Mardi 19 décembre, au terme d’un procès très médiatisé et mené au pas de charge par le président de la cour d’assises de Nanterre Didier Safar, Monique a de nouveau été condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de vingt ans pour sa complicité dans trois meurtres commis par son ex-époux, le tueur en série Michel Fourniret.
Condamné en 2008 à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible pour le meurtre de sept jeunes femmes et jeunes filles, en France et en Belgique, l’ « ogre des Ardennes » est mort en mai 2021, avant d’avoir pu répondre de ses actes pour trois autres affaires : celle de Marie-Angèle Domèce, 19 ans, disparue à Auxerre (Yonne) en 1988 ; Joanna Parrish, 20 ans, violée, battue et étranglée ; et Estelle Mouzin, neuf ans, disparue le 9 janvier 2003 à Guermantes (Seine-et-Marne), et dont le corps n’a jamais été retrouvé. C’est pour ces trois affaires, dans lesquelles elle a joué un rôle actif, que Monique Olivier se trouvait dans le box des accusés depuis le 28 novembre.
Journaliste d’investigation et autrice de l’enquête Dans le cerveau du tueur (éd. Fayard), Michèle Fines a suivi depuis 2003 l’affaire Estelle Mouzin et s’est intéressée de près au couple Fourniret. Pour Madmoizelle, elle a décrypté les enjeux de ce nouveau procès, pointé les errements de la justice française et dressé la personnalité complexe de l’accusée.
Madmoizelle. Monique Olivier est jugée depuis la semaine dernière pour complicité dans les affaires Estelle Mouzin, Marie-Angèle Domèce et Joanna Parrish. Quel est l’enjeu de ce nouveau procès, qui intervient entre 20 et 35 ans après les faits ?
Michèle Fines. L’enjeu est celui de tous les procès : essayer de savoir ce qui s’est passé et se confronter au seul membre du couple criminel encore en vie, Monique Olivier, puisque Michel Fourniret est décédé. La justice ayant pris tellement de temps qu’elle est arrivée trop tard alors qu’il était prêt à parler en 2018, lorsqu’il a été interrogé par la juge Sabine Kheris. Elle l’avait suffisamment préparé, suffisamment mis en condition, elle avait suffisamment travaillé le dossier pour qu’il soit prêt à avouer et à donner les corps. Mais c’est aujourd’hui trop tard.
C’est ce qu’attendent de ce procès les familles de victimes, retrouver leur corps ?
Michèle Finès. Oui, car il manque aujourd’hui deux dépouilles : celle d’Estelle Mouzin et celle de Marie-Angèle Domèce. On a les scénarios grâce à Monique Olivier – on ne serait pas à la Cour d’assises aujourd’hui si elle n’avait pas avoué les meurtres. Mais pour Joanna Parrish et Marie-Angèle Domèce, elle a avoué en 2005 ! Et nous sommes en 2023, c’est quand même vertigineux. Pour Estelle Mouzin, il a fallu des semaines entières d’interrogatoire, il a fallu lui mettre des preuves sous le nez pour que Monique Olivier finisse par avouer. Ça a été un accouchement extrêmement long et difficile pour l’équipe d’enquête qui a été montée par la juge Kheris. Ce qui est fascinant, c’est que la juge Kheris ne connaissait pas les tueurs en série. Il n’existait jusqu’à récemment pas de formation spécifique sur les tueurs en série : on a toujours considéré qu’il n’y avait pas de tueur en série en France donc on ne s’est jamais mis en mesure de les traquer. La juge Kheris a voulu apprendre, elle s’est adressée en 2017 à la cellule de la gendarmerie qui s’appelle la direction des sciences du comportement, où il y a des psychocriminologues – des profilers – qui travaillent sur les tueurs en série et aident les enquêteurs à monter des interrogatoires. Elle a donc demandé à la cheffe de cette cellule, Marie-Laure Brunel-Dupin, si elle pouvait « étudier » Michel Fourniret, qu’elle connaissait déjà. Elle a donc repris tous les écrits de Fourniret pour comprendre sa psychologie de l’intérieur. Et elle a briefé la juge. Pendant six mois, elles ont travaillé ensemble à ce premier interrogatoire de Michel Fourniret. Le travail de la greffière Valérie Duby a aussi été très important. Elle forme avec la juge Kheris un binôme hors du commun puisque normalement, un greffier est quelqu’un qui note, qui connaît la procédure. Là, on a une greffière qui déborde un peu de son rôle, qui va proposer à la juge d’aller chercher des choses nouvelles. Par exemple, faire appel à un archéologue, pour qu’il mette sa science à leur disposition pour essayer de faire parler la terre et retrouver le corps d’Estelle Mouzin. Mais aussi faire appel au FBI, à des anciens de la DGSE… D’autres pays ont déjà eu ce type de démarches mais la France est toujours très en retard en matière de science criminelle. Ça n’a pas permis de retrouver le corps d’Estelle Mouzin, mais ça a fait avancer la France sur la criminologie et sur le regard porté aux tueurs en série.
