D’abord, il y a ce mot « sugar baby », « rose bonbon, très enfantin », comme le décrit l’une des femmes qui témoignent. Ce joli nom qui permet de ne pas employer des termes plus durs, plus connotés, comme « prostitution » ou « travail du sexe ».
Dans Sugar, le documentaire de Nina Robert disponible en replay sur le site de France tv, cinq femmes témoignent de leur vécu de sugar babies : elles ont loué leur temps, leur présence, voire leur corps à des hommes, en échange d’argent. À l’instar de cet Mad qui avait raconté son expérience de sugar dating, ces femmes n’ont pas eu l’impression au départ d’avoir été travailleuses du sexe car ce qu’elles faisaient ne correspondait pas à l’image qu’elles en avaient.
C’est justement tout l’objet de ce film : montrer l’enrobage de l’appellation sugar baby, comment elle a permis de remarketer l’image du travail du sexe, l’a rendue plus présentable, et surtout plus accessible, notamment pour des femmes très jeunes.
Des filles dans le besoin et des sauveurs
Pourquoi devient-on sugar baby ? Elles, des femmes très jeunes (certaines commencent alors qu’elles sont encore au lycée, à 16 ou 17 ans) ont des difficultés à financer leurs études, à payer leur loyer. Eux, des hommes parfois largement plus âgés qu’elles, choisissent sur un site, comme on s’inscrit sur Tinder, une femme jeune qui pourra leur donner l’illusion d’une vie de couple. Elles vont « jouer à la petite copine » et en échange, recevoir de l’argent ou des cadeaux, des dîners, des vacances.
Ces hommes ne cherchent pas une prostituée, ils veulent aider, a pu constater une des témoins. Ils se voient comme des bons samaritains. Ils en oublient presque qu’ils ont payé pour cette relation. Et sur le papier, l’arrangement semble servir les deux parties.
Des vécus et des conséquences variées
Nina Robert a choisi de montrer les femmes qui témoignent dans une grande maison bourgeoise, toute en escaliers et en lattes de parquet qui craquent. Elle les a filmées en train de s’habiller, de se maquiller, de s’apprêter. Tous les artifices de la féminité qu’elles utilisent pour devenir sugar babies.
On ne verra de la plupart d’entre elles que des parties de leur corps en gros plans pour préserver leur anonymat.
Plusieurs réalités se dessinent dans le film : certaines de ces femmes ressentent un vrai traumatisme, ont vu leur rapport à leur propre corps modifié. D’autres ont une vision pragmatique de leur activité, qu’elles savent temporaires (car passé 23 ans, la sugar baby est déjà périmée), et ne se privent pas dire qu’elles gonflent leur prix à la tête du client, qu’elles plument des pigeons.
L’une d’elle témoigne d’un viol. Une autre raconte que son consentement a davantage été respecté par ses clients que par les hommes dont elle a été amoureuse et avec qui elle a été en couple.
Un symptôme du patriarcat
Malgré des détails de mise en scène un peu poussifs, Sugar est un documentaire intime qui montre l’essor de l’activité des sugar babies non pas comme un virage émancipateur, mais plutôt comme un symptôme du patriarcat, finalement « pas plus violent que le reste de la vie d’une femme », conclut amèrement l’une des témoins.
Totalement lucides, parfois en colère, elles nous font nous questionner sur les rapports de force entre hommes et femmes, et comment l’argent s’y immisce, créant ainsi un semblant d’échange de bons procédés entre des femmes jeunes, belles et en galère et des hommes vieux et plein aux as.
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