Publié initialement le 23 juillet 2014
En 2002, le réalisateur et scénariste Richard Linklater débute le tournage d’un film au titre alors inconnu. Il annonce aux médias qu’il a en tête l’idée de réaliser un projet pharaonique : celui de filmer la vie d’un petit garçon (Mason) de ses 6 ans jusqu’à sa majorité, soit un tournage qui se déroulerait sur douze années consécutives. Le bougre n’en est pas à son premier coup d’essai : il a déjà dans son sillon la trilogie Before Sunrise / Sunset / Midnight qui relate l’évolution de la vie d’un couple sur deux décennies, avec neuf ans d’écart entre chaque prise. Balèze !
Il caste alors Ellar Coltrane, une belle bouille de 7 ans, pour jouer le rôle de Mason et l’engage pour ses douze prochaines années. Pendant que Mason grandit sous les yeux du spectateur, ses « parents » (Patricia Arquette et Ethan Hawke) vieillissent. Logique.
« Je tourne une scène avec un gamin de 7 ans qui demande pourquoi les ratons-laveurs meurent, puis à 12 ans, il parle de jeux vidéo, et à 17, il me questionne à propos des filles. De la part du même acteur — tout en regardant sa voix et son corps évoluer… c’est un peu comme une succession de photographies de l’être humain. » (Dixit ce cher Ethan Hawke)
Il faut avouer que le projet a de la gueule ! On est assez habitués à voir des films qui essayent de nous donner l’illusion que le temps passe et que les personnages prennent des rides et du bide (on en a vu un bel exemple dans l’épilogue du dernier opus d’Harry Potter), mais filmer un casting sur douze années, et le transposer dans un long-métrage de 2h45… Ça envoie quand même du pâté.
Mais avant d’assister à la projection-presse à laquelle j’ai été invitée, je me suis quand même posé des questions pleines de scepticisme, parce que je suis rien qu’une fille méfiante en proie au doute.
Est-ce que les ellipses vont bien passer à l’écran ? Filmer une prise par année soit 4 jours par été, est-ce que c’est possible pour des acteurs ? Les technologies de 2002 sont-elles les mêmes que celles de 2013 ? Et Coltrane, est-ce qu’il va bien vieillir ? Et s’il meurt, on fait quoi ? On improvise comme pour L’Imaginarium du Docteur Parnassus ?
Je suis venue, j’ai vu, j’ai été vaincue
Je dois avouer que le résultat est à la hauteur de toutes mes espérances, non seulement parce que le projet est entièrement bien accompli mais aussi parce que le film est tout simplement très bon !
Niveau technique, quand je vois la différence entre la VHS édition 1998 de Pokémon et la version DVD de 2012, je vois quand même la différence. De son côté, Linklater a bien fait les choses en privilégiant le format 35mm afin de conserver le niveau des images. Le format étant en voie de disparition avec l’ère numérique actuelle, le réalisateur est quand même parvenu à conserver l’homogénéité du film. Donc Boyhood est techniquement vintage.
En ce qui concerne le casting, c’est assez beau d’observer Ellar Coltrane, cette petite chrysalide, se métamorphoser en un joli papillon de lumière, sans trucage ni artifice. Ellar est un vrai petit garçon, puis un vrai ado livré avec cheveux gras et boutons purulents, et au final un vrai jeune homme qui quitte le domicile familial pour entamer un nouveau chapitre à la fac.
J’avais sincèrement peur que le projet ne survole un peu trop rapidement ces douze années charnières qui bâtissent les fondations de ce qui va devenir notre vie de jeune adulte. J’avais peur de voir un film qui parle des moments qui « marquent » la vie d’un enfant : le premier pâté de sable, le premier amour, le premier bisou, etc. Mais au final, Boyhood ne tombe dans aucun de ces clichés : il prend justement le parti pris de montrer les banalités du quotidien
de Mason et de sa grande soeur.
Certains diront qu’il ne se passe rien et se feront royalement chier, mais d’autres arriveront à déceler la poésie palpable entre ces lignes où rien n’est dit. Ceux-là auront la chance de discerner… la beauté, tout simplement.
Des repères spatio-temporels qui font écho à notre jeunesse
En sachant que Boyhood était tourné sur une période de douze ans, je me suis attendue à ce que la notion du temps soit explorée à travers l’évolution de la culture, du contexte sociopolitique et des progrès technologiques. J’étais aussi impatiente de voir à l’écran ces vieux souvenirs qui forment le décor mon enfance.
Il n’y a peut-être pas les Minikeums dans le film, mais il y a de quoi se consoler avec de nombreuses allusions à Harry Potter (du tome 2 à la sortie des Reliques de la Mort), à la Gameboy, à Twilight (qui prend une sacrée branlée) et à Star Wars !
Par contre, j’ai été un peu déçue par la bande-son du film, qui n’est pas très recherchée à mon goût. Linklater a préféré rythmer son oeuvre de hits musicaux qui ont résonné dans nos oreilles de 2002 à 2013 : Coldplay, Arcade Fire, Gotye, Vampire Weekend, tout le monde y passe… même Britney ! Heureusement, Dylan et Mc Cartney apportent un peu plus de fond à la trame.
Un témoignage de l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte
Ce qui m’a littéralement touchée, c’est de constater à quel point chaque être humain, aussi différent soit-il, encaisse au final le même lot universel de trucs cool et pas cool. Je me suis reconnue en Mason. En fait, la bonne nouvelle c’est que n’importe qui pourrait s’y reconnaître.
Comme lui, on grandit avec la magie illusoire qui disparaît au fil de temps pour laisser place à une vérité plus ou moins abrupte : le triangle père/mère/enfants dans les familles éclatées, la présence non désirée d’une famille recomposée, les relations masculines basées sur les rapports de force, les déménagements, les nouvelles écoles, mais aussi les amis, les premiers émois amoureux (ceux qui nous mettent des papillons dans le ventre), les premières soirées, les premières soifs existentielles et les révoltes de l’adolescence, les jobs d’été épuisants, puis les choix auxquels nous devons nous confronter en tant que jeunes adultes…
J’ai même senti mon coeur se tordre lorsque j’ai compris à quel point il est difficile pour une maman de voir ses enfants quitter le foyer familial pour faire leurs études à l’autre bout du pays.
Du coup, à la fin du film, quand on quitte (difficilement) Mason à l’entrée de l’université, on a cette crainte de ne plus savoir ce qu’il adviendra de lui, mais on a la conviction de savoir qui il a été. Et c’est ce qui fait la beauté de Boyhood, au final.
Maintenant, j’ai envie de dire… à quand Girlhood ?
— Un grand merci à Aurore Taddeï pour cet article !
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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