Comment décririez-vous la personnalité de Monique Olivier ? Est-elle une « ogresse » des Ardennes ou, comme elle se décrit elle-même, une « idiote » assujettie à son mari ?
Michèle Fines. J’avais « étudié » de manière théorique Monique Olivier au moment de l’écriture de Dans le cerveau du tueur. On m’avait raconté la difficulté de l’interroger, de l’appréhender… Et puis, au procès, j’ai vu la pratique. J’ai assisté aux interrogatoires et j’ai vu la vraie Monique Olivier. Je me souviens m’être dit durant la première heure du premier interrogatoire qu’effectivement, elle n’était pas très maligne. Et puis, quand certains avocats ont commencé à l’interroger vraiment, elle se racontait. Mais dès qu’on arrivait aux faits, de manière très intelligente, elle s’arrêtait de parler. Elle disait : « Je m’embrouille », « je ne me rappelle plus »… Je me suis rendu compte qu’en fait, elle est assez intelligente. Je ne sais pas si elle a 130 de QI comme l’a mesuré un expert, mais elle a l’art de contourner les questions difficiles. Au procès, ils s’y mettent à plusieurs : le président, les assesseurs, les avocats de la défense… Et elle, elle ne bronche pas. C’est comme pendant l’instruction : ils étaient six ou sept autour d’elle, et elle ne bougeait pas. Il n’y a que quand on lui mettait des preuves indiscutables sous le nez – comme l’ADN d’Estelle Mouzin sur le matelas de la camionnette de Fourniret, et l’ADN de Monique Olivier à côté – qu’elle finissait par avouer.
Monique Olivier, ça n’est pas n’importe qui. Elle est très étonnante, très intrigante. Et c’est aussi quelqu’un qui a une habitude extraordinaire des cours d’assises et des auditions. Elle a été entendue des centaines de fois donc elle sait très bien comment ça se passe, quel est le déroulé des questions… Elle connaît les pièges. Et l’audience n’est pas faite pour la laisser parler, alors c’est très compliqué. Je ne donnerais donc pas un avis à l’emporte-pièce qualifiant Monique Olivier d’ « ogresse », de « manipulatrice » car elle est beaucoup plus complexe que ça. Elle est aussi assez énigmatique, elle a plusieurs facettes. Les personnes qui l’ont interrogée pendant des mois disent qu’il n’y a pas qu’une seule Monique Olivier, il y en a trente.
Madmoizelle. Quelle est son attitude depuis l’ouverture du procès ? Le procureur Francis Nachbar la qualifie d’ « inhumaine », pointe son « absence totale d’empathie » pour les victimes…
Michèle Fines. Le jour où la famille d’Estelle Mouzin a été entendue à la barre, tout le monde était extrêmement ému. C’est terrifiant de voir à quel point ces affaires détruisent toute une famille, toute leur vie. Et la seule qui ne pleurait pas – elle a d’ailleurs dit qu’elle était incapable de pleurer – c’était Monique Olivier. Elle était dans le box, les yeux rivés par terre. À la fin, elle a dit « je suis monstrueuse ». Peut-être qu’elle a voulu signifier en parole qu’elle comprenait l’énormité de ce qu’elle avait fait, mais elle n’a pas laissé transparaître d’émotion.
