Le 7 juin 2021
« Quand ceux qui répondent et ceux qui observent cette haine disent “ce ne sont que des mots”, ce que nous entendons c’est “ce ne sont que des femmes”. »
Ces mots durs, mais justes sont prononcés dans le documentaire #SalePute, disponible sur Arte et réalisé par les journalistes belges Florence Hainaut et Myriam Leroy. Les deux femmes ont enquêté sur un phénomène qu’elles connaissent bien, car elles en ont déjà fait les frais : le cyberharcèlement.
Les femmes sont 27 fois plus susceptibles que les hommes d’être cyberharcelées
Une dizaine de femmes venant de France, de Belgique, d’Inde ou d’Allemagne se succèdent face caméra pour raconter comment leur vie a basculé quand les réseaux sociaux se sont retournés contre elles. Ces femmes sont des personnalités publiques – des journalistes, des humoristes, des politiques, des streameuses…
La raison de leur cyberharcèlement ? Elles ont tout simplement osé exprimer leurs opinions dans l’espace public. Pour certains, cela justifie insultes misogynes, menaces de viol ou de mort comme le montrent ces chiffres édifiants :
- Les femmes sont 27 fois plus susceptibles que les hommes d’être harcelées via Internet selon une étude de 2017 du European Women’s Lobby
- D’après l’ONU, 73% des femmes ont été exposées à de la violence sur Internet.
- 1 tweet sur 15 mentionnant une femme blanche est abusif, et ça monte à 1 tweet sur 10 mentionnant une femme noire (Amnesty International).
#SalePute montre que le cyberharcèlement des femmes n’est pas une accumulation de cas isolés à traiter sous le simple angle du fait divers. On a ici affaire à un phénomène systémique avec des histoires similaires qui, au final, racontent la même chose : le mépris des femmes.
Des conséquences psychologiques fortes pour les victimes
Pour une chronique de 2 minutes à la radio, la journaliste Nadia Daam a été menacée de mort. Pour l’activiste indienne Trisha Shetty, c’est venu du fait qu’elle a osé rappeler l’importance du consentement dans le mariage. Sara Lou
est une youtubeuse belge voilée, Alice Barbe à la tête d’une association d’aide aux migrants…
Toutes exposées à la haine en ligne, ces femmes parlent des lourdes conséquences psychologiques de ce cyberharcèlement. Dans un témoignage fort, Nadia Daam avoue être moins joyeuse qu’avant :
« Psychologiquement, c’est raide et je pense que c’est un truc dont on ne parle pas tellement parce qu’on a tendance à présenter les victimes de harcèlement et de cyberharcèlement comme des warriors, comme des guerrières, comme des personnes censées transformer cette expérience douloureuse en combat politique lui-même censé les rendre encore plus convaincues et combatives.
Alors qu’en fait, ça ne donne peut-être pas envie de crever, mais de se terrer sous la couette, et de dormir très longtemps, et de ne pas exister. »
#SalePute insiste sur un autre point : le profil des harceleurs n’est pas toujours celui que l’on croit. Ces derniers ne sont pas que des gosses, « des puceaux » qui doivent grandir, mais pour la plupart des hommes de classe moyenne ou classe moyenne supérieure, des « bons voisins », des pères de famille.
Que font la justice et les plateformes pour répondre à ce déferlement de haine ?
Face à ces affaires, les institutions ne sont pas toujours d’une grande aide et l’assistance pour les victimes est quasi inexistante. La streameuse Manonolita explique avoir porté plainte trois fois et avoir passé beaucoup de temps à expliquer comment fonctionnent les plateformes sur lesquelles elle est harcelée. Au final, la police lui a conseillé de quitter Internet…
Lauren Bastide fait d’ailleurs une comparaison intéressante avec la culture du viol. Pour la journaliste, le cyberharcèlement est banalisé, voire toléré par la société, qui affirme aux victimes qu’elles l’ont « bien cherché » et devraient se taire, simplement supprimer leur compte. La solution est-elle donc de se plier aux injonctions des harceleurs ?
Autre maillon important de la chaîne : les plateformes. La plupart affirment ne s’occuper que de la technique et non du contenu, brandissant l’excuse de la liberté d’expression. Pour Anna-Lena Von Hodenberg, présidente d’une association d’aide aux victimes allemande, les réseaux sociaux gagnent de l’argent grâce à ces contenus haineux qui fonctionnent mieux :
« La haine fait partie de leur business model. »
Un documentaire comme #SalePute est d’utilité publique, car il ne minore aucun aspect du cyberharcèlement. Cette haine, si banalisée que les femmes n’en parlent pas toujours librement, est ici exposée aux yeux de tous. Comme l’explique justement la voix off à laquelle nous laissons le dernier mot :
« Ce film est là pour ça : pour que ceux qui le regardent ne puissent plus dire qu’ils ne sont pas au courant. »
#SalePute est disponible sur Arte.tv et sera diffusé sur Arte le 23 juin 2021 à 22h35.
À lire aussi : Comment aider une personne cyberharcelée
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
C'est vraiment un très bon reportage, édifiant. Je vous conseille, mêle si je suis ressortie du visionnage en colère, dégoûtée et déprimée.