Nom d’un cordon ombilical purulent ! Depuis que le monde est devenu le repère des voyous capitalistes, des possédés d’Alzheimer et de la dictature du bonheur, la nostalgie s’est répandue comme un mauvais vaccin dans nos tissus. L’enfance. Cette parenthèse enchantée où l’existence n’était que douceurs et émerveillements. Nous avons tous eu nos moments ah-quand-nous-étions-enfants-c’était-si-bien, juste avant nos instants et-si-je-plaquais-tout-et-je-partais-élever-des-chèvres-au-Pays-de-Galles, et peu après nos éclairs de lucidité (« en-fait-lady-gaga-ne-fait-pas-de-la-si-bonne-musique »). Erreur.
Prenez un enfant lambda. Sans anormalité physique visible à l’œil nu, quatre membres bien formés, une tête dure comme un rondin de bois. Observez-le, hors de son habitat naturel. Il prend des risques inconsidérés, emporté par son insouciance. Il découvre la peur. Très jeune, il doit faire face à la violence des rapports sociaux. Il s’amuse à disséquer des bestioles innocentes. Il refuse de manger des légumes, au mépris des conseils du Ministère de la Santé. Il se fait engueuler dès qu’il va à l’encontre des règles. Il ne sait même pas repasser son propre bermuda. Il aime un peu trop ses propres déjections. Nous avons tous été cet enfoiré d’enfant lambda.
Jean-Jacques Rousseau, Nathalie Sarraute et Françoise Dolto nous ont menti : ils nous ont fait croire, à nous adultes, que l’enfance était la quintessence de la liberté. Tout ça parce que passé ce stade, ils ne pouvaient plus jouer à la marelle ni refuser de se laver les dents sans provoquer de regards suspicieux. En ce qui me concerne, plutôt me raser le sourcil à la Pascal Obispo que de retourner à cette période pseudo-féérique.
[leftquote]Vous êtes en permanence assisté, du fait de votre état de tube digestif.[/leftquote]Au départ, impossible de vous gérer seul. Vous êtes en permanence assisté, du fait de votre état de tube digestif. Votre plante de pied vous gratte ? Vous ne pouvez vous soulager, du fait de vos petits bras impuissants. Vous avez l’air stupide, à essayer de vous gratter la plante des pieds. Alors, humilié, vous vous mettez à pleurer. Rapidement vous saisissez : les glandes lacrymales sont votre seule arme.
Dès que vous commencez à pouvoir marcher grâce à ce phénomène incroyable qu’est l’évolution, vous vous heurtez à moult interdits. Vous n’avez pas le droit de toucher les prises. Vous ne pouvez pas monter sur la table. Vous ne pouvez pas sauter du muret pour faire comme Spiderman. Toute la journée on vous assène un ‘TOUCHE PAS ÇA C’EST CACA’. Les gens semblent s’être donné le mot pour vous traiter comme un sous- être humain. Le cauchemar ne fait que commencer.
Les conversations d’adultes et le journal télévisé de 20h sont d’un ennui mortel pour vous, mais vous n’avez pas d’échappatoire. Vous devez constamment demander la permission pour avoir un nouveau jouet, dont vous vous lassez trop vite. On vous force à manger du foie de veau. Toutes les bouteilles de détergent sont placées hors de votre portée, alors que c’est ce qui vous intéresse le plus. Bientôt, on vous demandera de mâcher du fluor et d’aller chez le dentiste pour vous faire examiner la bouche.
Pire que tout : vous êtes obligés de suivre vos géniteurs le week-end, alors que vous vous amuseriez plus en boîte. Seulement voilà, une loi fictive impose aux enfants de ne pas se coucher trop tard. Faire la fête ? C’est exclu. Mais quand vous vous levez aux aurores, vous sentez bien que vous faites chier tout le monde. C’est blessant.
L’été, c’est l’abus total : on vous oblige à faire des cahiers de vacances.
On vous ment 24h/24 en faisant planer sur vous le spectre du Père-Noël. Il ne vous donnera pas de cadeaux si vous n’êtes pas sage, mais vous avez remarqué qu’il vient toujours – et ce même si vous avez collé du chewing-gum dans les poils du chat. Vous avez bien remarqué que sa barbe avait une texture étrange et qu’il avait les mêmes yeux que votre oncle Bertrand, mais vous y avez cru. Jusqu’à ce que Vanessa vous révèle la vérité dans la cour de recré. Sentiment de trahison.
Sans compter tous les bisous mouillés de vieilles décrépies que vous êtes obligé de recevoir sans faire de grimace !
Tout ça pour quoi ? D’accord, en échange on vous fait à manger et on lave vos slips sales. La belle affaire. Vous demandez que ça, vous faire à manger, mais apparemment manger des frites tous les jours est une hérésie. Plus tard, vous comprendrez qu’en fait si, vous pouvez. D’ailleurs vous ne ferez que ça, pour rattraper le temps perdu.
[rightquote]Quant à obtenir de l’argent de poche, c’est pire que de se faire rembourser des yaourts.[/rightquote]Quant à obtenir de l’argent de poche, c’est pire que de se faire rembourser des yaourts (pour l’offre spéciale « achetez 36 pots, et faites vous rembourser 50% dans les 6 prochains mois en écrivant à notre service clients avec trois copies du ticket de caisse, un RIB et une lettre manuscrite »). Vous devez attendre un certain âge, batailler sur la somme exacte, et vous n’avez même pas le droit de tout dépenser en chocolatines. Les boules.
Et constamment, cette rengaine : « tu verras quand tu seras grand ». Les années passent, et vous n’êtes jamais assez grand. Vous commencez à vous demander si vous n’êtes pas en train de vous faire arnaquer.
Ce n’est pas tout : tout ce que vous vivrez durant l’enfance vous marquera à vie. La frustration fera ses ravages à l’adolescence, et vous serez plein de rancœur pour un tas de choses insignifiantes qui se sont passées à ce moment-là. Une sorte de madeleine de Proust démoniaque, en somme.
Le seul moment où vous pourrez prendre votre revanche, c’est à la fac, en jouant à la PS3 pendant huit heures d’affilées. Puis quelques années après, quand vous aurez vos propres souffre-douleurs.
La prochaine fois je vous parlerai des gens qui enlèvent la petite pellicule translucide sur votre nouveau portable sans votre permission, alors que le faire représentait 30% du plaisir de l’achat.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Si c'est pas du second degrés
J'ai l'impression d'être la seule à ne pas du tout avoir envie de revenir en enfance
Oui je commente les articles des années après