Les témoignages les plus effrayants sont ceux des co-détenues de Monique Olivier. Elles vivent avec elle au jour le jour, notamment une co-détenue qui lui a servi de garde-du-corps, qui était régulièrement dans sa cellule. Elle dit de Monique Olivier qu’elle racontait de manière presque obsessionnelle les meurtres, dont celui d’Estelle Mouzin, avec une espèce de jouissance de s’en rappeler. Ça, c’est « l’autre » Monique Olivier, que la plupart des gens ne voient pas. Et c’est un portrait glaçant.
Quel rôle Monique Olivier a-t-elle tenu auprès de Michel Fourniret ?
Michèle Fines. Monique Olivier n’a jamais été condamnée pour meurtre, mais elle est complice, membre d’un couple criminel. Son rôle est avéré, elle intervient à tous les stades. Elle participe au repérage des victimes, elle les rassure en les faisant monter dans la voiture, donne des médicaments à certaines d’entre elles pour les endormir ou les neutraliser… Elle est aussi complice parce que quand Fourniret n’arrive pas à violer, elle l’aide. Elle assiste aux meurtres sans s’interposer, et parfois elle est présente lors de l’ensevelissement des corps. Mais elle a du mal à le dire. C’est une complice de crimes de bout en bout.
Quelle est la ligne de défense de Monique Olivier lors de ce procès ?
Michèle Fines. Sa défense, c’est de minimiser son rôle, de dire qu’elle ne se souvient pas. Son avocat rappelle – et il a raison – que si elle n’avait pas avoué, on n’en serait pas là. Mais si elle avoue, elle le fait en sous-évaluant sa participation. Elle dit qu’elle était le « chien » de Fourniret, qu’elle ne décidait de rien, qu’elle n’avait pas le choix… Mais Monique Olivier avait le choix. Pour certains qui ont travaillé sur cette affaire, elle est même plus coupable que lui car lui, c’est un psychopathe, un monstre enfermé dans sa folie. Elle, elle était au départ une femme normale qui a eu le choix, à plusieurs reprises, de le suivre ou de ne pas le suivre. Pour la première victime, Isabelle Laville, c’est elle qui la fait monter dans la voiture, c’est elle qui la piège. Pour Estelle Mouzin, elle la garde alors que Michel Fourniret est absent. Et quand la juge Kheris lui fait remarquer qu’elle aurait pu la relâcher, elle a cette phrase consternante : « je n’y ai pas pensé ». Elle n’a aucune empathie. Pour Olivier et Fourniret, tuer une victime, c’est comme écraser une mouche. La vie des autres n’a aucune importance.
Vous avez suivi l’affaire Estelle Mouzin depuis ses débuts, en 2003. Qu’a-t-elle de si exceptionnel ?
Michèle Fines. Il y a deux enfants dont la disparition a marqué la France car on s’identifie à la douleur des parents : c’est le petit Grégory et la petite Estelle. Il y a des générations Estelle. Je rencontre des journalistes aujourd’hui qui me disent « j’ai l’âge d’Estelle Mouzin ». Moi j’ai quasiment l’âge des parents d’Estelle. On est des générations marquées par sa disparition. Avant Estelle, on laissait nos enfants aller tous seuls à l’école. L’affaire Estelle Mouzin nous a fait prendre conscience que même dans un endroit très calme, ils pouvaient risquer leur vie. J’ai modifié mes comportements comme maman, et beaucoup de parents ont fait de même. Pendant des années, on a vu des affiches de cette petite fille partout, ça nous a tous concernés. Le papa d’Estelle a été très actif, on a suivi son combat, on a souffert avec lui… Estelle Mouzin, c’est une partie de l’histoire française.
À lire aussi : Affaire Sophie Le Tan : « En plus du deuil, sa disparition a créé une cassure avec le reste du monde »
Et l’affaire Fourniret ?
Michèle Fines. L’affaire Fourniret, c’est une affaire hors-normes qui n’a trouvé sa solution parce que des enquêteurs belges l’ont arrêté. Sinon, il aurait continué à sévir. C’est un fiasco judiciaire énorme, à tous les niveaux, jusqu’à l’arrivée de la juge Kheris. La France a été d’une cécité aberrante par rapport à ce couple criminel, elle l’a laissé agir pendant 17 ans et ne s’est pas mise en mesure d’essayer de savoir ce qu’ils avaient fait après, de manière tout à fait étonnante.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué depuis l’ouverture du procès le 28 novembre ?
