J’ai deux enfants. Enfin non, je n’ai pas deux enfants, j’ai deux ouragans de 7 et 2 ans. Deux vents forts, puissants et épuisants, qui ne savent être calmes et posés que lorsqu’ils dorment à poings fermés. Et encore, j’ai de la chance et je le sais : ils dorment, la plupart du temps, d’un sommeil lourd et profond, sans se — et me — réveiller.
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La parentalité, cet univers impitoyable
La journée, dès que leurs petits yeux bleus pour l’une, verts pour l’autre, sont ouverts, ils ne s’arrêtent pas. Mes enfants ne sont pas instagrammables, ils ont beaucoup trop de cheveux emmêlés, de chocolat sur les doigts et autour de la bouche, de fringues pas assorties et pleines de tâches pour être mis en avant sur le réseau social. Est-ce que c’est grave ? Absolument pas.
Leur chambre, bien que rangée chaque soir par mes soins ou celui de leur père, est un bordel sans nom dès qu’ils sont dedans. Elle est blindée de jouets en plastoc (mais de seconde main, on se déculpabilise comme on peut), et de déco de mauvais goût (ou du moins, pas du mien). Oui, je l’avoue, les posters de la Reine des Neiges, de Miraculous et de la Pat’ Patrouille ne sont pas mes préférés, et ils ne vont pas du tout avec le lit cabane en bois écocertifié qui m’a coûté un bras, deux reins, et qui est déjà bourré d’autocollants avec des têtes de chevaux pailletés.
Mes enfants ont des mains, et au bout de celles-ci, ils ont des doigts, qui ont la fâcheuse tendance à se coller partout. Les vitres, les portes, les rideaux, les murs, tout. Et ils laissent des traces de ces petits doigts pleins de chocolat, de morve, de bave, de bonbons, sur toutes les surfaces à leur portée. À chaque rayon de soleil qui frappe les fenêtres, on les voit : ces petites traces d’empreintes digitales qui s’accrochent aux vitres comme Darmanin à son ministère.
L’autre jour, j’étais au bout du rouleau, comme souvent : je venais de nettoyer tout l’appart, de repasser et de plier les montagnes de linge propre (oui, je repasse les fringues, y a quoi), de ranger leur chambre et de râler parce que bordel, ce n’est quand même pas compliqué de ranger un jeu quand on a fini de l’utiliser, tout en pestant que le salon n’était pas une cour de récré. J’étais au bout du rouleau, au bdr comme disent les moins de 30 ans, à me demander sérieusement si 16h30 était un horaire décent pour boire un verre de vin. Chacun sa vision du goûter, non ?
Le deuil de la vie d’avant
Ma vie se résumait donc à ça, maintenant ? Ranger des jouets toute la journée, laver, repasser, plier des fringues, cuisiner trois repas différents chaque soir parce que tout le monde ne veut pas manger la même chose, le tout en ayant un job à plein temps ? Qu’est-ce que j’étais devenue ? Ma vie était-elle, actuellement, de devoir m’inquiéter pour ces putains d’enfants que j’ai fabriqués volontairement, pour tout et pour rien, au point d’avoir même eu l’envie de glisser un AirTag sous la semelle de ma fille ainée pour être sûre de pouvoir la retrouver si elle se fait kidnapper à l’école ?
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Ma vie est-elle devenue celle d’une femme féministe qui a, d’un côté, envie d’envoyer des culottes menstruelles usagées au Figaro en lisant leur article sur la charge mentale des hommes, mais qui se tape la mission d’acheter pour 45 balles de conneries à Fête-Ci Fête-Ça pour pimper l’anniversaire de sa gosse ?
Quand je pense qu’il n’y a encore pas si longtemps, je dansais complètement pétée sur le bar du Bootleg dans le XIe arrondissement en chantant beuglant du Rihanna ou du Bruno Mars.
C’est incroyable, le temps. La notion du temps. Les heures qui passent, les jours qui s’enchainent, les années qui défilent. Un jour, t’es là, tranquille, à danser sur les tables en roulant des pelles à des inconnus dans un rade un peu miteux, et quelques battements de cils plus tard, tu essayes de garder tes yeux ouverts, ceux qui veulent se refermer après un réveil matinal bien trop tôt, tout en surveillant ta progéniture qui a trouvé des pansements usagés dans le fond du bac à sable et qui semble envisager sérieusement de les manger, pour voir quel goût ça a.
