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Actualités France

La Loi Renseignement et ses enjeux : liberté, égalité… sécurité ?

La Loi Renseignement suscite énormément de craintes et de critiques. Explication des enjeux de cette loi, avec l’aide de séries qui explorent déjà un monde… sous surveillance.

Mardi 5 mai, les députés ont adopté la Loi Renseignement à l’Assemblée Nationale, par 438 voix pour, 86 contre et 42 abstentions. Ce n’est qu’une première étape : la loi doit ensuite être adoptée dans les mêmes termes par le Sénat, et ses décrets d’application doivent être pris par le pouvoir exécutif afin que ses dispositions entrent en vigueur.

Mais c’est une première étape décisive : malgré les très nombreuses et très sonores protestations qui se sont élevées de toutes parts, des médias, d’élu•e•s, comme de particuliers, le gouvernement a maintenu son cap, et la majorité des député•e•s l’a suivi.

Voilà qui ne devrait pas calmer la colère de Bonjour Tristesse, qui avait consacré un épisode spécial à ce projet de loi :

La nécessité de garantir les moyens d’assurer notre sécurité

La Loi Renseignement part d’une nécessité, celle de mettre à jour les dispositions des textes précédents, régissant la surveillance, qui datent d’avant l’ère d’Internet. Or il y a belle lurette qu’on ne s’envoie plus des messages codés par fax ni par courrier. Au-delà de nos moyens de communication, ce sont également nos modes de communication qui ont profondément changé.

Nos conversations sur Facebook relèvent-elles de la sphère publique, ou de la sphère privée ? En message privé, la question ne se pose pas. Mais du mur à mur ? Vous ne maîtrisez pas qui voit les messages que vous postez sur les murs de vos amis. Et dans un groupe ? S’il est« privé », mais qu’il contient des centaines de membres, est-il encore privé ?

Une loi de « mise à jour » sur les moyens et les modes de surveillance est donc loin d’être incongrue, et le projet de Loi Renseignement partait donc d’une bonne intention. Le chemin vers l’enfer en est pavé, comme le contenu de ce texte extrêmement controversé semble effectivement le confirmer…

Les points qui fâchent

Il y a déjà la manière de procéder : plusieurs mesures, qui semblent disproportionnées, sont présentées comme une nécessité de légaliser des pratiques déjà existantes.

On peut aussi décider que ces pratiques SONT abusives (et inefficaces, donc in fine, excessivement coûteuses), et arrêter les frais. L’argument qui consiste à avancer « qu’on le fait déjà » n’est pas exactement de nature à rassurer tou•te•s celles et ceux qui voient dans ce projet de loi une réelle menace pour les libertés individuelles…

Face à ces critiques, le gouvernement a publié un « vrai / faux » sur les arguments qui circulent dans les médias depuis le dépôt du projet de loi ; Le Monde a revu et corrigé la copie du gouvernement, et nuance un peu les réponses officielles.

Le principal point qui cristallise les critiques des opposant•e•s est celui de la « boîte noire », censée analyser tout le trafic Internet des fournisseurs d’accès, pour repérer les comportements suspects. Il s’agit d’un « algorithme » selon le gouvernement, dont le rôle se limite à identifier des recherches qui pourraient trahir des activités criminelles. Un procédé dénoncé comme étant une « surveillance de masse », selon les opposant•e•s au projet de loi.

La loi sur le renseignement expliquée en patates (vidéo ci-dessous) résume très clairement les objectifs de cette loi, ses dispositions, et ses possibles effets pervers.

« L’algorithme » ou les nouveaux anges gardiens…

J’ai lu attentivement les explications des défenseurs du projet de loi à propos de ce fameux « algorithme », qui sera(it ?) censé recueillir et analyser toutes nos données, mais « capot fermé ». C’est à dire qu’il s’agirait d’une sorte de boîte noire, avec laquelle on ne pourrait pas interférer.

Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le parallèle avec la série Person of Interest, dont j’ai dévoré les 4 saisons récemment. L’histoire est exactement celle d’une « machine » capable d’analyser absolument tous les flux de communication : ordinateurs, téléphones, systèmes de surveillance, tout passe dans cette « boîte noire » que son inventeur a justement scellée, pour empêcher qu’un tiers mal intentionné n’utilise ce pouvoir pour cibler précisément des individus.

