Article publié le 28 juillet 2020
Mise à jour du 17 août 2020 : Le New York Times a publié une longue enquête selon laquelle Christophe Girard, ancien adjoint à la maire Anne Hidalgo, aurait abusé sexuellement d’un mineur de 16 ans, alors qu’il était lui-même âgé de 46 ans. Des abus qui auraient duré une dizaine d’années et « laissé des blessures psychologiques durables » à la victime.
Encore une féministe harcelée pour ses opinions. Dimanche 26 juillet au soir, après plusieurs jours de harcèlement violent aux relents misogynes et lesbophobes, l’élue EELV et militante pour les droits des femmes et des personnes LGBTQ Alice Coffin a accepté d’être placée sous protection policière.
À la racine du harcèlement qu’elle subit ? La polémique engendrée par la démission de Christophe Girard, ex-adjoint à la culture d’Anne Hidalgo, sous la pression de féministes et de personnalités politiques — dont Alice Coffin. Les liens de Girard avec Gabriel Matzneff, sous le coup d’une enquête pour viols sur mineurs, sont à l’origine de cette mobilisation.
À la manière d’Adèle Haenel aux César, l’élue a également scandé « la honte » au Conseil de Paris, lorsque le préfet de police Didier Lallement a lancé une standing ovation en l’honneur de Christophe Girard.
Après cette sortie remarquée, Alice Coffin, connue jusqu’ici principalement dans les secteurs militants, est devenue un trending topic sur Twitter. Et comme souvent dans ces cas-là, on a fouillé son passé…
Ainsi, d’autres propos de l’élue datant de 2018 ont refait surface. Considérés « délirants » voire « hystériques », ils ont dérangé assez de monde, et intensifié la vague de harcèlement envers Alice Coffin, pour mener à cette protection policière qu’elle avait, dans un premier temps, refusée.
Les propos d’Alice Coffin sur le viol, si « délirants » que ça ?
Mais qu’avait dit Alice Coffin de si terrible ?
Dans l’extrait d’une intervention ayant eu lieu en 2018 sur le plateau de la chaîne Russia Today, RT pour les intimes, Alice Coffin débat sur la Procréation médicalement assistée (PMA) et notamment l’accès des couples de femmes à cette option pour concevoir un enfant.
https://youtu.be/_drwAnQQ9LM?t=317
À 5 min. 18, elle revient sur le « rôle du père » et par extension du mari dans le cadre d’une famille créée par un couple hétérosexuel :
Moi, en tant que femme, ne pas avoir un mari, ça m’expose plutôt à ne pas être violée, ne pas être tuée, ne pas être tabassée. Et cela évite que mes enfants le soient aussi.
Horreur et damnation. Relayés sur les réseaux sociaux mais aussi sur des sites d’extrême-droite comme Valeurs Actuelles ainsi que sur des médias généralistes, ces propos ont hérissé celles et ceux qui taxent les militantes féministes et les lesbiennes de misandres, castratrices, « mal baisées » haïssant tous les hommes et autres poncifs éculés.
La contre-attaque n’a pas tardé. Le Figaro assène que « son propos est donc stricto sensu misandre » ; Télé-Loisirs
titre sur « des propos choquants ». Sur Twitter, comme souvent, c’est la foire d’empoigne. Alice Coffin est identifiée comme une femme qui hait les hommes et leur veut du mal.
Pourtant, elle est loin d’avoir tort.
Alice Coffin n’a pas tort avec ses « propos choquants » sur le viol
Selon les chiffres publiés par le gouvernement en 2016, « les ¾ des femmes victimes de viols et des tentatives de viols ont été agressées par un membre de leur famille, un proche, un conjoint ou ex-conjoint ».
Ce n’est qu’en 1990 que le premier viol conjugal a été reconnu par la justice française, « décision historique » selon cet article très complet de France Culture ; pendant des décennies, des siècles même, une femme mariée devait à son conjoint des relations sexuelles. Ce fameux « devoir conjugal », voile pudique duquel on a recouvert jusqu’à très récemment la réalité du viol dans le couple.
Au niveau des violences conjugales, toujours selon les chiffres du gouvernement, 81% des morts au sein du couple sont des femmes. De plus :
« En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui, au cours d’une année, sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur conjoint ou ex-conjoint, est estimé à 213 000 femmes.
L’auteur de ces violences est le mari, le concubin, le pacsé, le petit-ami, ancien ou actuel, cohabitant ou non. »
La réalité des violences sexistes, conjugales, sexuelles en France est désespérément méconnue, même si les choses évoluent dans le bon sens grâce au travail acharné des féministes, dont Alice Coffin.
Avec cette déclaration, elle ne dit bien évidemment pas que « tous les maris sont des violeurs », elle rappelle une réalité statistique indéniable : la cohabitation amoureuse et sexuelle avec un homme est, pour une femme, une forme de prise de risque. Les chiffres sont là.
Dans Le Figaro, la journaliste Peggy Sastre tente une comparaison hasardeuse :
C’est une vérité statistique. Mais elle ne peut pas en prédire une situation individuelle. On peut lui opposer que la grande majorité des enfants assassinés au cours de leur première année de vie sont tués par leur mère. Si on applique sa fausse logique, il faudrait donc déconseiller aux femmes de faire des enfants car il est très dangereux pour un enfant d’avoir une mère.
Or, Alice Coffin ne déconseille rien à personne ! Elle ne se dresse ni contre les hommes en tant qu’individus ni contre les couples hétérosexuels. Chez Russia Today France, elle défend l’égalité. Lorsqu’elle manifeste pour la suspension de Christophe Girard, elle défend sa vision de l’éthique en politique. Et c’est son droit.
(Nota bene : Peggy Sastre est en tort, d’ailleurs — selon ce rapport gouvernemental, « Les personnes impliquées [dans les décès d’enfants, NDLR] sont très majoritairement les parents biologiques, les pères et mères en cause étant à égalité. Ce sont toutefois principalement les pères qui sont responsables de la mort des nourrissons victimes du SBS [Syndrome du Bébé Secoué, NDLR]. »)
Une femme féministe et lesbienne qui énerve
Le déferlement de haine visant Alice Coffin n’est malheureusement pas surprenant. Il vise celles qui osent ne pas se taire, celles qui osent dénoncer et appeler de leurs voix, de leurs cris, un monde plus égalitaire.
Il les cible avec un objectif : les réduire au silence. En leur faisant peur ; en tournant leurs propos et leurs luttes en ridicule ; en ironisant, depuis le confort d’un « débat d’idées », sur ce qui est pour certaines des questions de vie ou de mort.
Alice Coffin ne mâche pas ses mots, milite avec énergie et intransigeance, tend un miroir douloureux à une France qui préfère encore ignorer que nous connaissons toutes et tous des violeurs, que les bons pères de famille tuent trop souvent leurs proches, que les femmes qui aiment les femmes n’ont pas encore les mêmes droits que celles qui aiment les hommes.
Cette polémique illustre aussi une fracture : celle qui se creuse entre les personnes éduquées au féminisme, au courant des chiffres, pour lesquelles les propos d’Alice Coffin reflètent une réalité statistique… et les personnes pas encore sensibilisées qui sont choquées par cette réalité.
C’est pour combler cette fracture qu’Alice Coffin et d’autres féministes, comme la rédac de madmoiZelle, tiens, militent. Parce qu’on ne résout pas un problème en le cachant sous un pudique tapis d’ignorance.
Face à la haine et au harcèlement, et pour saluer le courage de cette militante, un seul mot d’ordre me semble essentiel aujourd’hui : #JeSoutiensAliceCoffin.
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