Game of Thrones, c’est terminé pour cette année ? Merci. Enfin. Joie. Soulagement dans ma chaumière. Avant de me planter des fourches d’indignation, laissez-moi vous expliquer le pourquoi de cette phrase. J’ai un problème, si tant est qu’on puisse l’envisager comme tel : je ne suis pas accro aux séries.
Je sais, ça peut paraître bizarre. Et dans notre monde actuel, dans le milieu dans lequel j’évolue, croyez-moi, c’est dur. J’entends tellement parler séries que je suis capable d’énoncer le scénario et le CV de personnages dont je n’ai jamais vu l’ombre d’une ride, et même d’écrire une brève dessus après quelques pages de recherche sur Google. Et pourtant, ça ne prend pas avec moi. Je n’aime pas particulièrement les séries, et parfois, je me demande si c’est normal.
On parle souvent d’addiction aux séries comme d’un phénomène de société. De mon côté, j’ai envie de vous expliquer ce que ça fait d’être une personne semi-imperméable aux séries.
Parce qu’on ne parle jamais de nous. On fait des papiers sur les séries comme phénomène social. Mais le seul article que j’ai trouvé en français au cours de mes courtes recherches sur l’Internet sur le sujet, Si toi non plus, ami lecteur, tu n’aimes pas les séries, est, comme me l’a indiqué son auteur qui m’a pourtant dit être comme moi, « en partie fictionnel et en partie ironique ».
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L’effet de groupe, ça me fait prout
À mon sens, je rassemble à peu près tous les critères sociaux qui font que je devrais être accro aux séries : je suis jeune, je travaille sur le Web, j’ai un accès quasi-permanent à l’Internet, je fais un métier qui nécessite de s’intéresser à l’actualité, je kiffe la pop-culture, je suis entourée de potes (plus ou moins geeks) qui aiment les séries et en parlent. Même ma famille s’y colle. Parfois, je me demande si au fond, il n’y a pas dans mon corps une grand-mère de 75 ans dissimulée, si je ne rate pas un pan de ma jeunesse sans le savoir.
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Le profil des spectateurs de séries que m’établit Clément Combes, sociologue et auteur de la thèse La pratique des séries télévisées : une sociologie de l’activité spectatorielle, me semble confirmer que je pourrais être dedans :
« Le public-type d’amateurs de séries est plutôt jeune (15-35 ans). Les générations au-delà de 50 ans sont bien moins touchées par le phénomène. Sinon, il me semble que ça touche indistinctement les hommes et les femmes, et les différentes catégories socioculturelles. Reste que tous ne regardent pas le même type de séries. »
À la limite, peu importe que je n’aie pas d’attrait particulier pour les séries. Après tout, j’ai un tas d’autres centres d’intérêt, mes parents m’ont dotée d’une langue et d’une mâchoire en état de fonctionnement, je suis capable de tenir une conversation sur l’arôme de fraises fait à partir de coucougnettes de castor… Bref, à priori, je suis censée m’en sortir socialement sans l’option séries.
Pourtant, parfois, j’envie la facilité avec laquelle les séries créent du lien entre les gens. Je l’ai observé régulièrement, dans un contexte de travail, ou entre deux personnes de mes amis qui ne se connaissent pas. Insérez le nom d’une série qu’elles regardent toutes les deux dans la discussion : elle se retrouvent à rire ensemble, à faire des hypothèses, dix minutes plus tard, emballé, c’est pesé, vous m’en mettrez deux kilos de création de lien social.
Éclairage de Clément Combes :
« Comme le disait Dominique Boullier à propos de la télévision : celle-ci nous procure un univers de références communes qui, notamment, sont utilisées lors de nos conversations quotidiennes de la même manière que les échanges autour du temps qu’il fait. Ces références communes, en quelque sorte, renforcent la communauté le sentiment d’en être. »
Au milieu de tout ça, je me retrouve comme une tranche de jambon dans un sandwich triangle : j’écoute, je m’ennuie et je ne sers à rien.