Michèle Fines. Plusieurs choses. La tenue des débats, qui n’est pas terrible. On a un président qui ne laisse pas le dialogue s’instaurer. Jeudi dernier, Monique Olivier a commencé à dire quelque chose quand l’avocat d’Éric Mouzin [le père d’Estelle, ndlr] a réussi à la coincer, et il n’a pas pu poursuivre l’interrogatoire car le président a tout arrêté. C’est très dommage.
Ce qui m’a beaucoup frappée aussi, c’est quand je suis allée écouter les enquêteurs de la police judiciaire de Versailles, c’est de voir à quel point tous les signaux étaient là pour qu’ils envisagent Fourniret dans l’affaire Estelle Mouzin, et comment ils les ont ignorés car ils n’ont pas, comme beaucoup d’enquêteurs, la connaissance des tueurs en série. Il n’y a pas de formation en France, on a toujours considéré que c’était un non-sujet. Et dieu sait que Fourniret a laissé des « petits cailloux » sur sa route, à la fois lors des auditions, à la fois dans ses écrits, pour avouer le meurtre d’Estelle. Mais personne n’a voulu le voir.
Y aura-t-il un avant et un après l’affaire Michel Fourniret dans le traitement des affaires criminelles impliquant des tueurs en série ?
Michèle Fines. Oui, et c’est très important. Tout ça est venu de l’intérieur du système : ce n’est pas le ministère de la Justice qui a reconnu qu’il s’était trompé et qu’il fallait tout changer. Ce sont les avocats des parties civiles avec l’avocat de la défense et la greffière Valérie Duby qui ont constaté que quelque chose n’allait pas. C’est d’ailleurs Valérie Duby qui a proposé de créer un pôle dédié aux crimes en série et aux cold cases avec des spécificités : des juges d’instruction qui ne changent pas, qui connaissent la matière, qui sont formés à la psychologie des criminels en série. C’est quand même la greffière qui a écrit le projet de loi qui a permis de créer le pôle des crimes sériels qui se trouve à Nanterre et qui est dirigé par Sabine Kheris.
Y aura-t-il un nouveau volet judiciaire à l’affaire Fourniret-Olivier ?
Michèle Fines. Il y a encore une enquête en cours sur Lydie Logé, qui a disparu dans l’Orne en 1993 et dont on a retrouvé l’ADN dans la camionnette de Fourniret. Elle s’est évaporée juste avant Noël. Ça donnera lieu à un procès. Mais il y a plein d’autres histoires qui n’ont pas été enquêtées, dont Monique Olivier a parlé. Elle a par exemple raconté aux Belges qu’en 1997, Fourniret est rentré avec une jeune fille et qu’elle a dû passer avec leur fils la nuit dans la voiture. Quand elle est retournée à leur domicile, la jeune fille n’était plus là. Mais personne n’a enquêté dessus en France, personne.
Il y a aussi raconté aux enquêteurs belges le crime d’une jeune fille au pair, avant de revenir sur ce qu’elle avait dit, et personne n’a jamais trouvé de qui il s’agissait. Et une petite fille avec des couettes et des baskets à fleurs, dont Monique Olivier a raconté le meurtre à l’une de ses codétenues, mais personne n’a non plus travaillé dessus.
Comment vit-on une telle affaire de l’intérieur, quand on la suit de si près et si longtemps ?
Michèle Fines. Je n’aime pas trop en parler car je suis en relation avec les familles et je trouve ça indécent de parler de mes émotions. Mais c’est vrai qu’on prend de grandes claques. Il y a des jours où je n’étais vraiment pas bien, même si je m’en remettais. Cette affaire est tellement tentaculaire, tellement hors-normes, qu’on a du mal à en sortir et à passer à autre chose. C’est ce qui est arrivé aux avocats qui ont travaillé sur le couple Fourniret-Olivier, à tous ceux qui les ont approchés : les juges, les enquêteurs, les procureurs… Ça marque à vie. Fourniret le disait lui-même au procureur de Charleville-Mézières : personne ne sortira indemne de cette affaire, et il avait raison.
Ce ne sont pas ses crimes qui m’intéressent, c’est comment le système judiciaire a été en échec face à ces gens-là. Qu’est-ce qui ne va pas dans le système judiciaire français ? Si je peux apporter une réponse, mon travail aura une utilité sociale. Le reste n’est pas intéressant.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires