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Capture d'écran du documentaire Bootyful de Rokhaya Diallo
Cinéma

On a pu voir le docu de Rokhaya Diallo sur les fesses, #Bootyful : alors, ça bounce ?

Le sujet peut prêter à sourire, mais il y en a, des choses à dire sur les derrières ! Bootyful, le nouveau documentaire de la journaliste et autrice Rokhaya Diallo, s’attaque à un terrain encore peu foulé en France : la mode des grosses fesses.

« Oh my god, Becky look at her butt, it is so big, she looks like one of those rap guys’ girlfriends » (« Oh mon Dieu Becky, regarde ses fesses, elles sont si grosses, elle ressemble à une meuf de rappeur »), s’exclame la voix outrée d’une jeune femme dans l’intro de la célèbre chanson Baby Got Back de Sir-Mix-A-Lot, reprise plus tard par Nicki Minaj avec son titre Anacondadeux hits qui célèbrent les gros derrières.

D’autres artistes, comme les Destiny’s Child avec Bootylicious, les Black Eyed Peas avec My Humps, ou encore Major Lazer avec son hypnotisant Bubble Butt, rendent hommage aux fesses proéminentes.

Pourtant, lorsque j’étais encore au collège dans les années 2000, les grosses fesses n’étaient pas aussi adulées. La mode était aux gros bonnets… de soutien-gorge : avoir un cul bombé, c’était la honte.

Depuis, la tendance est aux gros fessiers — dans les clips, sur Instagram et même sur les couvertures de journaux (comme sur la Une de Paper Magazine, où les courbes huilées de Kim Kardashian étaient supposées casser internet), elles sont partout. Si bien que l’augmentation des fesses a été la procédure de chirurgie esthétique connaissant la plus forte hausse en 2018 (+19 %).

Cette mode, Rokhaya Diallo a décidé de la disséquer dans son nouveau documentaire, Bootyful, diffusé à partir du dimanche 19 décembre sur la plateforme France TV Slash. Je l’ai visionné en avant-première et ai posé quelques questions à sa productrice.

Alors, les gros derrières, nouvelle injonction sexiste ou outil body positive ?

Rohaya Diallo rebondit sur les fesses dans Bootyful

Madmoizelle : On va pas se mentir, ça fait un moment que les grosses fesses et ce qu’on assimile au twerk existent. Seulement avant, c’était beaucoup plus mal vu, voire stigmatisé. Pourquoi ?

Rokhaya Diallo : Il y a vraiment eu une variation par rapport à l’appréciation des fesses. Elles ont été un critère de beauté à plusieurs époques, notamment durant la dynastie Ming en Chine ou à l’époque de l’Ancien Régime avec les croupes qu’on ajoutait aux robes. Mais il y a eu une racialisation des fesses à partir de l’époque coloniale.

« Les grosses fesses faisaient l’objet d’une fascination/répulsion : c’était enviable, mais pas chez les bourgeois où c’est l’extrême minceur qui prime. »

Rokhaya Diallo

Les fesses ont été dessinées dans l’imaginaire collectif comme étant un attribut spécifique des femmes noires. La Vénus Hottentote, de son vrai nom Sarah Baartman, cette femme d’origine sud-africaine qui a été déportée en Europe pour devenir un objet de foire, a été victime de ça.

Sous le prétexte de ses fesses proéminentes, elle s’est retrouvée exhibée et a été victime de sévices sexuels, et ce, même après sa mort puisque ses parties génitales ont été disséquées et exposées au Musée de l’Homme jusqu’au début des années 70.

Avec Joséphine Baker aussi, on le voit. Les chorégraphies qui ont été adoptées pour la mettre en scène alimentaient également cet imaginaire par rapport aux fesses des femmes noires.

En vérité, les femmes noires n’ont pas toutes des grosses fesses, mais c’est resté ancré comme ça. C’était d’ailleurs un critère de beauté dans pas mal de communautés afro-descendantes, tout en étant quand même considéré comme quelque chose de vulgaire dans les sociétés occidentales. Les grosses fesses faisaient l’objet d’une fascination/répulsion : c’était enviable, mais pas chez les bourgeois, où c’est l’extrême minceur qui prime.