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Ce sentiment d’être à côté de la plaque provoque parfois chez moi une sorte de honte (pas suffisante pour m’inciter à regarder des séries toutefois). À la rédaction, nous sommes deux à ne pas vraiment regarder de séries, et il y a encore peu de temps, nous n’osions même pas le dire à voix haute. Avouer qu’on ne consomme pas ou peu de séries, c’est presque confesser un défaut, s’exposer à des réactions d’incompréhension, voire de pitié. Clément Combes tempère un peu mon sentiment d’exclusion :
« Sans aller jusqu’à la marginalisation sociale, c’est vrai qu’une des raisons de suivre une série (notamment chez les plus jeunes) est d’avoir une idée de ce dont « tout le monde » discute dans la cour de récré ou à la machine à café.
Je ne crois pas que les gens éprouvent plus le besoin de parler des séries que d’autres produits culturels. En revanche, les séries sont venues concurrencer ces autres produits (cinéma, musique etc.) dans le champ des pratiques culturelles. Un champ de pratiques et d’échanges a bel et bien émergé depuis 20 ans en France.»
Mais le problème ne s’arrête pas à mes proches. Dans les médias, je vois partout des références et des conseils sur les séries à regarder, les séries de la rentrée à ne pas manquer, les détournements de séries, habille-toi comme dans la série… Séries séries séries partout. Et on ne fait pas exception sur madmoiZelle. Une grande partie de la rédac, ainsi que les lectrices et lecteurs, aiment ça, c’est normal. Mais est-ce que vous regarderiez autant de séries si on ne vous en parlait pas tout le temps ? Est-ce que je suis juste imperméable à ce que je lis ?
Si j’en crois Clément Combes, accuser mes lectures serait un peu simpliste :
« Vaste question que celle de l’influence des médias, et difficile de répondre avec certitude. Ce qui est sûr, c’est que les médias mettent à l’agenda des contenus et des thèmes. C’est sans doute pour ça que tout le monde parle de et regarde Game of Thrones ou House of Cards. Mais ces deux séries demeurent de bonnes séries, et c’est probablement davantage cette raison qui fait leur succès. À l’inverse, nombreuses ont été les séries qui, malgré un gros plan com’, n’ont pas marché. »
Regarder des séries ? Ni le temps ni l’envie
Si la passion de mes proches pour les séries n’est pas modelée par les médias, je ne suis donc pas une résistante à la pensée unique. Ça serait entièrement de ma faute, si je ne regarde pas ou peu de séries ? Je pourrais jouer la mauvaise foi et dire que c’est parce je n’en ai trouvé aucune à mon goût, que je trouve ça pauvre culturellement… Sauf que ce n’est pas le cas.
Je peux tout à fait comprendre qu’il existe de très bonnes séries comme il existe de bons films et de bonnes musiques. Même si elle envahit un peu mon cercle social, je ne crache pas sur cette addiction. Simplement, je ne la comprends pas.
Clément Combes répond à mon interrogation :
« Il y a de multiples raisons qui font qu’on ne regarde pas de séries : le manque de temps ; la peur de « tomber dedans » et ne plus pouvoir s’en libérer (une raison souvent invoquée) ; l’inintérêt pour les histoires longues ; l’aversion bien ancrée pour le petit écran et ses programmes (quand bien même ces derniers ont monté en qualité). Certains aussi ne trouvent tout simplement pas leur compte avec les séries, et préfèrent, qui le cinéma, qui la littérature, qui la musique, etc. »
Cette fois, je me reconnais. Pas pour la peur de l’addiction, ni dans le mépris du petit écran. Je le répète, je n’émets pas de jugement de valeur. En revanche, je n’arrive pas à être accro aux séries. Soyons clair•e•s, j’ai déjà regardé quelques séries dans ma vie ou quelques épisodes. Je peux même vous en lister quelques-unes (et il n’y a pas que des chefs d’oeuvre, j’assume tout) : True Blood, Mad Men, Girls, Veronica Mars, Sherlock, Revenge, Orange Is The New Black, Gossip Girl, Ugly Betty, Le Destin de Lisa, New Girl, Drop Dead Diva, Un Dos Tres, Misfits, Chefs, Malcolm, The Newsroom…
J’ai tenté donc. Sans succès. Certain•e•s sont accros, moi, je décroche. Je suis la mauvaise élève, la pas attentive, la négligente. Quelques exemples pour mieux vous situer le problème :
