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Société

L’avortement, « c’est possible, mais tabou », me racontent des jeunes au Liban

Esther a discuté avec un groupe de jeunes au Liban au sujet de l’avortement. L’occasion de se rendre compte du tabou qui entoure la chose.

Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.

Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des sénégalaises et sa deuxième étape l’a menée au Liban ! Elle y a réalisé interviews, portraits, reportages, publiés au fil des jours sur madmoiZelle.

Pour retrouver tous les articles et la genèse du projet, n’hésite pas à jeter un œil au sommaire de présentation : madmoiZelle en reportage au Liban !

Tu peux aussi suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !

« Je suis venue avec entre autres l’objectif de parler à des jeunes femmes qui ont été confrontées à une grossesse non désirée. Voire qui auraient avorté. »

Silence court mais gêné. Yeux écarquillés. C’est vrai que cette question manque de délicatesse, mais gardons à l’idée que je ne la sortais pas de but en blanc à chaque nouvelle rencontre.

« Hummm c’est assez tabou ici donc ça va être compliqué. Moi je connais personne. »

La plupart du temps, lorsque tu évoques le sujet de l’avortement au Liban, deux sons de cloche se font entendre en même temps : c’est facile d’y avoir accès, mais c’est tabou.

Si tu as besoin d’avorter, ce sera possible moyennant finance, mais on n’en parle pas trop.

En effet, au Liban, l’avortement est seulement autorisé dans le cas où la vie de la mère est en danger, et même dans cette situation, il faut l’accord de deux médecins en plus de celui qui pratiquera l’avortement.

À lire aussi : J’ai avorté clandestinement en Colombie — Témoignage (et mise à jour, 8 mois plus tard)

L’avortement, au Liban, se fait « au noir »

J’ai eu la possibilité de discuter de l’impact que ça avait dans leur vie avec des étudiant·es, dans un cadre anonyme et confidentiel.

L’avantage, c’est que tout le monde savait quel allait être le sujet de la discussion et donc que tout le monde était prêt à dire ce qu’il ou elle en pensait.

Mais il reste bien plus facile d’aborder le sujet en parlant des « amies ». Lina* me raconte par exemple l’histoire d’une copine de lycée :

« Elle a dû avorter, c’était un curetage, ça ne s’est pas fait par médicaments. Elle disait que c’était vraiment étrange et qu’elle avait détesté ça, qu’elle ne s’était pas sentie en sécurité.

Elle n’a pas été dans une clinique déclarée, il n’y avait qu’un simple bout de papier sur la porte pour indiquer que c’était ici.

C’est le « médecin » et sa femme qui a fait l’assistante qui ont pratiqué l’acte et apparemment, elle a beaucoup souffert… »

Les jeunes femmes assises en face de moi expliquent que tout se fait « au noir » :

« Ce sont des dessous de table. Donc il n’y a aucune garantie : on en profite pour te faire payer plus, si tu es pas mariée, on va potentiellement te le refuser car tu n’étais pas censée être sexuellement active avant ta nuit de noce… »

Comment trouver un médecin pour avorter au Liban ?

Malgré tout, même celles qui avaient au début de la discussion des réticences sur le droit à l’avortement admettent finalement qu’elles y auraient recours si elles tombaient enceinte, comme Abida :

« Je suis dans ma 2ème année d’université, même si je veux une famille plus tard à 100% c’est juste pas du tout le moment ! »

Mais lorsqu’on demande comment elles feraient pour y avoir accès, personne ne sait.

« Je pense que le mieux, c’est de demander à sa famille »

, tente Lina, qui vient d’un milieu « progressiste » selon ses dires. Mais elle est aussitôt contredite pas l’ensemble de l’assistance.

« Non c’est impossible la famille. C’est le dernier endroit où je conseillerais de chercher de l’aide et où j’irai en chercher moi-même ! » répond Ilhem*.

Toutes les deux viennent de milieux très différents. Ilhem a grandit dans les montagnes, sa famille est très conservatrice. Elle est druze et dans son village, tout le monde se connaît.

« Là d’où je viens, si ça arrive, si elles parlent à leur famille, elles pourraient être tuées. »

Je prends cette affirmation très au sérieux car quelques jours plus tôt, j’échangeais avec une représentante de l’association Amel, qui vient en aide aux femmes réfugiées au Liban.

Elle témoignait d’avoir dû fournir du soutien psychologique à la soeur d’une jeune femme syrienne, assassinée par son père pour être tombée enceinte hors mariage.

