Une gratiferia est un espace de gratuité où chacun peut donner ce qu’il veut : des biens, des services, des idées et des créations…
« Apportez ce que vous souhaitez donner et prenez ce que vous voulez : vêtements, nourriture, objets divers et livres. Ce n’est pas du troc, vous pouvez venir sans rien d’autre que votre bonne humeur »
À l’occasion du deuxième anniversaire du mouvement des Indignés, né en Espagne le 15 mai 2011, le collectif Démocratie Réelle Maintenant a organisé une gratiferia à la rotonde de Stalingrad (Paris). L’occasion pour les militant-e-s de se retrouver autour d’un événement festif et rappeler leur refus d’un monde spéculatif dirigé par les banques.
« C’est à nous tous d’être acteurs, décideurs de toutes les questions de société. Les alternatives se construisent partout et se font à travers la réflexion, l’analyse mais aussi grâce à l’action », explique Démocratie Réelle Maintenant.
Mieux qu’échanger : donner
Des livres, des vêtements, des babioles… les exposant-e-s à la gratiferia ont ramené tout ce qui encombrait leurs greniers. Sylvie, 57 ans, trouve l’idée « absolument fabuleuse » :
« Les livres sont faits pour être lus, sinon ils cessent de vivre. C’est bien ce que l’on dit, non ? Les miens étaient en train de mourir au fond de deux ou trois cartons trop poussiéreux. Je les amène ici pour que d’autres puissent les prendre, les lire, les adopter. Et les donner à nouveau, quand comme moi ils n’en trouveront plus l’usage »
Pour Alexandre, venu avec sa petite amie Héloïse, la cueillette est bonne :
« Je ne pensais pas repartir avec quelque chose, mais j’ai trouvé ce super gilet. Vintage, comme disent les jeunes de mon âge. Pour le monsieur qui voulait s’en séparer, c’est surtout un vieux morceau de tissu qu’il n’aimait plus porter ! »
Et Alexandre de se réjouir de ce type d’événement :
« Il y a des gens qui ont chez eux plein de choses dont ils n’ont plus l’utilité. Participer à une gratiferia, c’est donner un peu plus de sens au lien social. C’est dire qu’il est aujourd’hui encore possible de croire que l’argent ne régit pas tout. J’aime beaucoup cette logique de solidarité. Moi je suis venu avec des vieux albums de rock que je n’écoute plus depuis que j’ai tout en MP3. Et apparemment, mon CD des Pink Floyd a trouvé repreneur : je ne le vois plus là où je l’ai déposé ! »
Mais il n’est pas évident pour tous de se défaire des logiques mercantiles qui fondent notre société. Quelques stands plus loin, Gregory, très heureux à l’idée d’avoir trouvé une boîte à lunettes « exactement comme il en cherchait », tient absolument à « donner un petit quelque chose » à la dame qui s’en sépare. « Vous ne me devez rien, c’est le principe ! », lui répond t-elle. « Vous êtes sûre ? », insiste-t-il, « je me sens confus, ça fait des mois que je cherchais une boîte comme celle-là, je peux au moins vous payer un petit quelque chose ! » ; « C’est moi qui serais alors confuse », tranche-t-elle, « je ne suis pas venue dans cet esprit-là
».
Un concept argentin qui fait son chemin
L’idée de « marché gratuit » (un terme volontairement antinomique) puise ses sources à Buenos Aires. Né dans l’esprit d’Ariel Bosio en 2010, le concept permet aux « consommateurs » de se passer autant que possible des flux marchands : de déménagement en déménagement, le jeune argentin a réalisé que bon nombre de ses biens matériels ne lui étaient plus utiles. Plutôt que de les jeter ou de s’organiser à tout prix pour trouver acheteur, Ariel Bosio a alors voulu les donner gracieusement. C’est comme ça que l’idée de foire gratuite (gratiferia, en espagnol) lui est venue :
« La gratiferia est la seule fête au monde où il n’est pas nécessaire de s’occuper d’un poste, ce qui en fait la fête la plus réussie du monde ! Un marché où personne ne s’en met plein les poches et où personne n’a les mains vides. Aucun luxe, aucun mercantilisme. La devise est : apporte ce que tu veux (ou rien) et repars avec ce que tu veux (ou rien). »
Ariol Bosio, adepte du « freeganisme », la consommation de tout ce qui est gratuit
Pas d’argent, pas de troc, pas d’échange : tout est basé sur le don, la gratuité, la solidarité et le plaisir du recyclage. Pour Ariel Bosio, le concept de gratiferia est aussi l’occasion de réfléchir au désir d’accumulation qui meut actuellement l’humanité :
« C’est un espace-temps pour guérir l’illusion de manque. Nous n’avons pas besoin d’accumuler, il y en a pour tous. Minimisons l’impact de notre monde, diminuons la production et le volume des déchets que nous générons. Détachons-nous de la valeur de l’argent pour travailler moins et être plus libres. Répandons l’idée de relations de coopération, et non de compétition ! »
Parce que la gratiferia prétend créer de nouveaux réseaux de solidarité, elle constitue « un mouvement culturel socio-politico-économique pour le bonheur de tous les êtres ». Le concept qui la sous-tend est le « freeganisme » (en français, le gratuivorisme) : un mode de vie qui consiste à consommer, autant que faire ce peut, ce qui est gratuit. Le but d’un tel état d’esprit est de limiter le gaspillage alimentaire et le recours à la pollution (générée par la production de nouveaux biens).
