Comme la salope, l’hystérique est un nom d’oiseau généreusement lâché non pas à qui veut l’entendre, mais bien dans les oreilles des femmes, le plus souvent, qu’elles le veuillent ou non.
Véritable pathologie, l’hystérie fut traitée par de nombreux médecins, dont Jean-Martin Charcot à l’hôpital de la Salpêtrière. Le film Le Bal des folles de Mélanie Laurent en atteste : de nombreuses femmes — le plus souvent bipolaires, dépressives ou épileptiques — sont devenues des cobayes pour guérir un mal aussi intriguant que rempli d’histoires à travers le temps.
Le grand vilain utérus, siège de l’hystérie
Le chapitre consacré à l’hystérie s’ouvre dans la Grèce antique. Hippocrate estimait alors que l’utérus était la source de tous les maux. Comme l’explique l’ouvrage Hysteria Beyond Freud de Sander L. Gilman, le fondateur de la médecine déclarait que « les comportements erratiques et peu fiables » des femmes étaient liés à un mouvement de l’utérus alors appelé « pnix hysterike ».
Qu’il se déplace vers l’avant ou vers l’arrière, l’organe reproducteur a rapidement été diabolisé. C’était sans compter l’existence d’une étrange maladie provoquant « une très grande angoisse, un mal être, puis des convulsions », définit Nicole Edelman, historienne et autrice des Métamorphoses de l’hystérique…
Au fil des siècles et à partir du Moyen-Âge, ces spasmes se sont vus attribuer des origines mystiques : elles étaient le signe d’une possession du Diable. C’est ainsi que des milliers de femmes se sont retrouvées brûlées sur le bûcher car accusées de sorcellerie.
La majorité d’entre elles subissaient de multiples tortures censées prouver qu’elles avaient été conquises par le Malin. Il existait d’ailleurs à l’époque des piqueurs de sorcières qui, armés d’une aiguille, s’amusaient à piquer les femmes accusées de sorcellerie pour prouver, selon leur douleur, si elles étaient bien coupables.
Un certain nombre d’entre elles, victimes de crises d’hystérie, n’ont pas réagi. Le signe d’un pouvoir ? Pas vraiment. Nicole Edelman explique :
« Une des composantes de la crise d’hystérie est que les personnes qui en sont victimes sont anesthésiées. On pouvait donc leur enfoncer une aiguille dans le bras sans provoquer une quelconque réaction. »
Mais cette insensibilité suffisait bien à l’époque pour donner raison aux accusateurs. Alors, au bûcher !
L’hystérie, une maladie de femmes… et d’hommes
Le supplice du feu passé de mode, une nouvelle façon de penser l’hystérie a émergé au XIXe siècle : les femmes hystériques sont en manque d’enfants et de plaisir.
Pour mieux comprendre cette réflexion, Nicole Edelman explique que les femmes mariées et les prostituées n’étaient alors pas considérées comme malades. « Une des solutions était le mariage pour permettre la procréation », raconte l’historienne, qui poursuit :
« C’était un moment où on pensait que le plaisir des femmes était nécessaire car on ne connaissait pas l’automaticité de l’ovulation. Le spasme du plaisir devenait donc utile. »
C’était aussi un moyen de les contrôler, ces femmes qui pourraient avoir des velléités de liberté…
« On a assigné aux femmes un rôle de mères soumises aux hommes dans une société patriarcale dotée d’un grand sens de la famille. Donc on ne pouvait rien faire pour pallier le mal-être de ces femmes qui, en retour, ne pouvaient l’exprimer qu’à travers leurs corps et des convulsions. »
Résultat : régulièrement en crise d’hystérie, les femmes n’ont pas pu être écoutées, puis soignées.
Certaines ont du moins pu l’être.. avec plusieurs techniques douteuses. Beaucoup de médecins, Joseph Mortimer Granville en tête de peloton, pensaient que l’hystérie pouvait être soignée grâce à l’orgasme et réservaient des massages génitaux à leurs patientes.
Cette pratique, difficile à répéter à mains nues à longueur de journée, a rapidement donné naissance à des appareils thérapeutiques automatiques délicatement surnommés « les marteaux de Granville ». De fil en aiguille, ces outils sont devenus nuls autres que les valeureux sextoys que l’on connaît aujourd’hui !
