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Pourquoi je pleure à chaque fois que je mange libanais

Miss Lu est parfois nostalgique de la Syrie… malgré elle. Et un simple shawarma peut déclencher de grandes réflexions.

Tout a commencé avec un shawarma

Hier, j’ai découvert le petit traiteur libanais juste en bas de chez madmoiZelle. Il est très bien, ce restau. Les gens sont sympas, le service est rapide, c’est pas cher… et les noms de plats sont authentiques (certifié par moi : j’ai grandi au Moyen-Orient).

J’avais un peu la flemme de me faire à manger le soir alors sur le chemin du retour à la maison, je me suis arrêtée chez ce traiteur et j’ai pris un shawarma à emporter. Je suis rentrée chez moi, pépouze, j’ai posé mes affaires, pris une douche… et puis, satisfaite de ma journée, je me suis posée à la table pour déguster tranquillou mon sandwich.

Et là, dès la première bouchée, j’ai eu une grosse envie de fondre en larmes. Comme une gamine, comme un poisson qui se noie (non ça se peut pas), comme… comme quand je peux pas retenir le trop-plein de tristesse qui déborde de mes yeux.

Souvent, quand je pleure, c’est de colère et/ou de frustration. Ou alors d’émotion pure, quand je regarde un film triste ou au contraire qui se finit hyper bien. Ce n’est pas si souvent que je pleure comme ça. Mais là, tout d’un coup, c’était trop.

La bouffe libanaise est, culturellement, syrienne

Ce n’était pas la première fois que je mangeais libanais (syrien, en fait : ce sont des Libanais•es qui tiennent ces restos, mais à la base, la nourriture est syrienne, qu’on se le dise) depuis mon arrivée en France… et il se trouve que la première fois que ça m’était arrivé, j’avais aussi eu une grosse envie de pleurer. À l’époque, par contre, je m’y attendais. Je savais que je n’avais pas mangé syrien depuis quatre ans (mon arrivée en France), et que ces saveurs allaient réveiller en moi une nostalgie inévitable. Après tout, j’ai grandi en Syrie, et j’ai toujours aimé la nourriture locale… C’était donc un peu de mon enfance que je retrouvais.

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La nostalgie qui s’impose

Depuis, j’y ai réfléchi un peu. Parce que je ne pensais pas que j’aurais de nouveau envie de pleurer comme ça — rapport que la première fois nostalgique, je l’avais déjà eue. Alors pourquoi est-ce que j’étais si triste ?

Je n’ai toujours pas accepté que j’étais nostalgique de la Syrie

Eh bien, je pense que c’est tout simplement ma nostalgie qui a enfoncé ma structure de protection en acier pour dire « Coucou ! Ne m’oublie pas, je suis là et bien là ! ». Je n’ai toujours pas accepté que j’étais nostalgique de la Syrie.

C’est là que j’ai grandi, là que j’ai vécu de mes cinq ans à ma majorité. Mais pendant tout ce temps-là, je n’avais qu’une idée en tête : partir vivre en France. Je n’en voyais à l’époque clairement que les bons côtés, ceux dont je bénéficiais quand j’y allais en vacances d’été chez ma grand-mère, au fin fond de la Provence. Et de mon expérience, on a souvent tendance à ne finir par voir que les mauvais côtés du pays où on habite et à s’en plaindre sans cesse. Je pourrais faire une (très) longue liste des raisons pour lesquelles la Syrie ne fait pas partie de mes pays préférés, et pourquoi je ne compte pas retourner y vivre (guerre civile mise à part) !

Mais quand je suis arrivée, à dix-huit ans, à Nancy pour commencer mes études à Sciences Po… soudain, je me suis aperçue que passer chaque année ses vacances dans un endroit ne fait pas de toi une habitante de ce pays. Et en avoir la nationalité ne veut pas dire que tu t’y sens chez toi. Je découvrais une autre France, parfois sale, parfois raciste, souvent méprisante et tellement, tellement indifférente à la misère du monde et de ses propres citoyen•ne•s… Je découvrais une France dans laquelle je n’avais tout simplement pas grandi, où je ne me sentais pas chez moi parce que trop de fois, je n’avais « pas la ref » culturelle, parce que je ne comprenais pas toujours l’attitude des gens.