« Servez-vous, tout est gratuit »
Organisées dans des lieux publics ouverts à tous, les gratiferias accueillent qui le veut : donneurs, preneurs, donneurs et preneurs.
Si la gratuité n’est pas une idée nouvelle (elle est déjà très populaire dans certains milieux alternatifs et/ou décroissants), la multiplication de gratiferias est, elle, la preuve d’un intérêt croissant de la part de la population. Pierre, 41 ans, commente :
« Je crois que si la crise devait avoir un point positif, ce serait bien celui-là : obliger les gens à se regarder dans le blanc des yeux et les inciter à se mobiliser, pour se bouger autrement. »
Aujourd’hui, le concept de Ariel Bosio s’est exporté hors frontières, jusqu’à conquérir de nombreuses villes en France. À l’instar de Lempdes, une commune d’Auvergne qui s’est lancée en 2012 dans le mouvement « Incredible Edible », en français : « les Incroyables Comestibles ».
Venu d’Angleterre, les Incroyables Comestibles sont un mouvement participatif qui proposent aux citoyens de « planter, arroser, partager » partout dans la ville. Le résultat : des fruits et légumes à partager avec tout le monde.
L’initiative a réussi à convaincre en Alsace, en Aquitaine, en Île-de-France, en Corse mais aussi dans les DOM-TOM. « Nourriture à partager : servez-vous, c’est gratuit », invite le slogan du projet.
Sur le même principe, le « Magasin pour Rien » à Mulhouse encourage le recyclage et propose de réfléchir à notre rapport à la consommation. Organisé comme un supermarché, le « Magasin pour Rien » permet aux uns de se délester des objets dont ils n’ont plus besoin, aux autres de se ravitailler gratuitement sans passer par la caisse.
Enrichi par les dons des particuliers et subventionné par les pouvoirs locaux, le « Magasin pour Rien » est un espace également très inspirant. « Il m’est arrivé d’y prendre un vieux roman, au lieu d’aller à la FNAC, ou encore de passer y déposer un vase pour repartir avec un autre. C’est un endroit qui donne beaucoup d’idées ! », raconte Marie, étudiante en lettres à Mulhouse.
Certains participants aux gratiferias regrettent néanmoins « l’usage » qui est fait de leurs dons : « Moi j’ai donné des affaires et ce matin je les ai retrouvés en vente sur Le Bon Coin ! VDM », raconte Cédric, repris par La Charente Libre.
Une impulsion horizontale, apartisane et asyndicale
Ces différentes initiatives ont pour principe la gratuité, l’horizontalité, le fait de ne pas être affiliées à un parti politique, la recherche du consensus et la solidarité.
Sans leader, ni représentant, les projets sont avant tout impulsés par les membres qui les constituent. Démocratie Réelle Maintenant (que les médias ont vite surnommée « les Indignés ») s’inscrit dans la même logique :
« La mise en commun des pratiques et des pensées individuelles et collectives peut générer une créativité capable de mettre en place des outils démocratiques directs et porteurs d’expérimentations multiples et complémentaires »
Luttes contre la précarité (en terme de logement, d’alimentation, de santé et d’éducation), mobilisation pour préserver le blocage local contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-Des-Landes, luttes contre les violences policières et combat pour les sans-papiers… Il se forme aujourd’hui de plus en plus de combats, qui tout en étant basés localement, ont de véritables prétentions nationales voire internationales.
— Vous pouvez suivre l’actualité des Gratiferias en France via cette page Facebook.
Les Commentaires
Je rebondis sur la fin de l'article : je serai hyper preneuse d'un dércyptage en profondeur de la "bataille" Notre Dame des Landes. On sait que ça tourne autour d'un aéroport vers Nantes, mais on ne sait pas bien les détails de ce qui pose problème aux uns (est-ce seulement la localisation ou y a-t-il un problème de fond autre), tous les opposants le sont-ils pour les mêmes raisons (je soupçonne que non) et côté agglo nantaise qu'est ce qui fait qu'ils poussent autant au départ ce projet (raisons officielles, bruits de couloir) ? Vraiment je trouve que comme souvent autour des affrontements type grèves, on a toujours l'info "ils sont pas contents, du coup ils sont dans la rue" par contre on a jamais le détail du pourquoi avec toutes les subtilités.
Si à l'occase c'est faisable... ce serait bien.