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Justice

Après le rejet de son action, la militante Tran To Nga poursuit son combat pour les victimes de l’agent orange

Après six ans de procédures, le tribunal d’Évry a jugé irrecevable la plainte de Tran To Nga contre 14 entreprises agrochimiques ayant produit l’agent orange. Mais le combat ne s’arrête pas là.

Le tribunal d’Évry a statué ce lundi 10 mai : l’action de la militante franco-vietnamienne Tran To Nga a été jugée irrecevable. Cela signifie que les quatorze multinationales, dont Monsanto-Bayer et Dow Chemical, dont elle dénonce les agissements, ne seront pas poursuivies pour leur responsabilité dans l’écocide provoqué par un herbicide, le tristement célèbre « agent orange », utilisé pendant la guerre du Vietnam.

C’est une immense déception pour Tran To Nga, âgée aujourd’hui de 79 ans, mobilisée depuis des années en tant que victime elle-même de l’agent orange, atteinte de plusieurs maladies causées par l’exposition au produit : « Je vous confirme que je suis déçue, et même en colère, mais pas triste », a-t-elle affirmé lors de la conférence de presse qui s’est tenue ce matin. Car il s’agit mine de rien d’une victoire, selon elle :

« Pendant ces six années, on a réussi à faire ressortir le passé ».

À ses côtés, le Collectif Vietnam-Dioxine, qui mène des actions pour sensibiliser à la nécessité de reconnaître les victimes de l’agent orange, a fait part de sa volonté de poursuivre le combat, comme le confirme à Madmoizelle Fidji Gerbaz, qui en fait partie :

« Le Collectif Vietnam Dioxine sera évidemment avec elle jusqu’au bout, la responsabilité des entreprises doit être reconnue. Exposer la vie de plus de 3 millions de civils vietnamiens ne peut se faire sans conséquences. »

Les millions de victimes de l’agent orange

Les États-Unis ont déversé par millions de litres l’agent orange sur les terres vietnamiennes dans les années 60. En détruisant les forêts, ils tentaient d’empêcher les forces armées vietcong de s’y réfugier. L’agent orange doit son nom aux bandes orange qui figuraient sur les bidons.

Le produit n’a pas seulement ravagé tout l’écosystème, il a rapidement eu des conséquences très graves sur la santé des habitants et habitantes comme sur celle des générations qui ont suivi : cancers, fausses couches, naissances prématurées, malformations…

Le combat judiciaire contre les industriels qui ont fabriqué ce produit toxique n’est pas récent. Avant Tran To Nga et sa plainte en 2014, des associations avaient tenté d’obtenir réparation au début des années 2000 : en 2004, l’Association des victimes de l’agent orange/dioxine avait vu sa plainte pour crimes de guerre rejetée par le tribunal de première instance de la justice fédérale américaine à New York.

Une injustice alors que des vétérans de la guerre du Vietnam qui avaient été exposés à l’agent orange avaient obtenu réparation dans les années 80.

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La justice française a tranché en faveur des industries

C’est à nouveau un sentiment d’injustice que les activistes ressentent aujourd’hui après ce verdict. Il établit que les multinationales peuvent se prévaloir de l’immunité de juridiction.

Lors des audiences de janvier dernier, l’un des avocats de Monsanto avait en effet défendu que les entreprises visées par la plainte de Tran To Nga « devaient bénéficier de l’immunité de juridiction et qu’un tribunal français n’était pas compétent pour juger l’action d’un État étranger souverain dans le cadre d’une “politique de défense” en temps de guerre », selon le compte-rendu du Progrès.

Ce matin lors de la conférence de presse, Tran To Nga et ses avocats ont fait part de leur stupéfaction après avoir découvert que le jury a repris de façon quasi exacte les arguments de la partie adverse.

Alors que les entreprises affirment avoir agi sous la contrainte des États-Unis qui leur auraient ordonné de produire et de fournir l’agent orange, les avocats affirment au contraire que ces sociétés ont initialement répondu à un appel d’offres

: « Elles avaient la liberté de le faire, elles avaient une marge de manœuvre », a rappelé Me Amélie Lefebvre.

« Ces sociétés ont commis une faute en produisant ce produit, en connaissant sa toxicité, elles ont dissimulé des informations et ont continué à le fournir. »

Quel recours aujourd’hui ? Les avocats des Tran To Nga vont faire appel, en accord avec la volonté de leur cliente : « C’est un nouveau volet de ce combat qui s’ouvrira avec cet appel », selon Amélie Lefèbvre.

Tran To Nga n’entend pas baisser les bras et clame sa fierté d’être aujourd’hui soutenue dans le monde entier pour son combat : « Si mes demandes sont irrecevables, alors cette conclusion pour moi est irrecevable », a-t-elle affirmé.

Le combat continue pour Tran To Nga

C’est à la suite des épandages d’agent orange au Vietnam que la notion d’ « écocide » a émergé pour la première fois.

Dans la loi Climat et Résilience tout récemment votée à l’Assemblée nationale, la notion de « délit d’écocide » est désormais présente (alors que la Convention citoyenne souhaitait intégrer celle de « crime d’écocide ») afin de punir les atteintes à l’environnement. Une mesure qui reste insuffisante et floue, selon des associations.

Pour André Bouny, auteur de Agent Orange, Apocalypse Viêt Nam présent lors de la conférence de presse, l’épandage de l’herbicide constitue bien d’un crime d’écocide, au regard des conséquences sur l’environnement et la biodiversité au Vietnam. Les difficultés à appliquer la future loi se situent selon lui dans les moyens pour définir l’intentionnalité. « Il sera difficile de trouver une définition de l’écocide qui convienne. »

Les activistes pour la reconnaissance des victimes de l’agent orange vont poursuivre la mobilisation et donnent rendez-vous le 15 mai prochain à Paris, pour la marche mondiale contre Monsanto-Bayer et l’agrochimie, aux côtés d’autres associations de défense de l’environnement.

Le combat est donc loin d’être terminé pour Tran To Nga qui garde malgré tout espoir en la justice française. Elle sait qu’en obtenant gain de cause, elle peut permettre à d’autres derrière elle de demander réparation : « Ne me lâchez pas, ne me laissez pas tomber, la vérité est à nous », tel était son message ce matin pour poursuivre sa lutte pour obtenir justice.

À lire aussi : Avec « Tropiques Toxiques », Jessica Oublié règle les comptes de l’affaire du chlordécone


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