Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.
Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des sénégalaises et sa deuxième étape l’a menée au Liban ! Elle y a réalisé interviews, portraits, reportages, publiés au fil des jours sur madmoiZelle.
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- Précédemment : Au Liban, une ONG à l’avant-garde sur le sujet des masculinités dont on devrait s’inspirer
Dans mon article précédent, je vous parlais de l’ONG féministe Abaad et du fait qu’elle travaille sur les masculinités depuis 2011.
J’ai échangé avec Anthony, le responsable du programme « masculinités ».
« Être un homme » au Liban
Anthony a tenté de me donner une vision de ce que signifie « être un homme » au Liban.
« Il y a beaucoup de différentes manières d’être un homme au Liban car elles varient selon la classe sociale, la confession, la nationalité même selon que l’on est syrien ou libanais.
Mais je pense que ce qui les rassemble est la notion de pouvoir, comme partout dans le monde : l’argent, certes, mais ici il y a le concept particulier de « wasta », cette relation que tu connais et qui peut te permettre de faire des choses plus vite, mieux. »
En fait, c’est un peu comme la notion de piston, mais ici elle est bien plus ancrée, plus omniprésente.
C’est le fait de connaître des gens qui augmentent ton pouvoir social et c’est un élément déterminant de la masculinité selon Anthony.
La masculinité au Liban, directement liée aux problématiques de violences
Très vite, il intègre à la réflexion qu’il déroule devant moi la dimension du conflit.
« Je pense que la violence est un autre élément déterminant concernant la masculinité au Liban.
Je ne crois pas vraiment à l’idée de « post-conflit », le Liban n’a jamais été vraiment en situation de paix durable.
La guerre civile est encore récente [ndlr : 1975-1997], ceux qui étaient les chefs de guerre à l’époque sont aujourd’hui encore les politiciens qui régissent le pays, même si ce n’est pas officiel les partis politiques ont encore des branches armées…
On a donc tendance à élever nos enfants avec l’objectif qu’ils soient forts et violents, car s’ils ne le sont pas, ils ne seront peut-être pas capables de survivre ? »
Selon lui, c’est le mystère de l’œuf et la poule : « est-ce que c’est parce que l’on nous a élevés à être « le plus fort, le plus violent » que nous entretenons un climat de guerre, ou est-ce à cause de la guerre que nous devenons violents ? »
« Quoi qu’il en soit, c’est un cercle vicieux, qui se répercute dans le quotidien. »
La violence et la puissance, éléments constitutifs pour « être un homme, un vrai » au Liban
Pendant qu’il m’explique la construction de la nécessité de puissance, de violence, je repense à une discussion que j’ai eu avec de jeunes libanais de mon âge quelques jours auparavant.
Ils m’expliquaient, fiers, qu’ils avaient des armes chez eux. L’un d’eux me racontait :
« Nos parents nous apprennent à tirer à la kalash, car ils ont été élevés dans la guerre. Et ils ont peur que ça recommence.
J’avais même un 9mm dans ma voiture jusqu’à il y a peu, mais je l’ai enlevé car je me dis, si c’est là, je risque de m’en servir un jour. »
Au moment où il achevait sa phrase, un autre le coupait : « Mais pourquoi tu l’as enlevé ? Tu vas faire comment si tu en as besoin un jour ?! ».
Et d’enchaîner sur l’histoire d’une altercation entre deux voitures qui s’étaient achevée avec un homme abattu par balle l’an passé
pour appuyer son propos.
Je raconte cette anecdote à Anthony, qui la trouve très représentative : avec la crise syrienne, avec les tensions entre le Liban et Israël, les gens sont effrayés d’avoir de nouveau besoin d’armes.
Et même pour se défendre dans la rue, ils les estiment nécessaires.
« Pourtant, en 17 ans ici, je ne me suis jamais retrouvé dans une situation de « tue ou soit tué ». Cette mort dont il parle après l’altercation, elle n’aurait jamais dû se produire, il n’y avait pas besoin d’armes, c’était une simple dispute.
Et c’est renforcé par la société : dans ce que tu racontes, il s’est peut-être senti jugé par ses pairs.
Et maintenant si ça se trouve, il ne va peut-être plus oser dire qu’il a retiré cette arme de sa voiture, ou bien il va carrément la replacer dans sa voiture alors qu’il avait la bonne démarche. »
Patriarcat et violence vont de paire, tout comme paix et genre
Pour Anthony, c’est directement lié à l’identité, à l’idée qu’ils se font de la masculinité.
« Une société patriarcale est violente parce qu’on attache la violence à l’idée de masculinité.
Dans les sociétés riches que l’on trouve en Europe, aux États-Unis, en Russie, en Iran, en Arabie Saoudite, c’est la même chose !
Seulement, on ne voit pas directement la violence car ce sont eux qui tirent les ficelles mais les conséquences se produisent ici, juste devant nos yeux. »
Ce qui rend la problématique de la masculinité et de la violence peut-être plus évidente à cerner dans ce contexte local.
« Paix et genre sont directement liés. À moins que nous ne commencions à vraiment travailler là-dessus, à essayer de détacher la masculinité de l’impératif de violence, on ne parviendra pas à sortir de ce cycle dont les premières victimes sont les femmes — même si elles contribuent parfois à le maintenir en élevant leurs fils pour qu’ils soient forts et durs. »
C’est donc à déconstruire cela petit à petit qu’Anthony s’attèle au quotidien, même s’il déplore que ce type d’activités ne reçoivent que « quelques millions de dollar quand des milliards sont dépensés pour armer des milices ».
Abaad, un modèle pour l’approche du genre ?
Pour moi, le fait de reconnaître comme le dit Anthony que « les hommes sont des êtres genrés, comme le sont les femmes » est essentiel si on veut un jour atteindre l’égalité.
J’ai trouvé en lui et en Abaad de véritables modèles pour une approche « holistique » du sujet, même si de la même manière qu’il se refuse à « copier/coller ce que l’on pourrait trouver en Suède, en France, aux États-Unis », il faut bien sûr adapter leurs enseignements au contexte français.
- À suivre : Fatma Racha Shehadeh, réalisatrice libanaise de 23 ans (et déjà deux fois à Cannes)
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Les Commentaires
Ca me fait toujours bizarre de voir ma famille libanaise qui est fondé sur des principes de violence et de masculinité assez forte !
Trés interessant et touchant pour une fille qui a un pere libanais je l'ai d'ailleurs partagé a mon groupe de discussion de famille ! Je veux avoir leurs réactions stay tuned!