Est-ce que ça a changé aujourd’hui ? Ou c’est une appréciation qui reste en marge, même si elle se popularise de plus en plus ?

Ça change dans les jeunes générations. On remarque que les jeunes femmes sont moins minces que les femmes plus âgées. Malgré tout — et Kiyémis le dit bien dans mon documentaire — dans la bourgeoisie, le critère de beauté reste la minceur.

Capture d'écran du documentaire Bootyful de Rokhaya Diallo

À quel moment et pourquoi les grosses fesses sont-elles devenues à la mode ?

Dans les communautés noires, dès les années 90, où on pouvait voir des grosses fesses dans les clips de rap ou dans des chansons africaines, ça a toujours été considéré comme quelque chose de sexy.

Il y a eu deux temps : l’époque Jennifer Lopez à la fin des années 90 où avoir des fesses est devenu très valorisé. Une légende disait même qu’elle avait fait assurer son fessier car c’était un des atouts de sa carrière…

Ce qui est intéressant, c’est qu’elle avait des fesses, mais pas plus que certaines femmes noires qui étaient déjà dans l’industrie du divertissement. Finalement, c’est seulement sur le corps d’une femme non noire qu’on fait des fesses quelque chose d’érotique et de plus ou moins respectable.

« Il y a eu un effet Kim Kardashian, qui s’est approprié une esthétique associée aux femmes noires et qui a modelé sa silhouette en fonction de ça. »

Rokhaya Diallo

Ensuite, il y a eu un effet Kim Kardashian, qui s’est approprié une esthétique associée aux femmes noires et qui a modelé sa silhouette en fonction de ça. Comme ce n’est pas une femme noire, davantage de personnes se sont identifiées à cette esthétique et c’est devenu un critère de beauté enviable.

Est-ce que, justement, tu penses que les grosses fesses sont devenues tendance parce qu’elles ont été récemment popularisées par des femmes non noires ?

Il a fallu que des femmes non noires adoptent ces codes pour qu’on les considère comme enviables, oui.

Le documentaire parle aussi pas mal de danse, notamment de twerk ou de danses africaines. C’était quelque chose de très mal vu par les cultures occidentales, sauf à partir du moment où des chanteuses blanches, comme Miley Cyrus se sont mises à en faire. On lui prête même l’invention du twerk, ce qui est faux. Qu’en penses-tu ?

Le twerk est un dérivé du mapouka, une danse ivoirienne traditionnelle assez connue, qui, à l’origine, n’a aucune connotation sexuelle.

Ce qu’il s’est passé, c’est que les créatrices originelles de cette danse ont été invisibilisées et il a fallu que Miley Cyrus performe cette danse pour qu’on la voit et qu’on l’envisage comme une danse à part entière !

Cette danse existait depuis longtemps, elle était déjà présente dans les imaginaires collectifs, notamment à travers les clips de rap. Non seulement elle a été rendue visible sur le corps d’une femme blanche, qui d’ailleurs n’a pas fait la meilleure performance du monde (rires), mais en plus, ça a été réduit à un aspect sexuel.

En quoi est-ce que cette mode peut constituer une nouvelle injonction pour les femmes ?

Comme le dit Kiyémis dans le documentaire : on aime bien les grosses fesses, mais pas les gros corps. Or, la plupart des femmes grosses ont des grosses fesses. Mais ce n’est pas sur les corps gros que la société veut des grosses fesses : on en veut sur des corps minces, avec une taille fine, un dos étroit et un ventre plat. Ce qui, sur le plan anatomique, est rarissime.

La pression est là ! On demande encore une fois aux femmes de réaliser l’impossible.

« Il y a une évolution, car on voit plus de femmes avec des formes, et ça fait du bien, mais ça reste un certain type de corps qui est valorisé. »

Rokhaya Diallo

Il y a une évolution, car on voit plus de femmes avec des formes, et ça fait du bien, mais ça reste un certain type de corps qui est valorisé. Ça reste très réducteur. C’est body positive, mais ce sont toujours les mêmes normes mises en avant !

Même quand on voit des femmes grosses, ça sera toujours des femmes avec la taille marquée, certains traits du visage, etc.

