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Féminisme

Comment éviter l’épuisement quand on est féministe ?

Marie a beau avoir le feu dans le ventre et l’envie de bouffer le monde, elle sait que défendre des idées ou une cause n’est pas forcément de tout repos. Comment continuer à lutter en évitant de s’épuiser à la tâche ?

Je suis engagée dans des assos depuis 11 ans et il y a quelques mois, j’ai raconté sur madmoiZelle mon « coup de blues » militant.

« Je viens d’ouvrir les yeux et déjà, je me demande pourquoi je devrais me lever. Il en faut, de l’énergie, pour se lever tous les matins, en sachant dans quel quotidien nous posons les pieds. […] Moi qui ai l’habitude de leader, de rassembler les énergies en un gigantesque Kamehameha contre les injustices de ce monde, j’en manque personnellement. J’ai l’impression que mes actions sont des coups d’épée dans l’eau, que la montagne est trop grande. Et si malgré toute l’énergie que je dépense, rien ne changeait ? »

Le burn-out militant, un phénomène d’actualité ?

À ce moment-là, peu de militantes osaient parler publiquement d’épuisement dans les assos.

Jusqu’à ce qu’Anaïs annonce qu’elle arrêtait Paye ta schnek.

Jusqu’à ce que Lauren Bastide mette en lumière l’ampleur du découragement militant dans un hors-série du podcast La Poudre.

Jusqu’à ce que les créatrices du collectif Féministes contre le cyberharcèlement avouent ne plus avoir les moyens d’accompagner les femmes victimes de cyberviolence dans un communiqué détaillant largement leurs (dé)motivations.

Une vague de fatigue militante déferle aujourd’hui sur les combats féministes. Rassemblées sous la bannière #PayeTonBurnOutMilitant, des centaines de personnes engagées dans la lutte pour les droits des femmes témoignent de ce qui les épuise au quotidien.

Pourquoi les militantes féministes sont épuisées ?

Et les causes du découragement sont nombreuses.

Des milliers d’associations remplissent en France des missions d’intérêt général qui viennent pallier des manques de services de l’Etat. Le planning familial et les associations de lutte contre les violences faites aux femmes en sont de parfaits exemples.

Mais alors que la demande d’accompagnement et de prise en charge ne cesse de croitre – à ce jour, 76 femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon ou ex-compagnon – les aides publiques dédiées aux associations baissent.

« Nous avons calculé qu’il faudrait au minimum 503 millions d’euros chaque année pour pouvoir aider sérieusement les femmes qui se déclarent victimes de violences conjugales. Pour les écouter, les suivre, les orienter, les loger si besoin, leur apporter une aide psychologique… Or on en est loin : le financement actuel s’élève environ à 80 millions d’euros… » Danielle Bousquet, ancienne Présidente du Haut Conseil à l’Égalité, à Libération

Sur le terrain, j’observe au quotidien les conséquences de la baisse de ces aides. Des associations licencient et mettent la clé sous la porte, les militantes sont démotivées et abandonnent le combat, et lorsqu’elles sont réunies dans la même pièce, elles se regardent en chien de faïence parce qu’une telle a gratté telle aide alors que l’autre crève la bouche ouverte. C’est tabou et nous sommes peu à en parler mais la peur de devoir cesser le combat faute de moyens semble malheureusement faire oublier à certaines toute notion de sororité.

Mais le manque d’argent n’est pas la seule source d’épuisement. La réalité des militantes sur internet, c’est de recevoir à 2h du matin le MP d’une jeune femme qui appelle à l’aide en urgence. Elles écoutent et accompagnent des histoires de vie très lourdes et souvent, elles manquent de formation pour s’en distancier. L’accumulation de témoignages violents et révoltants nous renvoie systématiquement à un fort sentiment d’impuissance et d’injustice.

Pas étonnant que de nombreuses militantes s’engagent corps et âme dans une cause qui les amène à sacrifier leurs déjeuners, leurs soirées, leurs nuits, leurs week-ends ou leurs congés. Mais au quotidien, difficile de voir si la cause avance puisque la seule donnée quantifiable, c’est le nombre de personnes accompagnées. Alors quand la fatigue s’accumule, le burn-out n’est jamais loin.

Comme si ça ne suffisait pas, dans certaines sphères, le bénévolat n’est pas vu d’un très bon œil car il « distrait » de « la vraie vie ». J’ai connu des profs qui saquaient des étudiants engagés, au même titre qu’ils descendaient des étudiants avec un job à côté. Plus jeune, je devais souvent me justifier auprès de connaissances qui ne comprenaient pas pourquoi je faisais « tout ce taf gratos » alors que le travail rémunéré devrait être ma prio.