J’ai grandi en Syrie, et cela m’a marquée

J’ai été très heureuse pendant ces deux années à Nancy. Et la France est un pays que j’apprécie pour certains côtés, tout en ayant bien pris conscience, depuis que j’y vis, qu’elle comporte aussi des éléments que je ne supporte pas et/ou qui me font personnellement du mal. La Syrie… la Syrie, c’est plus compliqué.

Oui, je voulais vraiment partir, mais ça n’avait pas à voir seulement avec le pays : aujourd’hui ça va mieux, mais à l’époque je ne m’entendais vraiment pas avec mes parents et j’avais hâte d’être enfin libre, même si ça voulait dire galérer financièrement, administrativement, et vraiment me débrouiller pour tout, toute seule, tout de suite. Je ne me sentais pas à mon aise dans la société syrienne, qui m’opprimait en tant que femme, en tant que jeune, et me considérait comme une étrangère plus que comme une citoyenne à part entière.

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Mais la Syrie, ce sont mes racines, que je le veuille ou non ! C’est là où j’ai grandi, là où j’ai formé mes souvenirs, c’est là où je suis allée à l’école (et mine de rien, les cours, c’est une énorme partie de mes vingt-deux années de vie)… Que je le veuille ou non, je suis liée à cette terre syrienne.

La Syrie fait également partie de mon caractère, de ma personnalité. Il y a plein de petites choses que je fais qui font partie de la culture syrienne (comme de papouiller les bébés des gens dans la rue sans demander avant) ; beaucoup de façons de penser et de considérer l’humain et la société qui ont été influencées par la culture nationale. Si je suis française aussi, si je me reconnais beaucoup dans la culture française, je n’ai pas grandi en France. Et parfois, ça fait toute la différence.

Je voulais m’intégrer le plus possible dans la société française

Quand je suis partie de chez moi, je voulais faire oublier aux gens que j’étais à moitié syrienne, et que j’y avais grandi. Je voulais m’intégrer le plus possible dans la société française, je voulais qu’on me voie comme « l’une des nôtres ». Mais comme j’ai vite remarqué que, de toute façon, ça finissait par se voir que je n’avais pas grandi en France, j’ai commencé à utiliser systématiquement l’excuse « j’ai vécu en Syrie ». Vous parlez d’un paradoxe !

Deux cultures… deux fois plus d’embrouillamini dans ma tête

Quand j’ai quitté la Syrie, surtout, je ne savais toujours pas comment gérer mes deux cultures

. Pour plein de gens, avoir plus d’une culture, c’est une richesse… j’ai envie de dire : parfois, ça complique sacrément les choses dans la tête des personnes concernées ! En tout cas dans la mienne. En Syrie je ne me sentais pas Syrienne, mais plutôt étrangère (Française, supposais-je donc), pour plein de raisons. Je m’attendais donc à me sentir Française en France. EH BIEN NON, ç’aurait été trop simple.

En France, je me suis sentie… étrangère. Syrienne, alors, je suppose ? Quand je suis retournée en Syrie voir mes parents, je ne me sentais toujours pas à ma place… MAIS QUE SUIS-JE DONC ? Je répondrai à cette question un peu plus loin dans l’article, si vous voulez bien. Jusque-là, en tout cas, je m’étais simplement définie par une seule chose : je ne me sentais pas syrienne, point barre.

Toujours est-il qu’en arrivant en France, je me suis complètement coupée de mon héritage. J’ai surtout cherché à m’intégrer en France, à me faire des ami•e•s… et donc à mettre l’accent sur nos points communs (notamment le fait qu’on était tou•te•s français•es). Pour simplifier les choses dans ma tête, je me suis concentrée sur mon côté français, j’ai essayé à tout prix de combler mes lacunes, et j’ai coupé au maximum tous mes liens avec la Syrie : je n’appelais mes parents que rarement, je ne mangeais jamais syrien, je refusais de parler arabe, et je râlais démesurément lorsque je devais retourner voir ma famille en Syrie.

Bien sûr, ces réactions avaient aussi à voir avec le fait que je ne m’entendais pas avec mes parents et que je n’ai jamais aimé la langue arabe. Mais c’était surtout un moyen de supprimer le problème au lieu de le régler.

