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Je veux comprendre… la loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Une proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel sera examinée à partir du 27 novembre à l’Assemblée Nationale. Après avoir expliqué les enjeux de ce débat, voici un point sur le contenu de cette loi.

— Article publié le 14 novembre 2013

Prohibition, réglementation ou abolition ?

La prostitution pose de nombreuses questions, et la première d’entre elles est éthique : peut-on, dans une société démocratique qui place l’égalité entre les invidus au centre de ses valeurs, accepter, reconnaître, sanctionner le fait que certain·e·s monnaient l’usage de leurs corps, le fait que d’autres en « louent » l’usage ? François Hollande disait lui-même en 2012 :

« Si chacun est libre de disposer de son corps, les droits humains et la dignité humaine sont incompatibles avec le fait qu’une personne ait le droit de disposer librement du corps d’une autre personne parce qu’il a payé. »

La prostitution est un état de fait, mais cette activité a-t-elle sa place dans un état de droit ? Trois positions majoritaires sont évoquées lorsque l’on aborde cette question :

  • Le prohibitionnisme, qui vise à éradiquer la prostitution sous toutes ses formes, en toutes circonstances. Le but poursuivi est l’éradication pure et simple de la prostitution. C’est le cas des États-Unis (dans la plupart des États) (cf. Ces pays où la prostitution est interdite, Europe 1).
  • Le réglementarisme, qui consiste à proposer un cadre légal à l’exercice du travail sexuel. Cette approche permet notamment de lutter contre les violences dont peuvent être victimes les travailleuses du sexe. N’ayant plus à vivre dans l’illégalité (qui est en soi, une source d’insécurité importante), elles peuvent notamment se syndiquer, et faire respecter elles-mêmes leurs droits, ce qui améliore considérablement, sinon leurs « conditions de travail », leurs conditions de vie. C’est le modèle adopté notamment par l’Allemagne, où la légalisation de la prostitution n’a pas permis pour autant de lutter contre l’exploitation.
  • L’abolitionnisme, qui considère les personnes prostitué·e·s commes victimes d’une exploitation, et vise à lutter contre cette exploitation, sans pénaliser celles qui sont considérées comme étant victimes. C’est le modèle adopté notamment par la Suède : les prostitué·e·s qui sont arrêté·e·s en flagrant délit se voient proposer l’aide des services sociaux, mais ne seront pas poursuivi·e·s. Les client·e·s ont le choix entre payer l’amende ou venir se défendre au tribunal (mais doivent alors affronter la publicité d’une audience). Pour plus d’informations : What is the nordic model ?, sur Equality Now.

La France a une position officielle : l’abolitionnisme

L’Assemblée Nationale a adopté le 6 décembre 2011 une résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution, dont voici un extrait :

« Considérant que la non-patrimonialité du corps humain est l’un des principes cardinaux de notre droit et qu’il fait obstacle à ce que le corps humain soit considéré, en tant que tel, comme une source de profit ;

Considérant que les agressions sexuelles, physiques et psychologiques qui accompagnent le plus souvent la prostitution portent une atteinte particulièrement grave à l’intégrité du corps des personnes prostituées ;

Considérant que la prostitution est exercée essentiellement par des femmes et que les clients sont en quasi-totalité des hommes, contrevenant ainsi au principe d’égalité entre les sexes ;

1. Réaffirme la position abolitionniste de la France, dont l’objectif est, à terme, une société sans prostitution »

Une première proposition de loi avait été déposée le 7 décembre 2011, mais n’avait pu être inscrite à l’ordre du jour. Une nouvelle proposition de loi a été déposée le 10 octobre 2013 par la députée socialiste Maud Olivier, soutenue par de nombreux députés de la majorité.

Les auteurs de la loi considèrent que « la prostitution » est en réalité un système complexe, qu’elles appellent « système prostitutionnel », et qui dépasse largement les frontières nationales, dont les prostituées sont victimes. Cette loi repose actuellement sur quatre piliers, et notamment la « responsabilisation du client » et l’aide à « la sortie de la prostitution ».

La « responsabilisation du client »

À l’heure actuelle, le délit de recours à la prostitution n’existe que dans deux cas :

  • recours à des mineur·e·s
  • recours à « une personne présentant une particulière vulnérabilité » (personne enceinte, souffrant d’un handicap, par exemple).

Cette proposition de loi crée une « interdiction d’acte d’achat » (avec les deux cas existants listés désormais comme « circonstances agravantes »), sanctionnée par une contravention de 5ème classe. Il en coûterait alors 1 500 € au contrevenant (le double en cas de récidive).

