En France, on a le droit d’adopter seule dès 26 ans. Dans les faits, les célibataires doivent justifier leur projet en profondeur et endurer des procédures à rallonge. Entre les démarches administratives et le roller coaster émotionnel propre à cette parentalité singulière, des mères solo nous racontent les bails.
Qui n’a pas versé ses plus belles larmes devant le film Pupille ? Alice, le personnage joué par Élodie Bouchez, y adopte un tout jeune bébé, un « pupille de l’État » — des enfants nés sous X, abandonnés ou orphelins.
Et ce qui rend l’histoire encore plus bouleversante, c’est que ce n’était pas gagné pour Alice, une femme seule de plus de 40 ans. En général, les wannabe mères solo ont peu de chances d’adopter en France.
« Il y a encore 2-3 ans, les départements n’examinaient même pas les dossiers de célibataires », indique Caroline Bourdier, présidente de l’association Adoption en solo. « Les conseils de famille (qui attribuent des familles aux pupilles) sont plutôt tradi et préfèrent toujours les jeunes couples mariés« .
La récente enquête de l’association auprès de près de 300 répondants (disponible sur leur page Facebook) affirme qu’un quart des adoptants et adoptantes solo ont expérimenté des jugements négatifs lors de l’évaluation psychologique.
Des répondantes rapportent des commentaires très déplacés comme « On me renvoyait toujours vers l’insémination » ou « J’étais jeune et je gagnais bien ma vie, alors pourquoi ne pas me « faire faire » un enfant ?« . L’enquête rapporte aussi des refus de principe « sans arguments » : une répondante raconte que l’assistante sociale lui a « clairement indiqué [qu’elle] devrait [se] tourner vers l’international, car on ne confie pas de pupille à une femme seule en France« .
« Bref, il n’y a que les jeunes couples de médecins qui se voient confier un bébé français au bout de deux mois« , sourit amèrement Mathilde, maman solo d’un enfant de bientôt 6 ans.
Elle correspond à la majorité des célibataires adoptantes, qui sont 82% de femmes et 66% de personnes de plus de 40 ans d’après l’enquête d’Adoption en solo. « Cette moyenne d’âge peut s’expliquer par des histoires de couple qui n’ont pas fonctionné ou de multiples essais pour fonder une famille de manière différente, antérieurs à la démarche d’adoption« , explique Caroline Bourdier.
Se faire agréer, et rester motivée
Mathilde s’est lancée à 35 ans, parce qu’elle a « toujours voulu adopter« . Elle a suivi le parcours « classique », à commencer par la demande d’agrément : en gros, il s’agit de signaler à son département qu’on souhaite adopter.
Après 3-4 rencontres avec un psychologue et autant avec une assistante sociale ou un éducateur, on obtient ce « permis d’adopter« , comme l’appelle Mathilde. C’est une « notice d’agrément » pour un enfant de 0 à 36 mois, de 5 à 10 ans, ou encore à « besoins spécifiques » (par exemple un enfant porteur d’un handicap ou avec une histoire lourde ou stigmatisante).
La jeune femme s’est ouverte à cette possibilité, se disant que sa démarche aurait plus de chances d’aboutir et qu’elle se sentait prête. Une fois le « permis » en poche, c’est à l’adoptante de jouer et de se tourner vers divers organismes.
Comme la majorité des adoptantes solo, Mathilde s’est tournée vers un organisme agréé pour les adoptions à l’étranger. C’est de Bulgarie qu’on l’appelle un jour pour lui dire « qu’elle a été choisie pour un petit garçon« , raconte-t-elle.
« On reçoit quelques informations, des photos, et on doit dire si on est partant ».
Mathilde, maman de Jean
Elle y part avec son compagnon — qui s’est greffé à son projet, mais pas en tant que futur papa— et ils restent 5 jours pour se familiariser avec Jean (le prénom a été changé).
