En septembre dernier, une lettre ouverte co-signée par Félix Marquardt, le rappeur Mokless et l’animateur Mouloud Achour exortait les jeunes à oser prendre le large et quitter la France, cette « gérontocratie, ultracentralisée et sclérosée ».
« Comment qualifier autrement, en 2012, une société où une élite de quelques milliers de personnes, dont la moyenne d’âge oscille autour de 60 ans, décide d’à peu près tout » ? se questionnaient alors les trois auteurs.
Crédits : Rachel Dowda
Publié dans les colonnes du quotidien Libération, l’appel n’avait pas manqué alors de faire du bruit, déliant d’un côté les langues des jeunes qui n’envisagent plus leur avenir en France, surprenant de l’autre les âmes plus patriotes pour lesquelles quitter le pays serait un aveu d’échec.
« Si c’est mieux ailleurs, pourquoi rester ? »
« Je n’ai pas l’impression de devoir quelque chose au pays dans lequel je suis née. Certains appelleront ça de l’ingratitude, pour moi c’est un sentiment de citoyenneté du monde. La France d’aujourd’hui ne me vend aucun rêve. Pourquoi rester ? », explique Lucie, 24 ans, serveuse dans une pizzeria de Melbourne.
Cette dernière décennie, le nombre de Français-es vivant à l’étranger a augmenté de 50%. Officiellement, 1,6 million de Français-es résident hors du pays – statistique qu’il faut au moins multiplier par deux si l’on veut aussi prendre en compte les Français-es non-inscrit-e-s sur les registres des consulats.
Selon l’écrivain français Gaspard Koenig, « une révolution silencieuse est en cours. » Et celui qui est aussi contributeur sur le site d’information Atlantico de préciser qu’à l’heure où les scrutins sont supposés indiquer ce que les Français-es attendent de leur gouvernement, « certains ont déjà voté – avec leurs pieds. […] Moi-même, je suis arrivé à Londres il y a près de 3 ans. La plupart des compatriotes que je croise pensaient vivre une expérience de quelques mois, et sont finalement restés cinq, dix, vingt ans. »
« Aujourd’hui, partir, c’est facile »
Études à l’étranger (mobilité internationale, programme Erasmus, bourses de recherche), envie de nouveauté, perspectives professionnelles, émigration amoureuse… Aujourd’hui, partir à l’étranger ne fait plus peur. Juliette, 25 ans, étudiante en sciences environnementales à Manchester, témoigne : « Les low-cost ont largement permis à notre génération de partir à l’étranger pour pas cher. Ça ne te fait pas seulement découvrir des villes à visiter le temps d’un week-end, mais aussi de potentiels endroits où s’installer. » Selon Thibaut, expatrié en Argentine et étudiant en architecture, « non seulement partir c’est facile, mais allons même jusqu’à dire que rester c’est difficile » : « je pense notamment à ces loyers exorbitants à Paris, une ville que j’aime bien et pourtant, qui continue à me donner l’impression qu’elle ne veut pas de moi. Alors soit : je reviendrai, mais seulement quand j’aurai un salaire décent. En attendant, pourquoi se forcer à vivre dans une chambre de bonne à paris et en avoir pour 300 euros de courses par mois alors que je peux vive de nouvelles aventures sur un autre continent, apprendre beaucoup et en plus de ça, ne même pas m’endetter ? »
Les statistiques parlent d’elles-mêmes : 53% des expatriés ont aujourd’hui moins de 35 ans. Selon les derniers chiffres du Conseil économique, social et environnemental, les Français-es qui vivent hors de nos frontières sont une majorité à être implanté-e-s en Europe occidentale, puisque la Suisse, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique et l’Italie, à eux seuls, en accueillent près de 40%. Mais les expatrié-e-s sont aussi en Amérique du Nord, en Afrique francophone et de plus en plus nombreux dans des régions du monde telles que l’Asie ou l’Europe de l’Est, où ils/elles étaient encore peu nombreu-x-ses avant les années 2000.
Sophie, journaliste dans la presse musicale, raconte : « C’était un vieux rêve – enfin vieux… à l’échelle de mes 26 ans ! Certains se construisent en prenant pour modèle leurs parents, moi c’est l’inverse. Avec tout le respect que je leur dois, j’ai toujours voulu avoir une vie différente de la leur, mariés depuis 30 ans, respectivement médecin et enseignant dans le secondaire. Je sais qu’à leur époque, partir vivre à l’étranger n’était pas un choix répandu. À l’heure où les pays du monde sont de plus en plus interconnectés, je me serais sentie idiote de ne pas partir faire mes armes. Peut-être que je reviendrai un jour en France, mais pour le moment vivre et travailler à Montréal est le meilleur truc qui me soit arrivé. Ceci étant, je me vois bien vieillir en Bretagne, là où j’ai grandi. »
Ainsi, il serait erroné de réduire l’expatriation à une haine du pays natal. En témoigne Thomas, expatrié par amour : « J’ai rencontré Paulina pendant mon Erasmus à Barcelone, et aujourd’hui on vit tous les deux à Zurich, là où elle travaille. Parfois, Toulouse me manque. Mais si j’y revenais, Paulina me manquerait plus encore », explique le jeune diplômé d’une école de commerce, aujourd’hui à la recherche d’un emploi.