Le documentaire montre quand même des femmes qui se sont senties empouvoirées du fait de danser ou de montrer leurs fesses, notamment avec la Booty Therapy. Ça peut quand même donc être un outil pour se réapproprier l’image de son corps ?

Il y a deux choses différentes. Il y a le fait de libérer son corps du regard patriarcal et donc de l’assumer et de le montrer tel qu’il est. Et il y a le fait de devoir montrer son corps uniquement quand il ressemble à certains canons de beauté.

Ce qui est bien avec la Booty Therapy, c’est que toutes les fesses sont les bienvenues. La question est de réussir à appréhender son corps et de le laisser vivre dans l’espace sans se dire « il faut que mes fesses soient comme ça pour m’autoriser à être visible ».

Maïmouna Coulibaly, qui dispense des cours de Booty Therapy, travaille sur des danses héritées d’Afrique et les reconnecte avec leurs origines pour aller au-delà de l’effet de mode. Elle raconte qu’il y a beaucoup de cultures dans lesquelles les hanches sont le siège des émotions, et que bouger cette partie du corps est libérateur.

Est-ce que la mode des grosses fesses, avec toutes les injonctions qu’elle peut créer, est incompatible avec le féminisme, selon toi ?

Pour moi, ce qui est féministe, c’est le droit de disposer de son corps. À partir du moment où c’est le cas et qu’on essaye de se départir au maximum des injonctions patriarcales et qu’on s’autorise à le montrer ou à le couvrir selon ses choix et pas selon des critères extérieurs, c’est féministe.

Qu’on ait envie de montrer ses fesses ou de les cacher, l’important est de le faire en vertu d’un choix personnel. Pour moi, ce qui est anti-féministe, c’est de critiquer la liberté de choix d’une femme.

Il y a beaucoup de critiques à l’encontre de Nicki Minaj vis-à-vis de ça, alors que c’est une super rappeuse qui a réussi à s’imposer dans un monde d’hommes et qui a un discours féministe. Ce qui dérange, c’est qu’elle assume sa sexualité et les manifestations physiques de son désir en public.

Est-ce que cette fascination/répulsion autour des fesses n’a pas justement un lien avec le fait que les femmes, particulièrement les femmes noires, osent exprimer leur désir et leur plaisir ?

Bien sûr ! La sexualité des femmes doit toujours être sous le contrôle du prisme masculin. Et c’est bien ça le problème !

Et qu’en est-il des fesses des hommes, alors ?

Les fesses des hommes ne sont pas, ou peu, sexualisées. Les rares fois où elles le sont, c’est toujours pour nourrir le désir masculin, puisque c’est dans des contextes homosexuels. On sexualise très peu les fesses des hommes à destination du désir féminin.

La question des fesses est associée à la sexualité strictement quand il s’agit des femmes.

Et toi, quel est ton rapport à ces injonctions ?

Quand on est une femme dans l’espace public, on est forcément sujette à des injonctions d’apparence. Je le vois quand je dois m’habiller pour des émissions de télé : si on ne fait pas une certaine taille, c’est compliqué.

Il se trouve que je correspond à la norme, mais il m’est arrivé d’avoir pris quelques kilos et de ne plus pouvoir m’habiller avant une émission avec les vêtements disponibles, par exemple.

Quand on est une femme avec un héritage qui fait qu’on a plus de hanches, même en étant menue, tout ne nous va pas, et tout n’est pas adapté. Il y a des morphologies qui ne sont tout simplement pas pensées.

Tu avais fait un documentaire sur l’image de la parisienne, La Parisienne démystifiée. Tu sors maintenant celui-ci, sur les fesses. Vas-tu t’attaquer à d’autres images de la femme ?

Je vais écrire sur le féminisme et puis il y a mon livre avec Grace Ly, sur notre podcast Kiffe ta race, qui sort le 13 janvier 2022. Il y aura tout de même une partie de l’ouvrage qui parle des norme de beauté sous le prisme racial !

Bootyful est à retrouver à partir de dimanche 19 décembre sur France TV Slash

À lire aussi : Rokhaya Diallo, Daria Marx… 11 activistes françaises racontent leurs victoires

Crédits photos : Capture d’écran du trailer du documentaire Bootyful de Rokhaya Diallo sur France TV Slash


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