La machine détecte des comportements suspects, et elle est capable d’identifier soit les victimes, soit les coupables de crimes prémédités — y compris, bien entendu, les complots terroristes. Elle livre alors le numéro de sécurité sociale des suspects (victimes ou coupables) aux autorités, qui n’ont que cette information : le ou la propriétaire de ce numéro de sécurité sociale est liée d’une manière ou d’une autre à un complot terroriste (pour les « numéros pertinents »), ou à un crime violent (pour les « numéros non pertinents »).

Ça, c’est le pitch de base de la série. En quatre saisons, le scénario évolue et explore notamment, en permanence, les limites de ce système, les implications éthiques et philosophiques de la surveillance de masse, et des nouveaux choix qu’elle amène.

Et malgré les très louables intentions de l’inventeur de la machine, malgré les très louables intentions protectrices du gouvernement, de nombreux problèmes apparaissent… (Ne lisez pas le texte surligné en noir si vous ne voulez pas que je vous révèle la base des saisons 3 et 4. Enfin c’est du spoil « léger », mais je préviens quand même.)

…Lorsque le public apprend que le gouvernement possède une telle machine, comment croyez-vous qu’il réagisse ? Le gouvernement est obligé de se distancier du projet, car même s’il a permis de déjouer de nombreux complots terroristes, les gens ne sont pas du tout prêts à renoncer à toute confidentialité !

…Et bien sûr, il y a ceux qui voudraient désespérément ouvrir « le capot » de la boîte noire… Et qui finissent pas développer une autre machine, qui leur permet cette fois-ci de lancer des recherches sur des personnes en particulier (et alors ça se gâte sérieusement pour les héros de la série.)

…Et bien sûr, les criminels finissent par développer un « réseau fantôme », qui échappe à la surveillance des deux machines.

En résumé :

  • Les meilleures intentions du monde ne sont pas une garantie qu’elles resteront ainsi.
  • On accepte (un peu trop) volontiers de céder un peu de liberté en échange de plus de sécurité, jusqu’à ce qu’on réalise concrètement quelles libertés nous ont été retirées.
  • Les terroristes contourneront toujours les moyens de surveillance légale.

Les frères Kouachi, auteurs de l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo, avaient fait l’objet d’une surveillance pendant plusieurs mois : filatures, écoutes, rien n’avait permis aux autorités de prévoir l’attaque, comme le pointait France Info :

« Les frères Kouachi ont été suivis, physiquement. Ils ont été écoutés et ils ont même été espionnés sur internet. Saïd Kouachi a été suivi comme ça jusqu’à l’été dernier. Mais il n’y avait rien dans leur comportement de suspect d’un point de vue terroriste, selon nos informations. Ils étaient dans un quotidien de petit délinquant sans grande envergure. »

À lire aussi : Je suis Charlie Hebdo, le choc des images et la colère des mots

On ne peut décemment pas filer et surveiller les gens indéfiniment, au cas où ils décideraient de passer à l’action… Mais la solution est-elle réellement de mettre tout le monde en « surveillance passive », par le biais de ces boîtes noires, où un algorithme analyserait et tirerait les comportements suspects ?

La « jurisprudence Snowden »

Au même moment, les États-Unis s’apprêtent à revoir (et reconduire ?) les conditions d’application du Patriot Act.

Pour un aperçu absolument glaçant de ce que cette loi confère comme pouvoir aux services de police américains, je vous recommande quelques épisodes de la série NCIS Los Angeles (ça marche sans doute aussi avec les autres NCIS, mais moi j’ai regardé Los Angeles).

À lire aussi : John Oliver et Edward Snowden expliquent le Patriot Act (avec des photos de pénis)

Les agents qui enquêtent sur des crimes liés à la sécurité nationale ou le secret défense invoquent régulièrement le Patriot Act lorsqu’ils coincent un•e suspect•e, ou simplement un témoin. Parce que la personne est « soupçonnée de complicité de terrorisme » et qu’il existe « un risque pour la sécurité nationale », les agents peuvent la mettre en garde à vue sans avocat, et menacent régulièrement un personnage de « l’envoyer à Guantanamo d’ici ce soir », avant d’ajouter : « si bien sûr tu es innocent, tu devrais ressortir dès que la procédure le mettra… Oh, d’ici quelques semaines ? ».

