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Société

Mon père n’accepte pas mon identité — Témoignage

À l’occasion de la Fête des pères 2015, cette madmoiZelle nous raconte sa relation compliquée avec un père qui n’accepte pas son identité.

J’ai 21 ans et je vis toujours chez mes parents. J’ai fait deux années de classe préparatoire aux grandes écoles de commerce mais j’ai loupé mes concours. Je me suis donc lancée dans une licence de lettres modernes, et je pense me réorienter pour être prof. Ça m’inquiète un peu dans la mesure où je connais des personnes qui n’ont pas eu leur concours à cause de leur transidentité… et ce n’est pas mon père qui va me soutenir.

Ma transidentité et mon père

J’ai été assignée garçon à la naissance ; c’est-à-dire que je suis née avec un corps considéré comme masculin. C’est vers 14 ou 15 ans que j’ai commencé à me dire que non, je ne suis pas et ne serai pas un homme. Je me disais que cela serait cool d’être une femme pendant un jour, pourquoi pas une semaine — voire de pouvoir changer quand je voulais, je serais une femme et peut-être que je redeviendrais un homme — du moins en raisonnant selon les corps assignés.

Plus tard, en prépa, j’ai découvert le féminisme et les études sur le genre, et j’ai compris que je pouvais vivre différemment de ce qu’on m’a toujours dit. Puis à la fac j’ai rencontré une personne trans qui m’en a présenté d’autres, et j’ai fini par trouver ma place — même si je ne l’assume pas auprès de personnes qui ne me mettent pas à l’aise, et que je continue de porter les vêtements « masculins » que j’exècre.

À lire aussi : 13% des jeunes en France ne sont « ni homme ni femme » : la non-binarité, c’est quoi ?

Pour ce qui est de la relation avec mon père… Je me souviens avoir été assez proche de lui dans les premières années de ma vie. C’est par exemple avec lui que j’ai appris à faire du vélo et il m’arrivait régulièrement d’en faire avec lui en soirée ou durant les week-ends lorsqu’il faisait beau. Je ne sais pas s’il s’occupait plus de moi que ma mère mais je souviens qu’il pouvait être assez attentionné. Par exemple, lorsque l’hiver venait et que je devais aller me coucher dans mon lit glacé, il venait se coucher quelques instants avant moi afin de réchauffer les couvertures. Suite à ça, je me mettais dans mon lit avec lui le temps de discuter un peu jusqu’à ce que l’on se dise bonne nuit.

father son sean penn

Les choses ont progressivement changé avec le temps. Je sais que la situation s’est beaucoup dégradée au collège même si je ne me rappelle plus de ce qui a provoqué ce changement. Je n’étais jamais assez bien à ses yeux. Il détestait que je ne fasse pas ce qu’il me demandait, et quand je le faisais, soit ce n’était pas assez bien soit j’aurais dû en faire plus.

Une pression irraisonnable

Ça fait longtemps que j’ai l’impression de n’être qu’une source de déception à ses yeux, et ça se retrouve dans beaucoup de petits exemples. Quand on partait en vacances et qu’on devait vider le coffre de la voiture, il me reprochait d’être handicapée (…) quand j’avais des difficultés à porter un certain nombre d’objets. Les cours étaient également problématiques, d’autant plus que j’avais un frère très travailleur. J’entendais toujours « tu pourrais faire mieux

», « ton frère, lui au moins il venait nous demander de lui faire réciter ses leçons », etc.

Le temps passant j’ai essayé de ne plus l’écouter. À quoi bon se donner la peine de faire quelque chose pour quelqu’un qui jugera que mes efforts ne sont pas satisfaisants ? Dernier exemple parlant : lorsque j’ai eu les résultats de mon bac, je l’ai appelé toute fière pour lui dire que j’avais une mention bien. La seule chose qu’il a su me répondre, c’est qu’il pensait que je ne l’aurais même pas…

Après ça je suis entrée en prépa, j’avais mon appart et enfin j’étais libre ! Sauf que tous les week-ends je devais rentrer chez moi. C’est mon père qui passait me chercher, et au bout de cinq minutes il fallait qu’il y ait un problème. J’aurais pu faire ça, j’aurais quand même dû laver ceci et ranger tel truc. Auparavant on se disputait tous les jours, désormais c’était deux jours par semaine quand je rentrais chez moi.