Et puis, il faut repartir, et elle ne reviendra que 4 mois plus tard pour le récupérer. Entre l’agrément et le jour où Jean a passé le pas de sa porte, il y a eu 4 ans. Il faut être « motivée », selon elle :
« Je crois qu’il faut rester active dans sa recherche. Moi je le sentais dans mes tripes, mais si on ne le sent pas, si on vit à contrecœur la procédure d’agrément, il ne faut pas y aller. »
Elle raconte avoir été toujours « reboostée » par ces rendez-vous, qui lui permettaient de réfléchir, d’affiner son projet : « ils nous confrontent à des questions futures : par exemple : vous êtes seule, si vous êtes malade, qui va garder votre enfant ? Je me suis dit que c’était bien de réfléchir à un parrain, à un relais« .
Mathilde s’est adaptée aux handicaps de son fils, qui a plusieurs malformations congénitales et qui est sourd : « c’est juste une composante de Jean, on ne se pose plus la question, on communique en langue des signes à la maison« , raconte celle qui a fait une deuxième demande d’agrément et est prête à accueillir un deuxième enfant à besoins spécifiques.
Elle s’apprête à déménager en Belgique pour pouvoir scolariser Jean dans une école bilingue français – langue des signes.
Mettre des sous de côté et se remonter les manches
C’est qu’il ne faut pas avoir peur de chambouler sa vie, et d’entamer de nombreuses démarches : « pendant longtemps, pour adopter en Russie, il fallait faire près de 200 pages de dossier et renouveler des autorisations et autres rapports psychologiques tous les deux-trois mois !« , se rappelle Caroline Bourdier.
Il y a aussi certains pays qui ont totalement fermé leurs portes à l’adoption par des célibataires. Dans tous les cas, il faut se préparer aux démarches en France et dans le pays d’origine, attendre le jugement qui confirme l’adoption, faire les papiers d’identité, obtenir la nationalité française pour l’enfant, etc.
Sans compter, ou plutôt, en comptant les coûts parfois très élevés de l’adoption à l’étranger : l’association évalue à une fourchette comprise entre 16 000 et 21 000 euros une adoption en Chine par exemple, hors billets d’avion.
Alexandra (le prénom a été changé), elle, a dû faire un emprunt pour son projet. Choquée de la « claque » qu’elle se prend quand un organisme lui dit que cela fait « 15 ans [qu’ils] ne [prennent] plus de dossiers de célibataires« , la jeune quadra se lance en individuel, grâce à des connaissances qui avaient adopté au Congo-Brazzaville (NDLR : attention, depuis une loi de février 2022, l’adoption individuelle, sans passer par un OAA (organisme agréé pour l’adoption), n’est plus possible).
C’est grâce à un avocat sur place qu’elle se voit proposer, moins d’un an après avoir obtenu l’agrément, de rencontrer un garçon « d’environ 2 ans », Clément (le prénom a été changé), accueilli en pouponnière. En février 2020, juste avant le confinement, elle part à sa rencontre, et le ramène à la maison en février 2021. Lors des deux voyages qu’elle a entrepris, elle a apprécié pouvoir passer du temps dans le pays, échanger avec les nourrices de Clément, apprendre qu’il a « beaucoup été porté en pagne« , en savoir plus sur ses petits camarades…
« Je peux lui en parler aujourd’hui, de ses copains, du Congo. C’est important et ça m’a aidée à bâtir mon lien avec lui ».
Alexandra, maman de Clément
Elle évoque aussi les enjeux auxquels il faut être attentif en accueillant un enfant dont on ne partage pas l’héritage : « On parle ensemble de sa couleur de peau et de la mienne, moi qui suis toute blanche et rousse ! Il l’évoque de lui-même aussi, avec sa figurine de cheval qui est « de la même couleur que [lui] » ou en parlant de ses cheveux, conscient qu’ils sont différents de la majorité de ses camarades. Concernant le racisme, il a déjà subi des moqueries à l’école maternelle, mais c’est encore rare. On va apprendre à faire avec« .
Nourrir le lien aux origines
La question des racines et de garder un lien avec ses origines traversent toutes les mères interrogées, mais pour Virginie, ça été plus facile : cette Française d’origine vietnamienne a décidé d’adopter au Vietnam après avoir eu des difficultés à avoir des enfants de manière « naturelle ». Tout son projet s’inscrit dans son histoire familiale :
« Je crois que je voulais avoir un bébé qui me ressemble et retisser moi aussi un lien avec un de mes pays d’origine. »
Virginie, qui a adoté Haïhanna il y a 17 ans
Après avoir déposé son dossier auprès du ministère des Affaires étrangères — c’était il y a 17 ans, et l’Agence française de l’Adoption, qui oriente les candidats à l’adoption internationale, n’existait pas encore, elle trouve finalement toute seule un orphelinat à Vung Tau, là où son propre père passait ses vacances enfant.