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L’ambivalence de la nostalgie
Bordel, que certaines journées peuvent paraître longues depuis que j’ai des enfants. Et pourtant, pourtant… Pourtant, un jour, je suis tombée sur une phrase, celle qui est le titre de ce billet d’humeur, et qui a l’espèce de pouvoir magique à chier que de me faire oublier toutes les galères parentales que je me tape depuis déjà 7 ans : « les journées sont longues, mais les années sont courtes ».
Oui, je sais, on dirait que j’ai ouvert un fortune cookie et que je découvre la nostalgie d’un temps qui n’est pas encore terminé, mais cette phrase a eu l’effet d’une petite bombe dans mon cœur. Je crois que plus tard, tout ça va me manquer. Un peu. Peut-être beaucoup.
Ce temps des traces de doigts sur les vitres et les murs, des jouets partout même dans les toilettes, des réveils à 6h45 le dimanche matin, des devoirs d’école, des questions et des sollicitations incessantes de mes enfants alors que j’ai besoin de calme et de paix, des rebords de baignoire jonchés de l’intégralité des figurines Playmobil, de leur haleine d’après goûter qui sent toujours la confiture de fraises, des balades du week-end même quand il pleut et que j’aurais préféré rester sous la couette mais qu’il faut qu’ils sortent et qu’ils prennent l’air sinon ils vont être ingérables… Des voyages en voiture à écouter des comptines qui me sortent par les oreilles (si je retrouve celui ou celle qui a inventé Tourne, Tourne, petit Moulin, je le bute), des goûters d’anniversaire à organiser, des tempêtes émotionnelles à gérer, des couches à changer, des câlins plus ou moins doux, des nuques qui sentent le pain chaud, de leurs boucles de cheveux qui s’emmêlent en sortant de la sieste.
La vie d’après
Tout ça, un jour, me manquera. C’est ridicule, quand on y pense. Je passe des tas de journées à me plaindre de ma vie actuelle, de mon manque d’espace vitale, du fait que mes enfants sont beaucoup trop dépendants de moi, de la difficulté énorme d’être une mère et un parent, alors que le jour où ça s’arrêtera, je sais que je vais faire des crises de manque, comme une droguée à qui le dernier rail de coke a été supprimé.
Un jour, mes enfants seront grands, ils ne voudront plus partir en vacances avec nous, ils déménageront, ils auront des copains qui seront bien plus importants à leurs yeux que leurs parents. Un jour, ils auront peut-être, eux aussi, des mômes, des boulots, des maisons. Un jour, ils auront la flemme de venir déjeuner à la maison. Un jour, ils oublieront d’envoyer un texto pour dire qu’ils sont bien rentrés chez eux. Un jour, nous ne serons plus leur centre du monde, et ça va piquer si fort.
Les journées sont longues, mais les années sont courtes, et je ne peux le constater qu’un peu plus chaque jour. Ma fille ainée me raconte ses histoires de cœur et d’amitié, et elle lève au ciel quand je lui fais la morale sur son comportement. Quant à son frère, il affirme son caractère jour après jour, commence à retirer ses couches et va rentrer en maternelle, alors qu’il était encore dans mon ventre il y a encore deux jours. Oui, ils ont encore besoin de nous, bien sûr, et ça sera toujours le cas, mais à des niveaux différents, en grandissant, et ça fait bizarre.
Bientôt, bien trop vite, il n’y aura plus de traces de leurs petits doigts sur les vitres et leurs empreintes digitales s’effaceront de nos murs. Leur enfance est entamée, déjà bientôt terminée, et leur vie avance (très) rapidement. Si je peux me demander et regretter parfois mes années avant qu’ils n’existent, si j’ai aussi hâte de retrouver ma liberté qui reviendra une fois qu’on sortira de leur petite enfance, je sais que les traces de leurs doigts resteront gravées, quelque part, sur une vitre de ma mémoire. Vraiment, la parentalité, c’est un gros bordel.
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