En parallèle j’ai donc découvert deux choses qui m’ont beaucoup fait changer avec la prépa : le féminisme et un magazine d’économie offert par ma mère comme je voulais faire une école de commerce. Ma prof de philo nous a parlé sexisme, et j’ai commencé à me renseigner. Le magazine m’a quant à lui permis d’évoluer sur ma pensée politique. C’était une publication de gauche qui se montrait critique du capitalisme. Moi qui vient d’une famille de droite avec un père raciste et sexiste et une mère qui le suit, j’ai vu naître un énorme fossé entre eux et moi.

the tree of life brad pitt

Je me suis montrée de plus en plus critique envers les médias, les films, l’attitude de mes parents et notamment de mon père. Lui me reprochait de ne rien savoir de la vie puisque j’étais jeune et que je n’avais pas de boulot. Ce n’était pas en prépa que je trouvais du soutien, mes camarades étant pour beaucoup sexistes et/ou racistes ; heureusement je m’étais faite des ami•e•s sur un forum.

Le contrôle extrême

Je suis maintenant en licence de lettres modernes ; mes parents ne me louent plus d’appart pour me « punir » d’avoir loupé mes concours, et je vis donc de nouveau chez eux. À la fac j’ai découvert une association de jeu de rôle/jeu de plateau qui, en dépit de ses nombreux problèmes, a joué un rôle clé dans ma vie aujourd’hui et par extension dans ma relation avec mon père. J’y ai rencontré un mec trans à qui j’ai pu poser certaines questions. Je m’interrogeais sur mon genre depuis la fin du collège et c’est avec le féminisme que j’ai découvert que je pouvais être autre chose que le genre que l’on m’avait attribué.

Cette personne m’a orientée vers quelqu’un qui serait davantage capable de m’aider, et après des mois de discussions dans une association pour personnes trans, je me suis rendue compte de ce qui causait mon malaise. C’est parce que je suis trans. J’ai donc commencé l’hormonothérapie il y a quelques mois, et j’essaye de changer progressivement mon expression de genre pour avoir le corps d’une personne assignée fille à la naissance.

Ce questionnement m’a permis d’oser être davantage moi-même, ce qui a profondément dérangé mon « cher » père. Je me suis par exemple permis une coloration que je voulais depuis des années mais que je ne faisais pas par peur de sa réaction. La première coloration rouge est plutôt bien passée, mais dès que je suis passée au bleu c’est devenu un véritable scandale. Surtout que dans le même temps je me suis autorisée à porter du vernis – j’ai un amoureux qui m’en a offert plusieurs, et inutile de dire que mon père n’est pas au courant de mes relations amoureuses. Depuis, il m’a dit que je cherchais à me marginaliser. Il m’a demandé à plusieurs reprises de retirer ce vernis. Il m’a même menacée de me virer de chez lui.

C’est le même principe pour ma chambre qui est gérée par lui : si elle n’est pas rangée selon ses désir, c’est un scandale. Dernièrement il m’a dit que je lui manquais de respect parce que j’avais laissé traîner un truc par terre. Non seulement je ne peux pas gérer ma chambre (parce que « Ça a beau être ta chambre, elle se situe dans ma maison » m’a-t-il dit) mais je n’ai pas le droit non plus de gérer mon corps, je n’ai pas le droit d’être une personne critique. Le fait que je lui tienne tête le rend malade. Il m’a dit que pour le moment il me tolérait comme j’étais, mais que ça lui faisait du mal. Il m’a demandé de rentrer dans la norme et il ne sait toujours pas que je suis trans. 

breakfast in Pluto

Pendant ce temps je vis ma transition, et comme beaucoup de personnes assignées fille à la naissance, je commence à avoir des seins… Un jour ça se verra et je ne sais pas comment ça se passera, si j’aurai toujours le droit d’habiter chez lui ou s’il me mettra à la rue. J’ai envie d’aller plus loin dans l’appropriation de mon corps, j’ai envie d’un piercing, j’ai envie de tatouages… Peu importe si ça empire la situation entre lui et moi, j’ai besoin de sentir que ce corps m’appartient.