C’est avec lui, et avec sa mère, qu’elle ira chercher Haïhanna, une toute petite fille d’un mois et demi : « On a passé trois semaines là-bas. C’est une grande aventure qu’on a vécue tous ensemble« . Sa grand-mère, d’abord circonspecte quant à l’idée de l’adoption, est conquise par la petite. Aux 10 ans de sa fille, Virginie l’emmène au Vietnam pour un grand voyage. « On nourrit ses origines vietnamiennes, elle revendique ses racines, elle cuisine vietnamien… » sourit-elle.
Mais elle concède aussi que la vie avec une ado adoptée, « ça secoue pas mal » :
« Je crois qu’ils sont encore plus écorchés vifs que l’ado moyen. Ils sont en recherche d’eux-mêmes, ils testent beaucoup l’amour qu’on leur porte, et on n’a pas forcément le mode d’emploi. Ma fille a toujours eu beaucoup de colère en elle, qui s’est un peu calmée après avoir vu son orphelinat. »
Avant l’adoption, Virginie s’était dit qu’en tant que parent solo, il faudra qu’elle s’attelle à mettre en place un cadre, « pour ne pas se faire bouffer« , dit-elle en riant.
Alexandra conseille d’être bien entourée — elle se réjouit d’avoir des frères très soutenants et une maman qui s’occupe tous les mercredis de son petit — et de ne pas hésiter à demander de l’aide : « je suis toujours en lien avec des couples qui ont adopté, dont certains ont adopté au même endroit que moi. Par ailleurs, mon fils fait déjà des séances avec une psychologue. Je me dis qu’il peut y travailler certaines choses, et que ce sera déjà ça de moins à porter à l’adolescence« .
Virginie se réjouit aussi du lien de ses filles (quelques années après l’arrivée d’Haïhanna, elle est tombée enceinte d’Isaure, aujourd’hui pré-ado), avec leur oncle et leur grand-père, et se rappelle s’être plongée dans les bouquins : « je suis célibataire, mais je ne me sens pas seule« , martèle-t-elle.
Mamans du jour au lendemain
Mais bien avant l’adolescence, les adoptantes préviennent du choc que cela peut être de devenir parent du jour au lendemain, littéralement. Virginie a vraiment « remercié [s]a propre mère d’être là » :
« C’est bête mais on devient maman sans avoir vu de sage-femme, sans avoir vécu de grossesse. Quand j’ai récupéré Haïhanna, on me l’a mise dans les bras et c’était plié. »
Alexandra se rappelle même avoir fait un petit « baby-blues » dans les premiers jours : « on est un peu comme les parents « naturels » en ce sens… sauf qu’on n’a pas de congé maternité avant d’accueillir l’enfant !« .
Elle trouve compliqué d’avoir seulement droit à 3 jours avant l’arrivée de l’enfant, même si elle salue les 10 semaines de congé adoption, équivalentes à celui des personnes qui accouchent : « j’ai dû négocier avec mon employeur, parce qu’il y a quand même plein de choses à préparer, et la plupart des adoptions se font à l’étranger : trois jours ne suffisent pas du tout pour faire le voyage ! »
En revanche, malgré les difficultés du quotidien (« les insomnies du petit et ses insécurités… », relate Alexandra), nos trois témoins sont très heureuses d’être allées jusqu’au bout. Elles trouvent même qu’il y a des avantages à être adoptante solo, à l’image de Virginie :
« Mes parents se sont engueulés toute leur vie. Moi, je suis toujours en accord avec moi-même. Mes filles n’ont pas l’air malheureuses… »
Pour Mathilde, c’est même carrément plus cohérent d’avoir un enfant toute seule :
« J’ai grandi en ayant toujours peur que mes parents se séparent, et c’est encore quelque chose qui me bouleverse, que des gens se séparent après avoir fondé une famille. Donc pour moi, avoir un enfant n’est pas forcément lié à un couple. »
Elle pointe aussi que l’adoption à deux peut parfois être source de tensions, « quand l’un est plus moteur que l’autre par exemple ».
