Il y a quelques semaines, OnlyFans, un service d’abonnement de contenus, crachait dans la soupe et annonçait vouloir interdire les photos et vidéos à caractère pornographique, alors même que la plateforme a été rendue célèbre par ce biais.
« Je n’ai pas du tout été surprise, tous les travailleurs du sexe s’y attendaient », explique à Madmoizelle Carmina, réalisatrice, performeuse, et rédactrice en chef du Tag Parfait, le magazine de la culture porn.
Sous la pression de nouveaux investisseurs, la plateforme n’était pas la première à vouloir céder à la censure : en 2018, Tumblr avait brutalement passé le cap en bannissant tous les médias NSFW, signant ainsi sa lente mort.
Bien que depuis, OnlyFans ait fait marche arrière devant le badbuzz généré, l’annonce a réveillé les peurs des travailleurs et travailleuses du sexe, inquiets de ne plus pouvoir exercer leurs activités en ligne et de voir leur gagne-pain s’envoler.
Ne le nions pas : ce risque est bien réel. De l’autre côté de l’Atlantique, là où la plupart des médias sociaux ont vu le jour, de nombreuses organisations religieuses et abolitionnistes cherchent la prochaine plateforme à abattre.
Et Twitter, l’un des derniers bastions de liberté pour les contenus explicites, est dans le viseur.
Twitter en ligne de mire des militants anti-porno
Jusqu’à maintenant, si vous n’avez pas activé le filtre contre les contenus sensibles, il est tout à fait possible de mater une vidéo de boule sur Twitter entre deux contenus politiques. En effet, sur la plateforme, « la pornographie et les autres formes de contenus pour adultes produits de manière consensuelle sont autorisées » — sous réserve d’être indiqués comme sensibles.
Mais c’est peut-être sur le point de changer…
Après avoir oeuvré pour le refus de services bancaires à Pornhub et OnlyFans, le National Center on Sexual Exploitation (NCOSE) a trouvé sa nouvelle proie : le petit oiseau bleu. En début d’année, l’organisation portait plainte contre Twitter pour « violation de l’obligation de signaler des contenus relatifs à des abus sexuels sur des enfants », « distribution de documents privés sexuellement explicites » et l’accusait de « bénéficier du trafic sexuel ».
L’objectif officiel ? Que la plateforme retire tous les contenus pédocriminels et tous ceux relatant des abus sexuels. Mais dans les faits, l’agenda semble plus large : l’organisation n’hésite pas à étaler son hostilité envers la pornographie et toutes les formes de contenus explicites, comme l’explique Carmina :
« Ils utilisent l’excuse de la protection des mineurs pour se débarrasser du porno. Leur véritable agenda politique n’est pas vraiment de défendre les victimes mais d’utiliser leur trauma pour plier Internet à leur morale conservatrice. »
Même théorie du côté de Prunette, travailleuse du sexe et live-streameuse sur Twitch, pour qui le problème de ces organisations « puritaines et conservatrices » n’est pas la protection de l’enfance mais le sexe en lui-même.
« Ce n’est pas en bannissant les créateurs de contenus adultes en ligne qu’ils stopperont le trafic d’être humain ou le contenu pédocriminel… Ces actes continueront ailleurs, dans des endroits plus sombres et moins surveillés d’Internet, et donc seront encore plus dangereux pour les victimes. »
Chaque année, Facebook signalerait beaucoup plus de contenus pédocriminels que PornHub (20 millions, contre un peu plus de 13.000 pour la maison-mère du site porno), qui a été contraint de se passer des moyens de paiement sur son site en guise de sanction. Pourtant, la plateforme de Mark Zuckerberg n’a, elle, jamais vraiment été inquiétée.
Il est peu probable que le bannissement du porno de l’Internet mainstream mène à sa disparition. Le scénario le plus plausible sera la migration de ces contenus vers des espaces non contrôlés ; c’est là que tous les contenus illégaux seront susceptibles de se retrouver, sans aucune limite.
Prunette suggère plutôt de se tourner vers l’éducation et la sensibilisation du grand public :
« Si nous avions plus d’éducation sexuelle, et une consommation plus responsable du porno, en soutenant les créateurs indépendants, on pourrait éviter de donner de la visibilité et de la force aux contenus illégaux et dangereux. »
Quelle bouée de secours pour les travailleurs et travailleuses du sexe ?
Bien que les travailleurs et travailleuses du sexe flairent le traquenard depuis des années et alertent sans être écoutées, les risques d’une censure sur Twitter et les autres médias sociaux gonflent de jour en jour.
Il faut dire que ça fait un bail que toutes les formes de nudité — même celles non sexualisées — sont interdites sur Facebook et qu’Instagram a pris le même chemin, suivi par Tumblr.
Twitter, en plus de permettre aux travailleurs et travailleuses du sexe de faire la promotion de leurs contenus payants, est pour beaucoup une source de soutien et d’entraide entre confrères et consœurs. Si OnlyFans venait à bannir les contenus explicites et que Twitter censurait le porno, les conséquences seraient désastreuses pour ces personnes, tant sur le plan financier que sur leur sécurité, comme l’affirme Carmina :
« Cela rendrait les personnes qui exercent le travail du sexe encore plus précaires, plus isolées et donc plus sujettes aux agressions. »
Quelle solution pour celles et ceux qui vivent des photos et vidéos NSFW ? Pour Prunette, le Salut se trouve dans la diversification de ses sources de revenus — « il ne faut pas qu’on dépende d’une seule plateforme, aucune d’entre elles ne sera éternelle pour nous », assène la jeune femme. Mais elle garde espoir :
« C’est aussi ce qui fait notre force, cette capacité à se réinventer, à repartir de zéro en développant de plus en plus de compétences. On sera toujours là, car nous aimons notre métier, nous aimons nos communautés, et nous ferons tout pour conserver notre liberté de créer. »
Si l’indignation générale a pu pousser OnlyFans à renoncer à la censure, la solution se trouve sûrement dans l’écoute et la diffusion de la parole des personnes concernées. On sait ce qui nous reste à faire.
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Crédit photo : @wevibe / Pexels
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