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Chronique

Illana Weizman : « le mauvais ménage des réseaux sociaux et de ma santé mentale »

Deux fois par mois, l’essayiste et militante féministe et antiraciste Illana Weizman signe une chronique pour Madmoizelle dans laquelle elle analyse un fait de société, parfois à partir de son expérience personnelle. Cette semaine, elle revient sur son rapport aux réseaux sociaux, entre harcèlement et messages de soutien, entre effroi et réconfort au quotidien.

J’ai commencé à être visible médiatiquement il y a trois ans avec la campagne collective #MonPostPartum, puis avec la sortie consécutive de mon essai féministe autour des réalités de cette période, et plus récemment mon second essai sur l’antisémitisme et sa place dans l’antiracisme. Je dégaine également mon téléphone de façon quasi quotidienne pour rédiger tweets et publications Instagram quand ça me démange. Bref, j’ouvre ma gueule, j’ai choisi de grapiller de l’espace, ce qui, lorsqu’on est une femme, équivaut à chercher la merde.

À lire aussi : « Elle est jolie, mais elle juive » : Illana Weizman dépeint le vécu antisémite

« Le message est clair, si tu es une femme, on se fout de ce que tu peux bien raconter, tu seras ramenée à ton apparence »

Ben oui, on nous le rappelle assez, une femme ça se tait, ça n’a pas d’opinion affirmée, ça se présente au monde sur la base de son apparence et sa capacité à procréer. En plus, je pousse la faute, effrontée que je suis, en étant une femme juive qui parle d’antisémitisme et le pointe partout où il se trouve (et il se trouve qu’il se trouve partout !), ainsi qu’une mère qui s’attaque aux mythes qui édulcorent ce rôle. Je vous l’ai dit, je cherche la merde.

Un exemple parmi tant d’autres. Pour la couverture presse de mon second essai, Libération a tiré mon portrait. Et vous savez ce qui a provoqué le plus de réactions sur Twitter-le-réseau-des-enfers ? Le fait que sur la photo prise par Romy Alizée, on voyait mes tétons en transparence sous un t-shirt. Le message est clair, si tu es une femme, on se fout de ce que tu peux bien raconter, tu seras ramenée à ton apparence. Ce que tu dis ne pèsera pas grand-chose en comparaison à la façon dont tu te présentes. 

À lire aussi : Illana Weizman : « La domination masculine, c’est l’effacement des femmes au profit de la satisfaction des hommes »

Les vagues de haine et de cyberharcèlement touchent principalement les femmes

Cet exemple est un point dans la constellation de propos sexistes et antisémites que j’ai reçus en ligne. Vous êtes une femme, vous êtes visible, vous êtes foutue. Redisons-le : les vagues de haine et de cyberharcèlement touchent principalement les femmes et leurs harceleurs sont en majorité des hommes – c’est ultra-documenté. J’aimerais vous dire que cela ne me touche pas, mais ce serait mentir. Cela m’affecte, déteint sur mon quotidien, mes humeurs. Le constat est limpide, ma santé mentale se détériore depuis que je suis médiatiquement repérable.

Insultes, menaces, appels au meurtre ou au viol. J’ai eu un peu de tout. Le menu est redondant. En fonction de comment je me sens au moment où je subis une violence numérique (qui reste bel et bien tangible), je vais plus ou moins y penser, cela va plus ou moins me déprimer.

C’est un truc lancinant, j’y pense par vagues, je vois en boucle le tweet, le commentaire, me demande si je devrais y répondre, bloquer, couper les réseaux un temps.

Parfois ces personnes atteindraient presque leur but puisqu’elles me donnent l’espace d’un instant l’envie de me taire (en ligne du moins) et filtre alors la question du « est-ce que ça en vaut la peine ?« . Puisque s’exposer, c’est souvent l’être au pire.

À lire aussi : « Elles sont pas fortes, c’est des filles » : Illana Weizman questionne les stéréotypes de genre à l’école

La « marée-dopamine » qui vient et se retire

Heureusement, j’y réponds rapidement par l’affirmative, car, en contraste, il y a le meilleur des réseaux : être en mesure de diffuser des messages importants, le soutien, les encouragements, les bribes de vies racontées en DMs, les mercis, la sortie de l’isolement, se retrouver les unes les autres dans nos vécus respectifs. C’est précieux et revigorant.

Pour autant, je dois avouer que même dans cet espace-là, il m’arrive de perdre pied. Il y a quelque chose de déréalisant à échanger avec des dizaines, des centaines de personnes, et ça peut me foutre le vertige. Je questionne régulièrement ce que représentent les réseaux pour moi, devenus une part inextricable de ma vie et auxquels je suis résolument dépendante professionnellement et émotionnellement.

La façon dont ils me remplissent et me vident, le rush des réactions à la suite d’une publication, le suivi des likes, des commentaires, des notifications, la peur de ne pas créer assez de contenus, assez de « bons » contenus (c’est quoi du bon contenu ?), la marée-dopamine qui vient et se retire, le décalage entre ce que je présente et la façon dont je suis perçue.

Pour tout ce que je viens de décrire (harcèlement, haine, violences en ligne, aliénation, mais aussi amour, soutien, reconnaissance), je vis les réseaux entre effroi et réconfort. Et je ne sais pas bien quoi faire de toute cette ambivalence, sinon de chercher en permanence une stabilité précaire.


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