En ce qui concerne ma mère, elle vit dans le déni par rapport à moi… Elle sait pas mal de choses, dont le fait que je me posais des questions sur mon identité, que je prends des hormones (elle a été fouiller jusque dans la poubelle de ma chambre pour le découvrir) et elle sait également que j’ai des fringues « pour femme », que je lui ai déjà emprunté des chaussures à talon. La situation était idyllique avec elle jusqu’au moment où j’ai découvert le féminisme et les luttes égalitaristes. J’ai commencé à me montrer critique vis-à-vis de ce qu’elle pouvait dire et elle apprécie moyennement…

Dernièrement elle m’a dit que je voulais transformer les garçons en filles et les filles en garçons juste parce que je disais que ça serait pas mal de ne pas donner une éducation genrée aux enfants. Elle se sent responsable de l’homosexualité de mon frère (elle croit que c’est dans ses gènes parce qu’elle a une soeur lesbienne), et de la même manière elle pense que c’est de sa faute si je ne correspond pas à la norme. J’ai souvent essayé de discuter avec elle car elle me semblait plus progressiste que mon père mais j’ai l’impression qu’elle est incapable de m’écouter.

J’ai envisagé de partir de chez mes parents mais je ne peux pas avoir de bourse puisque ils ont des revenus trop important… Je pourrais avoir une solution si jamais ils me viraient de chez eux : demander une pension alimentaire et porter plainte contre eux s’ils la refusent comme ils ont l’obligation légale de financer mes études. En dehors de cela, j’ai vu une assistante sociale pour savoir ce qu’il était possible de faire, et rien n’est possible à part trouver un boulot… Sauf que j’ai peur d’avoir un travail parce que je suis en début de transition, que mon corps est amené à changer dans les mois à venir.

En conclusion…

Ma relation avec mon père est très violente psychologiquement parlant. Il m’a toujours rabaissée et il cherche aujourd’hui à nier qui je suis. Je lui ai dit il y a peu qu’il était une des raisons qui me donnaient envie de me foutre en l’air, et tout ce qu’il a su me répondre c’est que c’est grâce à lui que je vivais. Alors certes il est mon père, certes son argent a permis de me payer un certain nombre de choses, mais aujourd’hui c’est principalement à cause de lui que je ne me sens pas bien. Pour cette raison, j’angoisse à l’approche de la Fête des Pères. Je n’ai pas envie qu’il passe une bonne fête, je n’ai pas envie de lui souhaiter la moindre bonne chose.

À lire aussi : « Assignée garçon », les réalités trans expliquées par Sophie Labelle, en BD

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Les Commentaires

37
Avatar de Airyel
22 juin 2015 à 13h06
Airyel
Je rejoins plein d'autres Madz pour dire à la Mad qui a écrit ce témoignage qu'il existe des bourses spéciales pour étudiants en rupture familiale, ainsi que des associations comme Le Refuge, présentes dans de nombreuses villes de France pour lui permettre de quitter, si ce n'est pour toujours, au moins le temps d'être indépendante, cet environnement familial toxique... Il ne s'agit pas de ne jamais revoir ses parents, bien sûr, mais de prendre une distance nécessaire avec eux jusqu'à ce que le dialogue devienne possible...
En tout cas je t'envoie mille pensées de soutien et de courage, et si jamais tu habites sur Lyon, n'hésite pas à m'envoyer un MP si tu as besoin d'un hébergement de transition ou quoi que ce soit !
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