Lina explique que le crime d’honneur, en arabe littéralement « l’assassinat de la honte », doit faire disparaître le stigmate désormais attaché à l’ensemble de la famille, lorsque par exemple une fille tombe enceinte hors-mariage. Ilhem reprend :

« Peut-être pas tuées, mais elles seront battues éventuellement, et enfermées chez elle pour ne pas montrer l’objet de la honte. »

Ces crimes d’honneur ne sont pas légion au Liban mais se produisent tout de même — en témoigne une actualité du 18 avril 2018. Ils sont directement liés à l’injonction de virginité dont je parlais dans un précédent article et qui vise toutes les femmes non mariées.

La difficulté, c’est que cette impossiblité à assumer une sexualité nuit également à l’accès à la contraception.

« Jamais je n’irai chercher des préservatifs dans la pharmacie de mon village, et même à Beyrouth j’irais dans une pharmacie éloignée de là où vivent mes parents », explique Ilhem.

Alors autant dire que pour ce qui est de l’avortement, c’est encore plus compliqué.

« Si je fais ça, dans l’heure qui suit ma famille est au courant car le pharmacien aura parlé à quelqu’un qui aura parlé à quelqu’un… Tout le monde se connaît et les ragots circulent très vite ! »

Une combinaison de médicaments pour avorter au Liban

Les pharmacies, justement, sont pourtant les lieux qui semblent indiqués pour demander conseil en cas d’avortement. C’est ce que plusieurs autres jeunes femmes m’ont raconté et j’ai donc fait le test moi-même.

Je résidais pendant mon séjour à Beyrouth dans un quartier chrétien, et les deux pharmacies où je me suis rendue en prétextant avoir besoin d’avorter m’ont indiqué le même hôpital, le même médecin, dans le quartier.

« On peut faire une combinaison médicamenteuse qui aurait cet effet-là, mais il faut une ordonnance du médecin. Vous pouvez vous rendre dans la clinique X. Mais demandez M. Y, dans le quartier je pense que c’est le seul. »

Mais il suffit de mettre un pas dans la dite clinique, pour se douter que tout le monde ne peut pas y avoir accès vu le standing.

C’est ce qui me chiffonne le plus dans l’histoire. Oui, il semble qu’avorter soit facilement accessible, en ville du moins…

« Il suffit d’aller dans la bonne clinique privée, et ce sont des avortements au même standing que dans les pays où c’est autorisé », témoigne une militante féministe.

Mais les conditions sanitaires semblent varier largement en fonction de la somme que l’on peut mettre dans son avortement, d’une part, et de l’autre… quid de celles qui vivent dans les villages, dans les montagnes ?

Autour de la table, toutes celles qui en sont originaires sont catégoriques : impossible de poser la question de l’avortement dans ce contexte.

Les ONG n’osent pas provoquer le débat sur l’avortement au Liban

Pourtant, en dépit de ce défaut d’accès, les ONG rechignent à parler ouvertement d’avortement.

J’ai rencontré cinq des organisations les plus reconnues dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive ou plus largement des droits des femmes : aucune ne fait campagne pour une évolution de la législation.

L’une des responsables associatives interviewées m’expliquait :

« Je ne veux pas amener le sujet sur la table. Vous voyez ce qu’il se passe actuellement aux États-Unis ? C’était accessible et autorisé, le débat refait surface, et le droit régresse

Eh bien je suis terrorisée à l’idée qu’il se passe la même chose ici.

Donc je préfère qu’on se contente de ce statut quo où c’est relativement accessible même si c’est illégal, plutôt que de donner l’opportunité aux politiques de réprimer l’avortement plus durement.

Surtout en cette période d’élections où certains pourraient être tentés d’en faire un argument ! [NDLR : les premières élections législatives en 9 ans se sont tenues au Liban début mai] »

C’est d’autant plus compréhensible que la répression n’a pas tout à fait disparu :

« Il y a des médecins qui chaque année sont interdits d’exercer, lorsqu’on découvre qu’ils aident des patientes à avorter », me précise une autre jeune femme.

Cela explique qu’aucun de toutes ceux et celles à qui j’ai parlé n’ai voulu me confier qu’ils aidaient parfois des jeunes femmes à avorter, soit en fournissant des conseils, des adresses, soit en le pratiquant directement.

C’est pourtant une pratique courante — en témoigne l’histoire de Yasmine, qui a dû avorter à l’âge de 18 ans. Je vous la raconterai dans le prochain article !


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