Certains partent pour l’argent, d’autres reviennent pour la passion
Pour autant, certain-e-s expatrié-e-s font du retour au pays un pré-requis à leur départ. C’est le cas de Cécile, qui explique avoir « un devoir presque moral » envers son pays : « Aux yeux de la majorité des expatriés heureux sous les Tropiques, c’est un discours conservateur, patriote voire nationaliste. Mais pour moi, les choses sont claires : si je suis à New-York en ce moment, c’est parce que le poste d’enseignante que j’occupe sera bénéfique à ma carrière ; et même si j’adore la petite vie que je mène ici et mon trois-pièces dans Manhattan, je me jure de retrouver l’Éducation Nationale française dans 3 ans, parce que l’enseignement est encore un vaste chantier en France et que j’ai été formée pour apporter ma pierre à l’édifice. Rester à New York parce que je m’y amuse bien, ce serait un choix égoïste et totalement contraire à l’état d’esprit que j’avais quand j’ai passé le CAPES. »
Pendant ce temps-là, le spectre de la fuite de capitaux ombrage les éditos des rubriques économie. Gaspard Koenig tempère : « Cessons de croire que les émigrés sont mûs par la seule obsession d’échapper à l’impôt. Contrairement à la rengaine [médiatique], l’exil fiscal ne touche qu’une poignée d’ultrariches dotés de coûteux avocats fiscalites, qui ne valent guère la peine qu’on s’intéresse à eux. » Marie, 28 ans, aujourd’hui londonienne, confirme : « Je travaille dans une banque, et je ne paye pas moins d’impôts que si j’avais le même salaire en France. Si j’ai quitté la France, ce n’est pas pour une autre raison que mon emploi. Même si j’avoue avoir été contente de partir au cours du mandat de Sarkozy. Ça ne veut pas dire que je me sens plus en phase avec le gouvernement britannique, mais quelque part, la démarche est nihiliste : aujourd’hui, je ne me sens pas plus anglaise que française, pas moins non plus. Je suis juste dans un autre espace-temps. Posez la question à n’importe quel expatrié, il vous dira la même chose : on ne sait plus à quel territoire on appartient, et parfois, c’est réellement salvateur. »
L’envie d’ailleurs
Mais les départs à l’étranger ne sont pas seulement motivés par des contingences professionnelles ou amoureuses. Les coups de cœur pour certains pays sont également moteurs d’envie de fuir la France.
« Je suis passionnée de salsa depuis deux petites années, mais cette activité a pris énormément de place dans mon cœur : j’ai rencontré mon copain à un cours de danse. Depuis, on n’a qu’une seule chose en tête : dès que j’aurais fini mon école de cinéma, on ira vivre en Espagne. Il quittera son job et moi, j’essayerai de me trouver un job en post-prod à Madrid. On est déjà en train d’apprendre à parler espagnol. Toutes les semaines, j’ai des cours de langue et des rendez-vous CouchSurfing avec des hispano-parisiens pour m’entraîner. Ils me parlent en français, moi en espagnol, comme ça tout le monde y trouve son compte ! » explique joyeusement Clotilde.
« Je suis allé à Berlin une fois. C’est là que je me vois continuer mes études d’art, après ma MANAA », raconte Louis, étudiant à l’école de Condé. « Mes parents me trouvent immature quand je dis ça et essayent de me faire changer d’avis, mais c’est comme ça : j’ai clairement l’impression que Berlin est un eldorado artistique de dingue comparé à Paris. Il y a des événements tous les week-ends, plein de galeries à exploiter, plein d’artistes à rencontrer. Pas comme à Paris où le circuit artistique me semble toujours coincé dans les mains des mêmes personnes. »
Finalement, partir, rester ou revenir, l’essentiel semble être de savoir à quel projet de vie on veut adhérer. C’est peut-être là la différence entre fuir, rejoindre, et quitter pour mieux retrouver ? « Barrez-vous parce que rien ne vaut l’ivresse qui vient avec la conscience du monde et de l’autre du voyageur : partir, c’est découvrir qu’on ne pense pas, ne travaille pas, ne communique pas de la même manière à Paris, à Guangzhou ou au Cap. », nous disait la lettre ouverte.
Qu’il s’agisse de Marie qui envisage son expatriation comme le moyen d’être une meilleure prof ou Clotilde qui rêve de vivre son amour ibérique coûte que coûte, chaque départ semble être motivé par des raisons différentes. Seul dénominateur commun – la soif de voir ce qu’il se passe par-delà nos frontières.
Et vous ? Qu’en pensez-vous ? Avez-vous quitté la France, ou projetez-vous de le faire ? Où voudriez-vous vous expatrier, et pourquoi ? N’hésitez pas à débattre dans les commentaires !