Les féministes qui affichent leurs convictions sur internet sont aussi plus victimes de stratégies très calculées de cyberharcèlement. En plus des insultes, elles sont souvent menacées, stalkées et harcelées dans la vraie vie.

Enfin, ce milieu en tension n’est pas exempt de mauvais traitements. Comme dans le monde du travail social, les militantes cumulent un taf monstre et se retrouvent parfois débordées. Dans des assos employeuses, cela entraîne même des situations de harcèlement moral qui sont encore peu dénoncées.

Comment éviter le burn-out militant ?

La militante féministe Caroline de Haas s’est emparée de la campagne #PayeTonBurnOutMilitant pour expliquer les gardes-fous qu’elle a mis en œuvre depuis un an pour s’en protéger.

Au gré de mes années d’expérience dans le secteur asso, j’ai aussi appris à me préserver et j’ajouterais donc quelques conseils que j’aurais aimé recevoir.

  • Estimer ce qui relève de ma responsabilité

Pour se libérer du sentiment d’impuissance qui s’empare d’elle lorsqu’elle juge que les choses n’avancent pas dans le bon sens, Caroline de Haas convoque ce qu’elle appelle la « technique du paperboard » qui consiste à estimer ce qui relève de sa responsabilité et ce sur quoi elle n’a pas d’emprise.

C’est une méthode qui est parfois utilisée dans des séances psy pour nous amener à lâcher prise et prendre du recul sur un événement. À titre personnel, j’ai déjà éprouvé cet outil sous la forme d’un « camembert des responsabilités » qui s’est avéré très efficace pour lutter contre mon sentiment d’injustice. Il suffit de lister tous les facteurs et personnes qui peuvent interférer dans une situation précise, puis de dessiner un cercle sur une feuille et d’attribuer des pourcentages de responsabilité sur chacun des éléments.

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Crédit : Docteur Barois
  • Faire passer mon bien-être avant la cause que je défends

Cette idée est peut-être la plus difficile à faire passer dans un milieu où le don de soi est permanent. Mais comment trouver l’énergie d’aider des personnes si nous-mêmes, nous ne sommes pas solides sur nos appuis ?

J’ai longtemps eu l’impression qu’il y avait tellement de taf pour faire avancer la cause que je devais surpasser ma fatigue, tout donner, ne jamais lâcher. Aujourd’hui, les militantes que j’admire le plus sont celles qui savent dire stop, qui canalisent leurs actions dans un planning et qui arrivent à prendre du temps pour elles, à côté de leur engagement. Mais prendre du temps pour soi, ça demande un peu d’organisation…

  • Apprendre à déléguer et à faire confiance

Si j’avais monté les Internettes toute seule ou si j’avais choisi de centraliser tous les projets, le collectif n’existerait plus aujourd’hui. J’ai compris assez vite que pour que nos actions vivent sur le long terme, je devais pouvoir être remplaçable et dispensable. Dans l’asso, il y a donc plusieurs responsables sur chacun des projets et nous documentons tout pour que l’absence de l’une ou de l’autre ne freine pas les chantiers.

  • Savoir pourquoi je m’engage

En 11 ans, les motivations de mes engagements ont pas mal évolué. Dans ma première asso, j’étais contente de porter des projets épanouissants pour contrebalancer des études qui m’emmerdaient.

Dans ma deuxième asso, je suis venue développer des compétences qui me semblaient utiles dans le monde du travail. Actuellement, je m’engage pour les Internettes parce que j’ai une envie insatiable de défendre les paroles des femmes dans toute leur diversité dans l’espace public. Quand je traverse une période de doute, je me rappelle de cette motivation. Le jour où elle ne me portera plus, je m’arrêterais.

  • M’entourer de personnes loyales et solidaires

C’était déjà la conclusion de mon article sur madmoiZelle et elle n’a pas changé : mon meilleur garde-fou contre l’épuisement, c’est la sororité. J’ai aussi identifié que j’avais besoin d’être entourée de militantes qui avaient envie de se lier à d’autres personnes autant qu’elles avaient envie de se lier à une cause. Avoir un peu d’amour et de respect dans mon asso : c’est sans doute ma meilleure arme contre la fatigue militante.

Et toi, tu ressens aussi une certaine lassitude dans tes engagements associatifs ? Tu as des conseils à donner pour y faire face ? Viens en parler dans les commentaires. 


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