Les nouveaux cow-boys, mesdames et messieurs. Alors oui, écoutez, c’est formidable, si vous saviez le nombre d’attentats terroristes que ces beaux agents ont réussi à déjouer, en six saisons seulement ! Franchement, j’en ai des frissons en re-pensant au nombre de bombes nucléaires qui auraient pu annihiler Los Angeles…

Mais à quel prix ? Au prix de menacer la boulangère qui vendait son pain au terroriste présumé de la maintenir trois jours en garde à vue ? Au point de l’accuser de complicité de terrorisme si elle refuse de porter un micro pour coincer le suspect ? Bien sûr, c’est de la fiction. Mais il y a de troublantes ressemblances avec des dispositions de la Loi Renseignement : le fait de pouvoir se passer de l’aval non seulement d’un juge, mais également de la commission censée examiner la légitimité des demandes de surveillance.

Les motifs selon lesquels l’autorisation pourra être accordée par le pouvoir exécutif, sans autre forme de contrôle, ressemblent beaucoup à ceux du Patriot Act : la sécurité nationale, la menace terroriste… Ce que pense le New York Times de la Loi Renseignement n’est pas spécialement rassurant quant à la proportionnalité des mesures préconisées :

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« Au moment où le législateur américain s’interroge sur les pouvoirs de surveillance de masse conférés au gouvernement après les attentats du 11 septembre, l’Assemblée Nationale française a fait un pas décisif dans la direction opposée mardi, en approuvant d’une écrasante majorité un projet de loi qui pourrait accorder aux autorités la capacité de mener la surveillance domestique la plus intrusive jamais vue, et ce avec peu ou pas de supervision d’un juge. »

« Je n’ai rien à me reprocher »

Ma première réaction dans ce débat aura sans doute été celle partagée par beaucoup de gens : je n’ai strictement rien à me reprocher. Vous pouvez bien écouter mes passionnantes conversations téléphoniques avec ma mutuelle, lire mes textos à base de « Jarriv ds 10min » et autres « T où??? ».

Vous pouvez même lire mes emails : honnêtement, j’en reçois tellement que je ne les lis pas tous moi-même. Quant à Facebook, sincèrement, c’est déjà tellement l’étalage que je ne vois pas ce que vous pourriez apprendre de plus de ma vie en farfouillant aussi dans mes conversations privées.

Je n’ai rien à cacher. Mais voilà. Ce n’est pas moi qui fixe ce qui constitue une chose « à se reprocher » ou non. Si demain, un autre gouvernement décide que le véganisme est désormais considéré comme une activité terroriste (et ce n’est même pas complètement loufoque comme hypothèse), tout à coup, j’aurais quelque chose à cacher…

Imaginons un gouvernement qui criminalise l’homosexualité ? Qui décide de considérer le féminisme comme une mouvance idéologique dangereuse ? Toutes les personnes qui ne se sentent pas concernées par la surveillance de masse parce qu’elles n’ont « rien à se reprocher » devraient garder à l’esprit que ce n’est pas à elles de déterminer ce qui constitue un comportement suspect… et c’est bien là le fond du problème.

La talentueuse Klaire fait Grr nous illustre le souci, avec humour, mais non sans pertinence, dans le Dans ton Flux du 1er mai :

Titiou Lecoq avait, quant à elle, imaginé un outil comme la Loi Renseignement entre les mains d’un gouvernement… Front National. Là encore, on n’est pas tout à fait dans la science fiction.

On apprenait hier que Robert Ménard, un élu d’extrême-droite, fichait les élèves des écoles de sa municipalité, en fonction de leur confession religieuse. À partir de leur patronyme. Ce qui est idiot, mais aussi illégal.

À lire aussi : Les « prénoms d’origine musulmane » de Robert Ménard, ça n’existe pas [MAJ]

Dans un État de droit, seul un juge peut autoriser des mesures privatives de liberté. À choisir, je préfère conserver ma liberté, et vivre dans l’incertitude de savoir si oui on non les services de renseignement français sont en mesure de déjouer 100% des complots terroristes. Excusez-moi de craindre davantage pour ma liberté que pour ma sécurité…

Et toi, qu’en penses-tu ? As-tu suivi les débats ? Où te situes-tu ? Viens en parler dans les commentaires ! 


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Les Commentaires

24
Avatar de Pikwik
18 juin 2015 à 15h06
Pikwik
C'est de mieux en mieux...

On ne peut pas faire grand chose à notre échelle, mais on peut signer cette pétition!

https://www.change.org/p/retirez-le-pjlrenseignement-le-big-brother-français-stoploirenseignement
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