 17ᵉ siècle, comme le souligne l’historien Frédéric Chauvaud à nos confrères de FranceInfo : « [L’écrivain] Paul Scarron au 17e siècle utilise le mot féminicide, dans son sens actuel, avec l’idée de tuer une femme parce qu’elle est une femme ».
Si le terme féminicide est entré dans le Code pénal de 18 états d’Amérique latine depuis 2007, où il est vastement répandu et utilisé, la France reste à la traîne. Depuis 2017, le sexisme est reconnu comme circonstance aggravante d’un crime ou d’un délit d’après l’Article 132-77 du Code pénal. Mais, comme l’expliquent nos confrères des Décodeurs : « Ces formulations (sexe, conjoint, partenaire) s’appliquent aussi à des crimes commis contre des hommes. Il n’existe donc pas de catégorie juridique spécifique pour les meurtres de femmes. Plusieurs voix s’élèvent contre l’instauration du « féminicide » (alors même que le parricide ou l’infanticide ont disparu du Code pénal en 1994), soit parce que ce type de crime serait difficile à caractériser, soit parce qu’il risquerait de rompre l’égalité devant la loi ».
Le combat des proches de Marie-Bélen pour faire requalifier le meurtre de leur fille permettra-t-il de faire évoluer notre perception (et compréhension) des féminicides en France ?
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Les Commentaires
Je te rejoins sur ce constat. Les articles société sont maintenant écrits par des pigistes (semble-t-il), avec j'imagine une exigence de rendement qui n'est pas trop compatible avec la qualité. Mais c'est très frustrant pour la lectrice, qui est en quelque sorte obligée d'aller trouver les infos (et la réponse...) elle-même. A la limite, il faudrait faire beaucoup moins d'articles, si ça peut permettre de rédiger des papiers plus fouillés.