Afin de « responsabiliser le client », la loi prévoit la mise en place de « stages de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution », présentés comme alternative aux poursuites pénales. Cette solution a été expérimentée en Essonne par des associations qui prennent en charge les conjoints violents. Elles ont constaté que l’éducation au respect de l’autre et à l’égalité hommes-femmes produisait « des résultats encourageants ».

L’aide à la « sortie de la prostitution »

La loi pose également le cadre d’un « parcours de sortie » à disposition des personnes prostituées.

Ce « parcours de sortie de la prostitution » prévoit la création de commissions départementales sous l’autorité du préfet (composées de personnels de police, justice, gendarmerie, d’ associations et d’élus), qui doit statuer sur les demandes et prendre en charge les personnes exprimant le souhait de sortir de la prostitution.

Concernant les prostituées étrangères, une des premières mesures sera la possibilité de rester sur le territoire grâce à un titre de séjour de 6 mois renouvelable, avec permis de travail. Un « soutien financier » correspondant à l’allocation temporaire d’attente (336 € pour 30 jours) devrait être versée aux personnes étrangères engagées dans un parcours de sortie.

Enfin, ce parcours prévoit un accompagnement sanitaire des personnes prostituées. Le rapport d’information de la mission parlementaire interpellait effectivement les députés sur l’état de santé des personnes prostituées. Un constat partagé par un collectif de médecins, qui prenait position en faveur de cette loi dans les colonnes du journal Le Monde.

Les oppositions des travailleuses du sexe

Partisans et opposants à cette proposition de loi partagent un objectif commun : la lutte contre les réseaux de traite. Les « prostituées traditionnelles » (qui ont choisi ce métier) s’opposent farouchement à la pénalisation du client et sont en colère, parce que selon elles, cette loi ne fera que renforcer la précarité des victimes de la traite.

Deux d’entre elles ont interpellé directement la députée Maud Olivier lors d’une réunion publique, dont voici la retranscription :

« On est auditionnées depuis 30 ans sur la traite, on est sur le terrain, on fait notre devoir depuis 15 ans, d’atteindre des victimes de traites, de les cacher (de leurs proxénètes). Les mecs qui tiennent les réseaux sont là, en France, on les voit tous les jours. Ça fait 30 ans qu’on dénonce ces réseaux et leur barbarie.

Les autres pays européens ne font pas l’amalgame entre prostitution et traite des êtres humains. Cette loi est une catastrophe, la précarité assurée pour les prostituées traditionnelles de Vincennes : ce sont des femmes indépendantes, elles gagnent de l’argent, elles ne sont pas assistées, elles n’ont jamais rien demandé. La traite et les indépendantes, ce ne sont pas les mêmes clients.

Les proxénètes ont plus de moyens que nous. Ils sont déjà en train de se préparer, d’acheter des appartements où ils cacheront les filles. Elles ne seront plus dans la rue, ni nous ni les associations n’auront accès à elles. Les proxénètes engageront des rabatteurs, ça fera des intermédiaires en plus. »

Pour les travailleuses du sexe, cette loi va les précariser davantage. Puisque le client va désormais courir un risque en allant voir une prostituée, le temps de négociation de la transaction sera écourté. En bonne logique économique, celui qui prend le risque intègre le coût du risque dans sa négociation.

Aujourd’hui, les travailleuses du sexe reprochent à cette loi de « reprendre d’une main ce qu’elle donne de l’autre : on abolit le délit de racolage, mais on introduit un délit d’achat. Pour nous, la conséquence est la même : on va devoir se cacher davantage ».

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Quand la justice fait pression sur le client, le client fait pression sur la prostituée (dessin par Cy.)

Prostitution et immigration

L’autre point d’opposition entre pro- et anti-abolition porte sur l’accompagnement des personnes étrangères.

Entendu par la commission des lois jeudi matin, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a souligné que la délivrance des titres de séjour ne serait pas « automatique à toute personne qui se dit victime de la traite ». Le témoignage des personnes prostituées contre les proxénètes reste essentiel pour faire progresser la lutte contre les réseaux, et le ministre entend conserver la possibilité d’accorder les titres en priorité aux personnes qui acceptent de témoigner (avec possibilité d’attribuer des cartes de résidant aux personnes engagées dans une procédure judiciaire qui aboutit à un procès).