Une douce anecdote vite ternie par Nicole Edelman qui rappelle que certains spécialistes, notamment aux États-Unis, pensaient qu’il fallait couper le clitoris pour éviter les crises hystériques. Une pratique que Jean-Martin Charcot a toujours refusé d’appliquer.
Ce que le médecin français a toutefois tenté d’instaurer est une certaine égalité entre les hommes et les femmes devant la pathologie. L’expert faisait partie de ceux qui ont commencé à défendre l’existence « d’une hystérie mâle », affirme Nicole Edelman. Mais cette perception de la pathologie était difficile à concevoir.
Claire Rodrigues, psychologue et autrice d’une thèse sur les différences entre l’hystérie féminine et masculine, date cette vision de l’époque de Freud — « On parlait déjà d’hystérie masculine à l’époque et c’était très mal reçu car c’était censé ne concerner que les femmes », raconte-t-elle.
Affirmer que les hommes étaient également impliqués ne faisait suite qu’à une récente découverte sur la pathologie : son siège ne se trouve pas dans l’utérus mais dans le cerveau. Elle est donc universelle.
L’hystérie, un « trouble anxieux névrotique » bien réel
L’étendue du bagage historique de l’hystérie démontre finalement qu’elle a mis du temps avant d’être connue telle qu’elle est réellement.
Aujourd’hui, les professionnels de santé qualifient cette pathologie comme un trouble anxieux névrotique qui s’exprime différemment selon les personnes. Claire Rodrigues précise :
« Les symptômes peuvent prendre une forme physique — par le biais de convulsions — comme intérieure et invisible à l’œil nu. »
Cette palette de réactions rend difficile le diagnostic. D’après l’experte, de plus en plus de professionnels de santé préfèrent même parler de fibromyalgie pour remplacer le terme « hystérie », jugé trop péjoratif.
L’hystérie ou l’art de discréditer les féministes
Aujourd’hui, l’emploi du terme a la vie dure et surgit généralement pour définir une femme qui ne sait pas contenir ses nerfs ou semble déséquilibrée. Il colle surtout à la peau des militantes féministes, qualifiées ainsi comme l’ont été les Suffragettes par leurs détracteurs !
Le terme a pris de la place à mesure que les mouvements féministes sont montés en puissance durant ces deux derniers siècles et pour mieux les discréditer : exprimer des revendications — tel que le droit de vote des femmes — était par exemple assimilé à de l’hystérie.
Peu étonnant, donc, que ces dernières années, Valeurs Actuelles ait utilisé ce langage à plusieurs reprises. Délation, chasse à l’homme, théorie du genre : les derniers combats de l’hystérie féministe, titrait le magazine d’extrême-droite en 2017 pour son dossier consacré aux militantes ; trois ans plus tard, en mars 2020, il se demandait « comment les féministes sont devenues folles », avant d’analyser en décembre 2021 « la menace féministe » et comment « elles hystérisent la présidentielle et le débat ».
Dans la course à l’Élysée, justement, Valérie Pécresse s’est déjà emparée du terme il y a plusieurs semaines sur le plateau de LCI pour dénoncer le sexisme en politique :
« Si un homme crie, c’est un chef. Une femme qui s’emporte, c’est une hystérique. »
Sandrine Rousseau non plus n’a pas été épargnée par ce genre de raccourci. La journaliste et essayiste Titiou Lecoq a dénoncé en octobre 2021 sur le site Slate l’accueil médiatique réservé à l’ancienne candidate écologiste qui, face à Yannick Jadot, s’est retrouvée « diabolisée » et « présentée comme une hystérique » pour la simple et bonne raison qu’elle affichait ses positions féministes.
À l’inverse, dans le reste du paysage politique, les élévations de voix de Jean-Luc Mélenchon lui ont plutôt donné pendant un temps l’apparence d’un homme de poigne doté d’un puissant talent d’orateur….
Finalement, rien ne justifie cette différence de perception entre les deux personnalités. À une exception près : lui est un homme. Elle, une femme.
Et s’il y a bien une chose qui n’a pas changé depuis la Grèce antique, c’est la capacité de nos sociétés patriarcales à accepter des hommes ce qu’on interdit aux femmes.
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Crédit de une : SHVETS Productions / Pexels
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