Le 23 juin :
Je ne vous laisse pas tomber ! Voici trois extraits tout chauds du Conte de la Princesse Kaguya. Dépêchez-vous, il sort le 25 juin et vous ne voulez pas rater ça !
Article du 22 mai :
https://youtu.be/ctdEB6tTbL8
Je vous laisse quelques secondes pour savourer la musique dans le recueillement et le silence.
L’adaptation d’un conte populaire
Au Japon, tout le monde connaît le Conte du coupeur de bambou. Il s’agit de l’histoire d’un vieil homme sans enfant qui, en coupant du bambou, trouve au coeur d’une tige un bébé pas plus grand qu’un pouce. Cependant, l’enfant grandit vite et devient une magnifique jeune femme que le vieil homme et sa femme vont élever comme leur propre fille. Elle sera nommé « Kaguya » (« lumière resplendissante ») en hommage à sa beauté.
Un bonheur n’arrivant jamais seul, le vieil homme trouve dans d’autres tiges de bambou des pépites d’or qui lui permettront d’élever sa fille comme une vraie princesse (« hime » en japonais).
Si je vous dis que « monogatari » veut dire « conte », vous pouvez à présent comprendre le titre japonais de ce nouveau film : Kaguya hime no monogatari, le conte de la princesse Kaguya !
Indépendante, la jeune femme va décliner l’invitation de plusieurs prétendants, jusqu’à l’Empereur lui-même. Incapable de trouver le bonheur dans l’argent ou le prestige social, Kaguya pleure le soir en regardant la lune…
Ca vous rappelle quelque chose ? C’est normal, de nombreux animes et mangas japonais s’en inspirent, à commencer par Sailor Moon évidement !
Illustration traditionnelle du conte du coupeur de bambou.
Ce conte, vieux de dix siècles donc un peu de respect s’il vous plait, a été quelque peu modifié par Isao Takahata puisque notre princesse a le temps de vivre une enfance idyllique en pleine nature pendant laquelle elle fait la rencontre d’un jeune homme travailleur vivant modestement.
Il me semble aussi qu’il y a quelques différences dans le ton de l’oeuvre : l’Empereur est tourné en ridicule, ce qu’on ne se serait certainement pas permis de faire dans le récit original, mais ces scènes illustrent bien un changement important pour la société japonaise ayant eu lieu au siècle dernier : l’Empereur a officiellement déclaré ne pas être le descendant d’Amateratsu, déesse solaire, après la défaite du Japon pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cela illustre bien le rôle très particulier de l’Empereur dans la société japonaise.
Cet exemple permet de comprendre qu’il ne faut pas traiter cette adaptation comme une jolie lubie, un objet purement esthétique — voire « kawaii », ce mot ignoble qu’on finit par coller sur toutes les productions nippones dont la délicatesse nous étonne. Sous son vernis ancestral, elle est le fruit de son époque.
Isao Takahata : un réalisateur, pas un dessinateur
Je vous rassure : vous n’allez pas pleurer toutes les larmes de votre corps comme devant le Tombeau des Lucioles. Mais il y a trois choses que l’on retrouve pour les fans et qui font de ce film une excellente porte d’entrée à l’oeuvre plus mature de Takahata. Celle-ci est moins douce, moins heureuse que celle de Miyazaki, animateur cultissime, notamment pour des oeuvres comme Le voyage de Chihiro
ou Mon voisin Totoro et accessoirement ami de longue date de Isao Takahata.
Notons d’abord l’absence totale de morale occidentale. C’est… rafraîchissant. Oubliez les méchants, les gentils, oubliez nos stéréotypes de récit en trois temps avec exposition de la scène, problème, résolution du problème. Laissez-vous guider ! Le conte de la princesse Kaguya est un voyage poétique, onirique, pas une fable de La Fontaine.
Ensuite, le dessin, évidement. Il ne ressemble pas à celui du Tombeau des Lucioles, puisqu’Isao Takahata n’est pas dessinateur. Il se considère comme un réalisateur et propose un vrai travail de mise en scène. Cette distance lui permet de varier les techniques au sein d’un même film : animation par ordinateur évidemment, traits aux crayons de couleur, aquarelle… Ces nuances de techniques sont là pour rendre compte de la diversité de la nature, mise à l’honneur dans Le conte de la princesse Kaguya.
Isao Takahata a presque 80 ans et ça ne l’empêche pas de proposer des mises en scène travaillées avec originalité : la gestion des travellings dans la forêt de bambou, avec le rendu de l’effet de profondeur par la gestion des plans, était particulièrement adroite. Il y a aussi beaucoup de vigueur dans la réalisation ; je pense à la scène de course dont la bande-annonce vous livre un extrait et où le crayon noir en déchirerait presque l’écran. Tant de violence dans un film d’animation, ça force le respect !
Parlons de la musique de Joe Hisaishi. En général, ce dernier travaille avec Hayao Miyazaki. C’est sa première collaboration avec Takahata et c’est… sublime.
La musique est traditionnelle et vous réconciliera avec les chants asiatiques, souvent difficiles à apprécier pour des oreilles occidentales. Je n’en dis pas plus : profitez simplement de ce koto, instrument à cordes, qui va vous accompagner durant tout le film, et de la musique de cette scène finale…
Une princesse indépendante
Si vous êtes en manque de film à passer à votre nièce pour lui expliquer que l’élévation sociale par le ménage et le chant ne fait pas tout, ce film est définitivement parfait : les nombreuses traditions japonaises représentées, comme par exemple le fait de se laquer les dents en noir, sont parfaites pour éveiller la curiosité, tout comme les musiques.
Mais surtout, le personnage de la Princesse Kaguya refuse les pressions de son père qui, croyant ainsi faire son bonheur, voudrait en faire une « bonne petite princesse », quitte à la culpabiliser. Elle refuse de se marier sans amour et se moque bien de son prestige malgré ses dons innés. Le conte de la princesse Kaguya ne condamne le personnage du père : il est évident qu’il meurt d’amour pour sa fille, et se trompe tout simplement de méthode.
Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’un film féministe ou engagé dans la libération de la femme, tout simplement parce que Le conte de la princesse Kaguya est japonais et que la lecture que j’en fais en tant que Française est forcément biaisée par mon contexte culturel.
Disons tout simplement qu’à l’heure où les femmes japonaises refusent de plus en plus leur rôle traditionnel, il n’est peut-être pas totalement incongru qu’un film mettant en scène une femme aussi indépendante sorte en salles. Mais cette indépendance a un prix, que Kaguya est prête à payer, mais qui fait que ce film ne peut décidément pas être vu comme une apologie à l’occidentale des libertés féminines.
Vous pourrez vous livrer à la contemplation de cette estampe animée et vous faire votre propre avis concernant son interprétation le 25 juin 2014 !
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Et la musique est sublime....
Même que j'ai pleuré...