- Si une série dépasse les trois saisons, j’arrête de la suivre quasi inconsciemment (il est vraiment très rare que j’arrive au bout d’une série)
- Je peux très bien arrêter en plein milieu d’une saison et reprendre des épisodes en plein milieu d’une autre, sans pression
- Si je m’ennuie au bout de 10 minutes du premier épisode, je ne cherche même pas à poursuivre
- Si je ne trouve pas la série que je cherche facilement, je laisse tomber
- Je peux interrompre un épisode en plein milieu pour commencer à regarder un film, et oublier pendant des années que j’ai fait ça
- Je peux décider de commencer à m’intéresser à une série alors qu’elle a commencé il y a cinq ans…
- …ou alors lorsqu’elle vient de se terminer après dix saisons
- Je me moque complètement de la date à laquelle vont reprendre les saisons
- Si je m’endors au milieu d’un épisode et que je veux voir le suivant, je lis la fin sur Wikipédia, sans respect
Ces comportements sont répétitifs et sans lien, à mes yeux, avec la qualité ou non de la série envisagée. Peut-être cela vient-il du format. Ma collègue anonyme qui n’aime pas les séries m’expliquait par exemple qu’elle détestait le suspense. Dans mon cas, il m’indiffère. Je n’attends pas la suite de mon épisode la bave aux lèvres, je n’ai pas le coeur qui bat. Je me dis : bon, c’est fini, peut-être à la prochaine.
Par conséquent, je suis assez peu sujette au binge-watching. Alors je suis toujours impressionnée quand, lors d’une conversation lambda, mes interlocuteurs sont capables d’énoncer une trentaine de titres de séries différentes, d’en énumérer les différents personnages et les dénouements ! Moi, quand j’essaye de m’y mettre, je n’en connais jamais assez. Même quand je crois avoir rattrapé mon retard en ayant jeté un oeil à la tendance du moment, il y a toujours une nouvelle œuvre télévisuelle qui débarque et fait s’écrouler mes espoirs de m’intégrer.
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Outre la mémoire incroyable de mes compatriotes, qui ne cesse de m’étonner, je me pose surtout une question d’ordre pratique : où trouvent-ils le temps de regarder TOUT !A ? Personnellement, je n’y arrive pas. Un épisode de série, ça peut durer de 20 minutes à une heure. Quand on a des horaires de bureau, des trajets de métro, des trucs pratiques à régler, cette durée a priori courte représente beaucoup de temps. Temps qu’il faut multiplier par le nombre d’épisodes.
Et je ne prétends pas avoir une vie passionnante et remplie de mille activités plus enrichissantes que de regarder un écran. J’ai aussi des moments de creux, que je pourrais utiliser pour ça. Mais à moins d’être malade ou déprimée, j’ai toujours quelque chose à faire ou à ne pas faire à la place (oui, glander sur Internet fait partie de mes alternatives). Le soir ? Je n’ai plus aucune volonté de résistance à la fatigue, et bien souvent le match se conclut ainsi : série 0 — sommeil +1000.
SPOILER : je me fiche des spoilers
Du coup, j’ai du mal à comprendre ce qui, pour beaucoup d’accros aux séries, constitue l’incarnation du diable. Dans chaque conversation se dissimule un scandale imminent, qui n’a qu’une cause : le spoiler. Le spoiler, c’est une révélation sur un passage-clé d’un épisode non diffusé, ou du moins, qui n’a pas encore été vu par tout le monde, de ta grand-mère à ton chat en passant par les plantes vertes du salon. C’est la kryptonite des accros de séries.
À la moindre spoiler aleRt, mon entourage gueule, se bouche les oreilles, fait le tour de la pièce en courant, se roule en position foetale sur le sol. Sur les réseaux sociaux, on se plaint des spoilers avec autant de constance et de prévisibilité qu’on se plaint de la météo ou de la température. Ces réactions suscitent mon incompréhension totale au regard de la gravité que j’accorde à la chose.
Autant je déteste qu’on me gâche la fin d’un film si elle est dotée d’un twist phénoménal, autant pour les séries, je m’en carre l’avant-bras gauche avec un poil de souris. Peut-être parce que quand j’en regarde (oui oui, ça m’arrive), je ne m’attache pas tant au final de l’épisode qu’à la façon dont il va arriver. Machin meurt à la fin ? Ah bon, c’est dommage pour Machin. Mais qu’est-ce que Truc et Bidule ont fait pour qu’on en arrive là ?