Manuel Valls s’est montré par ailleurs réservé sur l’allocation de subsistance (l’ATA) aux personnes prostituées. Il a exprimé le souhait d’une expérimentation de ce dispositif pendant un ou deux ans après l’entrée en vigueur de la loi.

Aux termes de l’article 6 de la proposition de loi, le titre de séjour de 6 mois (renouvelable, nous assure-t-on) « (pourra) être délivré à l’étranger, victime des mêmes infractions qui, ayant cessé l’activité de prostitution, est pris en charge par une association agréée ».

« Un projet de société »

Sandrine Mazetier, députée socialiste de la 8ème circonscription de Paris, défend cette loi et à travers elle, un véritable projet de société :

« Je suis socialiste. Le PS dans son projet 2012 a réaffirmé qu’il était abolitionniste. Je suis socialiste et je considère que si l’économie de marché existe, je m’oppose à une société de marché. Ce n’est pas un débat moral mais un débat éthique.

J’assume de ne pas supporter qu’il y ait pas très loin d’ici, dans le bois de Vincennes, des promeneuses chinoises. J’assume de vouloir protéger des personnes. J’assume de penser que la sexualité doit être un choix et une pratique égalitaire. J’assume aussi le fait que voter un texte n’est pas une baguette magique qui ne fait pas disparaître le problème. Nous ne renoncerons pas, quelles que soient les pressions, les pétitions, les tribunes..

(…) Je récuse la marchandisation des corps. Mon choix de société n’est pas celui-là, et je l’assume en tant que législateur.

Les mentalités évoluent lentement, mais je suis optimiste. La reconnaissance du viol au sein du couple était impossible il y a encore quelques années, par exemple. »

Un jeune homme, présent à la réunion publique, s’est félicité que le sujet soit enfin abordé par les pouvoirs publics, et que le regard soit focalisé sur les clients et non plus sur les personnes prostituées. Il a ajouté :

« Il y a 40 ans il était impensable de légiférer sur les violences conjugales, c’était banalisé et toléré par la société. Je pense que dans 30 ans, on sera fiers d’avoir légiféré contre la prostitution. (S’adressant aux prostituées présentes :) Mesdames, je vous respecte et je regrette que votre activité soit entravée, mais au niveau sociétal, cette loi est nécessaire. »

La proposition de loi devrait être débattue en séance à l’Assemblée Nationale du 27 au 29 novembre.

Les Commentaires

22
Avatar de Lady Von Duck
19 novembre 2013 à 01h11
Lady Von Duck
Je n'arrive pas à me positionner sur la question, comme beaucoup d'autres mads l'ont très bien dit avant moi dans le forum.

Cela dit une phrase dans l'article "Je veux comprendre… les enjeux du débat sur la prostitution" (très bon par ailleurs) m'a fait tiquer :

"Ne soyons pas hypocrites, dans le cas de la prostitution, c’est le sexe qui pose problème."


Je n'en suis pas si sure. Le vrai problème est que la prostitution se situe à la limite entre la liberté légitime à disposer de son corps et une violence faite à des hommes et à des femmes. Et tout le débat s'organise autour de la définition de cette violence, parce qu'elle n'est pas ... "tangible" ... je ne sais pas comment l'exprimer.

Bon par exemple, certaines personnes très pauvres acceptent de se faire tabasser contre de l'argent.

Tout le monde est d'accord pour dire que ce n'est pas acceptable. Même si la personne tabassée se dit volontaire.

La prostitution est aussi une forme de violence ... ou pas. Ça dépend. De la personne qui se prostitue, du client, du contexte ... c'est ça le problème, on ne peut pas la situer sur l'échelle parce que chaque cas est particulier. On ne peut pas mesurer les séquelles psychologiques comme on pourrait constater 3 côtes cassées et une mâchoire réduit en miette.

Et le plus compliqué c'est que certaines (je ne dis pas toutes), certaines prostituées qui se disaient volontaires etc, racontent quelques années plus tard qu'il aura fallut qu'elles sortent de la prostitution pour se rendre compte de cette violence subit (même volontairement)
Alors comment évaluer une violence dont même les victimes (majeures et vaccinées) n'ont parfois pas conscience sur le moment ?

Pour tout ça, pour moi le vrai problème de la prostitution, ce n'est pas le sexe, c'est la "violence", et la définition de celle-ci

(mais encore une fois je n'ai pas d'avis tranché sur le sujet, je donne raison aux anti-abolitionnismes ET aux pro-abolitionnismes)
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