Caroline Bourdier affirme même que « vu l’histoire de certains enfants, il est plus indiqué pour eux d’être adoptés par une personne seule, et ça, les conseils de famille le considèrent de plus en plus« .
Depuis que son association a saisi le Défenseur des droits qui a reconnu la discrimination dont faisaient l’objet les adoptants solo, elle observe que l’adoption en France devient à nouveau une possibilité pour les célibataires : « depuis le début de l’année, 4-5 membres de notre association se sont vus confier des pupilles. C’était inconcevable il y a quelques temps. Cela donne de l’espoir !« .
Un enthousiasme pour cette aventure particulière partagé par Virginie, qui avait prévu de rempiler avant sa grossesse « miracle » : « c’est une belle histoire l’adoption« .
À lire aussi : Une ligne d’écoute par et pour des personnes adoptées, c’était nécessaire et voici pourquoi
Crédit photo image de une : Photo Ian / FlickR / CC
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Les Commentaires
cependant les délais présentés dans l'article me semblent tout à fait raisonnables et du même ordre de grandeur que ceux annoncés aux couples candidats. je n'ai jamais entendu parler de couple adoptants quelques mois après leur agrément...
@Crapule du Far West
Les procédures en elle-mêmes sont éprouvantes, mais pas choquantes. l'adoption fait partie de la protection de l'enfance. les enfants sont sous la responsabilité de l'état, et il est donc de son devoir de s'assurer que les enfants confiés le sont à un / des parent(s) qui font la démarche en connaissance de cause et qui ont saisi les spécificités de la parentalité adoptive.
concernant les attributions des adoptions, elles sont décidées en conseil de famille. Les membres des conseils de familles ont légèrement changé récemment avec la loi qui est parue en février 2022 (ajout d'une personnalité qualifiée en matière éthique et lutte contre les discriminations) :
- le tuteur
- Un membre titulaire et un membre suppléant d'associations de pupilles ou d'anciens pupilles ou de personnes admises ou ayant été admises à l'aide sociale à l'enfance dans le département ;
- Deux membres titulaires et deux membres suppléants d'associations familiales concourant à la représentation de la diversité des familles, dont un membre titulaire et un membre suppléant d'associations de familles adoptives ;
- Un membre titulaire et un membre suppléant d'associations d'assistants familiaux ;
- Deux représentants du conseil départemental et deux suppléants, désignés par lui sur proposition de son président ou, en Corse, un représentant de la collectivité de Corse et un suppléant, désignés par l'Assemblée de Corse ;
- Une personnalité qualifiée titulaire et un suppléant, que leur compétence et leur expérience professionnelles en matière d'éthique et de lutte contre les discriminations qualifient particulièrement pour l'exercice de fonctions en son sein ;
- Une personnalité qualifiée titulaire et un suppléant, que leur expérience et leur compétence professionnelles en matière médicale, psychologique ou sociale qualifient particulièrement pour l'exercice de fonctions en son sein.
Le mandat de ses membres est de six ans.
il est donc je suppose possible pour une association familiale de défense des familles LGBT de participer au conseil de famille, cela demande une certaine disponibilité (pendant 6 ans). Je ne sais pas ce qu'il en est en pratique, dans mon département c'est l'EFA qui est représentée et défend tous les types de familles (couples hétérosexuels / homosexuels / célibataires). Par ailleurs, le conseil de famille ne peut choisir le ou les adoptants que sur la base des dossiers qui lui sont présentés et qui le sont à la discrétion des travailleurs sociaux de l'ASE. Ainsi, si aucun dossier de célibataire n'est présenté, peu importe l'ouverture du Conseil de famille, aucune personne célibataire n'adoptera dans ce département.
attention, il faut avoir conscience que les attributions d'adoption ne sont qu'une petite partie des missions du Conseil de Famille, qui gère les situations de tous les enfants pupilles de l'état du département, dont de nombreux enfants qui ne sont pas adoptables et sont placés.