Le chercheur Clément Combes commente :
« Cette crainte de se voir raconter la suite ou la fin d’une oeuvre de fiction a toujours plus ou moins existé. »
Pourtant, fut un temps, j’avais l’impression que tout le monde s’en battait les flancs autant que moi. Vous avez le souvenir de quelqu’un disant : « Ne me spoile pas Friends steuplé ! » ou « Quoiiiii il a révélé la fin de l’épisode 364 du Caméléon ? ». Pas moi. Mais voilà, aujourd’hui, j’ai comme le sentiment que le spoil a envahi nos vies, et menace presque l’existence de la planète. Clément Combes admet qu’il est beaucoup plus présent depuis que les séries sont diffusées sur Internet :
« C’est d’autant plus prégnant pour les séries qu’on ne peut pas les voir dans leur ensemble d’une traite [NDLR : dans la plupart des cas]. Quand tout le monde était contraint par la diffusion TV, tout le monde était au même point du récit et ça ne posait pas de problème. Avec le DVD, la VOD ou le DivX, la donne a changé. Ça a libéré les spectateurs du cadre contraignant et fédérateur du rendez-vous TV. On a, aujourd’hui, un phénomène de désynchronisation relative des temps sociaux de visionnage, qui fait peser sur les échanges entre spectateurs le danger du spoiler. »
Pour autant, il tient à relativiser :
« Le mot tabou pour le spoiler est mal choisi, notamment parce qu’une part, certes minoritaire, de spectateurs, cherche justement le spoiler. Ils aiment savoir à l’avance, ne pas être pris par surprise, en savoir plus que les autres (avoir une longueur d’avance), etc. »
Ciel. Il y aurait donc des spectateurs de séries qui réagissent comme moi. Peut-être suis-normale au fond ?
Peut-être aussi que je changerai d’avis. Qui sait si dans quelques années, je ne me réveillerai pas accro ? Encore faudrait-il que cette addiction aux séries dont on parle tant soit durable, ce que Clément Combes ne peut me confirmer :
« Difficile de répondre. Je suppose que le genre est en train de maturer, de se cristalliser dans les pratiques et devrait s’ancrer durablement, oui… Tout en se modifiant, probablement, et en s’autonomisant en partie de l’institution télévisuelle (par exemple, les web séries qui n’ont plus besoin de la télé). »
Rendez-vous au prochain épisode. Ou pas.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Je regarde quelques trucs avec mon copain (Castle, Big Bang Theory, Flash, Agent Carter et SHIELD principalement) car il adore ça mais bon je pourrais m'en passer facilement!!
Par contre ma drogue à moi c'est les dramas coréens
Un drama = une saison et les épisodes sont diffusés à la suite (pas de pause à la con pour noël ou autre) au rythme de 2 épisodes par semaine (pas besoin d'attendre 10 ans la fin de la diffusion pour s'y mettre). La diffusion d'un drama qui fait peu d'audience n'est pas annulé au pire il perd 1-3 épisodes la fin est un peu baclée mais on te laisse pas au milieu de l'histoire comme une merde (le respect à la coréenne)
Généralement un drama 16 ou 20 épisodes d'une heure et bim tu passes à une autre série!!
(Mention spécial pour Dong Yi ou Queen Seon Duk respectivement 60 et 62 épisodes d'une heure qui sont superbes et que j'ai juste adoré (oui j'ai vu 2 fois Dong Yi))
Je me souviens d'une période où je regardais les dramas du mardi/mercredi et du jeudi/vendredi des 3 chaines principales, ça me faisait 12 épisodes d'une heure par semaine à regarder... oui j'ai eu une période un peu folle mais ça pas duré
Mais à moins d'avoir des connaisseurs dans ses amis (pas vraiment mon cas) tu passes juste pour quelqu'un avec des goûts bizarres et qui aime les "bridés qui se ressemblent tous" (merci pour eux)
Bon je comprends l'exclusion qu'on peut ressentir sur les séries américaines...
"Ah oui tu regardes pas tu préféres tes tching chong qui mangent du riz" grrrrrr