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La Syrie, même si je n’habitais pas sous une tente dans le désert et que je n’allais pas en chameau à l’école, c’est quand même assez différent de la France. Culturellement, mais aussi politiquement et socialement (là-bas, la solidarité familiale et communautaire est très prononcée par exemple). D’avoir grandi en Syrie, et non pas en France, ça fait de moi une personne différente.

Mais concilier ces deux mondes (celui où j’avais grandi et celui où je me retrouvais une fois adulte, celui où j’avais ma famille et celui où je me retrouvais seule, celui auquel j’étais habituée mais pas intégrée et celui auquel je n’étais pas habituée mais auquel je m’intégrais plutôt bien…), c’était trop difficile. Trop différent. J’étais déjà assez occupée à essayer de me faire des potes, de prendre connaissance de cette nouvelle ville et de ce nouvel environnement, de réussir mes études à Sciences Po, et de ne pas trop pleurer parce que je ne voyais plus mon petit frère… je n’allais pas en plus me pencher sur des questions compliquées d’identité culturelle ! J’allais essayer d’être aussi française que possible, effacer mes racines syriennes, et tout irait bien.

Ben ça marche pas comme ça. Je ne peux pas juste effacer une partie de mon être, qui me constitue essentiellement. Et ça, c’est ce qui ressort quand je mange syrien. C’est la culpabilité d’avoir entièrement rejeté cette partie de moi-même pendant quatre ans, c’est la nostalgie d’une culture qui me constitue en partie, c’est le rappel que je ne me sens pas complètement à l’aise dans la société française.

J’étais une étrangère et c’était légitime de me sentir comme telle

Quand j’ai fait ma troisième année de licence en Erasmus en Allemagne, c’est paradoxalement le pays où je me suis sentie le mieux, le plus à ma place. Parce qu’enfin, j’étais une étrangère et c’était légitime de me sentir comme telle. Je n’étais pas allemande, il était donc normal que j’apprécie certains aspects du pays tout en en rejetant d’autres !

Pour la première fois, je ne me sentais pas torturée dans mon identité : j’étais juste une étrangère et peu importait, au fond, ma nationalité. Parce qu’être franco-syrienne, ça ne veut pas dire être exactement moitié-moitié ; ça ne veut pas dire se sentir plus l’un que l’autre, ni exactement autant l’un que l’autre… Pour moi, ça veut dire se sentir française pour certaines choses, et syrienne pour d’autres. Ça veut dire que je me sens différente des « nationaux », tout simplement. Manger libanais, ça me le rappelle et ce n’est pas forcément agréable.

Mais si je l’accepte, si j’accepte ma nostalgie comme faisant partie de moi, ça ira mieux. Et je pourrai enfin profiter pleinement de la richesse de mes deux cultures.

À lire aussi : Cette photo de réfugié syrien mort restera dans l’Histoire, et l’indignité de la France aussi

Et toi, tu as deux cultures ? Tu as déjà ressenti un choc en entamant tout bêtement ton déjeuner ?

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Les Commentaires

6
Avatar de Morganania
3 novembre 2015 à 12h11
Morganania
Moi je ne suis pas dans ce cas-là (mais ça viendra peut-être parce que je suis expatriée en Allemagne). Par contre ma meilleure amie, de nationalité française, a passé une grande partie de son enfance au Liban et au Maroc et elle a découvert un terme pour ça : Third culture kid. Ca désigne les personnes qui ont grandi dans une culture différente de celle de leur parents, ou qui on vécu dans plusieurs pays étant jeunes et qui ont donc souvent du mal à se positionner dans une culture précise, avec les avantages et les inconvénients que ça apporte.
Et à Paris (sûrement ailleurs aussi) il y des groupes de Third culture kids qui se réunissent régulièrement autour d'une bonne bouffe et qui discutent de tout ça. Je ne suis pas la mieux placée pour en parler mais il parait que l'ambiance est très sympa, et que ça fait du bien de pouvoir discuter avec d'autres gens qui vivent la même chose. Puis il s'y crée des amitiés et des couples, tout ça tout ça
Donc voilà, ça vaut peut-être le coup pour vous de vous renseigner. Si ce n'est les réunions il y a sûrement aussi des forums, des groupes facebook, etc.
PS: Wouuh, c'est mon premier message sur le foruuum! owant:
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