Rassemblées sous un collectif créé sur Facebook intitulé « Ni Bonnes, ni Nonnes, ni Pigeonnes », des infirmières et aides-soignantes* ont battu le pavé dimanche dernier pour exiger « plus d’humanité, moins de rentabilité » dans les soins.
(*) également rejointes par des infirmiers et des aides-soignants, même si le mouvement est présenté au féminin en raison de la faible représentativité des hommes dans le métier, à la fois numériquement (ils sont 10%) et dans la culture populaire
Liens essentiels entre les médecins et les patients, les infirmières ont un rôle primordial au sein du milieu hospitalier. Ces dernières années, ce rôle charnière se voit pourtant malmené à cause de la dégradation de leurs conditions de travail. Sophie, jeune infirmière à Rouen, regrette :
« Une infirmière aujourd’hui fait l’équivalent du triple de ce qu’elle devait faire il y a quelques années. Dans ce contexte, comment être capable de bien s’occuper de chaque patient ? »
Banderoles rouges « Soignants-soignés, tous unis pour la santé » en avant, les professionnels de la santé ont défilé dans leurs blouses blanches floquées d’un pigeon noir, logo du mouvement.
Une semaine après la « Journée internationale des infirmières », madmoiZelle a rencontré des auxiliaires de santé pour leur donner la parole.
Burn-out pour l’infirmière, danger pour le patient
Les infirmières et les aides-soignantes réclament l’instauration d’un quota de patients par soignants. Dans les maisons de retraite médicalisées (Ehpad) où la situation est la pire selon les infirmières, seule une aide-soignante est présente pendant la nuit pour 60 à 80 résidents. Séverine, infirmière depuis maintenant 9 ans dans la banlieue de Dijon, explique :
« Vous êtes en train de vous occuper d’un patient, puis on vous appelle parce qu’il y a un patient plus blessé encore. Vous abandonnez alors le patient dont vous aviez la charge, pour courir à la rescousse d’un autre. L’état du premier patient est peut-être moins grave que celui du second, mais ça ne veut pas dire qu’il ne requiert pas non plus une attention toute particulière. Voilà donc le problème : en sous-effectif par rapport à la charge, nous sommes obligés de faire des choix. Ou de bâcler. »
Sur le forum communautaire infirmiers.com, Betina, infirmière en poste depuis seulement 6 mois, se désole :
« Au quotidien, pour 18 lits dont 4 lits de palliatifs identifiés, nous sommes en effectif réduit : le matin, une IDE (ndlr : Infirmière d’État) à 6h30, une aide-soignante ou deux quand c’est « jour de fête »… Une IDE arrive ensuite à 9h et reste jusqu’à 17h. Le soir, une autre IDE de 13h30 à 21h30. Le tout avec le plus souvent seulement une aide-soignante. »
Le sous-effectif des infirmières est très largement pointé du doigt depuis maintenant quelques années. Mais la profession a du mal à recruter – en cause : des salaires de départ jugés trop faibles (avec 4 ans d’ancienneté, une infirmière touche 1600 euros net par mois, tout en travaillant un week-end sur deux et parfois tard le soir en semaine). Les conditions matérielles (locaux vétustes, mauvais équipement) concourent également à décourager la jeunesse à se lancer dans cette profession. Au téléphone, une infirmière de la région parisienne, confie, sous couvert d’anonymat :
« Vu ce qu’on nous demande, on aimerait bien avoir une prime mensuelle… Mais ça n’a pas l’air à l’ordre du jour. La direction refuse. »
Le manque de reconnaissance des infirmières au sein du milieu hospitalier est également décrié. Selon Séverine, la profession est vue comme ingrate et se trouve peu respectée, tandis qu’il suffit de voir qu’en l’absence d’une infirmière ou deux (en cas de vacances ou d’arrêts maladie) dans un service, « c’est la pagaille ». « Ce qui prouve bien à quel point l’hôpital a besoin de nous… Alors pourquoi ne pas mieux revaloriser le métier ? »
La pénibilité du métier encore trop peu reconnue
L’épuisement des infirmières, croqué par Tine
Dimanche, les manifestants ont également exigé le rétablissement du critère de pénibilité pour leurs professions, retiré par Roseline Bachelot lorsqu’elle était ministre de la Santé. Ils dénoncent « des salaires ridiculement bas par rapport à un niveau licence », soit environ 1 350 euros en début de carrière pour une infirmière.
Or, toujours selon les manifestants, c’est la pénibilité du travail qui amène les infirmières et aides-soignantes à tirer leur révérence au bout de quelques années de travail harassant, empêchant ainsi la profession de se « fidéliser ».
Il a également été reproché aux hôpitaux d’être un système « géré par des technocrates » loin de s’imaginer la réalité du métier dans la pratique. Relayé par le Syndicat National des Professionnels Infirmiers, ce témoignage d’une infirmière pose la question du danger d’une telle situation (« faut-il attendre qu’il y ait des morts pour réagir et prendre conscience de ce qu’il se passe dans les hôpitaux ? ») :
« Je suis assez catastrophée en ce moment, car dans aucun média, aucune presse, même dans les discours de nos chers politiques, personne ne parle de ce qui se passe du côté de l’hôpital public… Et pourtant, moi qui le vis de l’intérieur, je vous garantis qu’il y a de quoi sauter au plafond […] La tendance actuelle est de nous faire tourner en sous-effectif de manière presque systématique les soirs et les week-ends, soit un seul infirmier pour 21 patients. »
Et l’infirmière d’ajouter qu’une de ses collègues ayant démissionné il y a 2 mois n’a toujours pas été remplacée…
Problème d’effectif, surmenage, faibles revenus, manque de reconnaissance : espérons que les pouvoirs publics vont vite se saisir du dossier et faire de la profession une activité enfin reconnue à sa juste valeur.
— Pour signer la pétition en ligne en soutien au mouvement « Soignants et soignés en danger ! », cliquez ici.