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À mon père, qui refuse que je change de voie… sans connaître ma vie

Juliette veut changer de voie, se réorienter après des années de galère pour enfin être heureuse. Pour son père, c’est une décision motivée par la paresse, la faiblesse…

Papa, je t’ai annoncé ma décision, dimanche midi, à table, entourée de ma sœur et de maman. Je l’ai dit simplement :

Je ne veux plus faire de journalisme. Je veux changer de métier.

Tu m’as fixé, incrédule, et tu es monté au créneau instantanément :

— Ah oui ? Et qu’est-ce que tu comptes faire ? — J’ai plusieurs pistes mais je dois encore y réfléchir.

Je suis « inconsistante » selon toi

Tu as haussé les sourcils, m’a toisée du regard avant de déclarer, incisif :

— Voilà bien la preuve que vous êtes une génération d’inconsistants.

Le choc est assez dur à encaisser, je l’avoue. Je t’aime, tu sais.

C’est vrai que nous avions une meilleure relation dans le passé, quand j’étais ado. J’ai conscience que notre lien évolue.  Mes opinions politiques divergent des tiennes, ta vision de la vie me semble incompatible avec mes valeurs à moi.

On ne se comprend plus, je le constate. Je m’attendais donc à ce genre de réflexion digne d’un vieux con qui a passé les 50 piges. Pourtant, ça fait mal, parce que tu restes mon père.

Je fais donc partie d’une génération d’inconsistants, dis-tu…

Selon toi, les jeunes de nos jours sont des feignasses, qui se plaignent de la dureté de la vie, abandonnent à la moindre adversité et ne souhaitent plus affronter la réalité.

Très bien. Alors j’aimerais te parler de cette réalité que tu ne connais pas, Papa.

Mes amis, mes collègues, ma coloc… on galère

La réalité, c’est que je suis en CDD et que je gagne le SMIC. C’est un premier boulot, je l’accepte pour l’expérience, mais à Paris, c’est compliqué (tu le sais puisque tu me verses de l’argent pour m’aider à payer mon loyer chaque mois).

La réalité, c’est que j’ai pris il y a un moment le statut auto-entrepreneur parce qu’on refusait de m’embaucher. Je n’avais pas de congés payés, pas de cotisations pour la retraite.

La réalité, c’est que j’ai passé plusieurs jours sur une pige pour récolter 150€ qui ne m’ont été versés que 2 mois après envoi à la rédaction.

La réalité, c’est ma colocataire, double diplômée d’école de journalisme et de Science Politiques, qui a été 8 mois sans emploi.

Elle a passé une trentaine d’entretiens sans décrocher un seul boulot, sans toucher le chômage parce qu’elle sortait d’études, et a travaillé en tant que vendeuse pour gagner un peu d’argent.

La réalité, c’est d’aller faire la queue à Pôle Emploi, de voir sur l’écran du conseiller qu’il y a 2000 CV de journalistes en recherche d’emploi à Paris et en Île-De-France.

La réalité, c’est ce photo-journaliste qui a plus de 30 ans n’a jamais touché un centime de la part d’une grande rédaction pour laquelle il a bossé pendant 2 ans, et qui a mis fin à cette collaboration après qu’on a refusé de le payer.

La réalité, ce sont toutes les personnes de 25 ans qui m’entourent, qui sont dans le journalisme et qui se mettent en arrêt maladie à cause d’un épuisement au travail. Ces gens dans mon entourage, je les compte par dizaines.

Je ne veux plus faire ce travail, car il est difficile et que je n’arrive pas à m’y épanouir.

Peut-être que je ne suis pas assez forte, pas assez volontaire, mais c’est mon choix. Désolée du peu.

À lire aussi : Le burnout : quelques explications psychologiques

Les jeunes touchés par la pauvreté en France

Si les expériences de mon entourage ne te persuadent pas, je peux faire appel aux statistiques.

Nina Schmidt, directrice d’études à l’Observatoire des inégalités, interrogée par Challenges, a déclaré en février 2018 :

« Environ 20% des jeunes de 18 à 24 ans vivent sous le seuil de pauvreté. »

Et le pire, c’est qu’ils s’y habituent.

On a « accepté » cette situation. D’après une étude du Cereq relayée sur Le Monde le 3 février 2018, nous avons « intériorisé la situation durablement dégradée du marché du travail ».

Je nous vois comme des personnes qui affrontent la galère jusqu’à épuisement. Mais selon toi, nous sommes inconsistants.

Papa, tu as 53 ans. Tu travailles dans la même entreprise depuis tes 30 ans.

Tu n’as jamais cherché de boulot, on est venu te chercher à ta sortie d’études !

Tu n’as jamais mis à jour ton CV, jamais envoyé 50 lettres de motivations laissées sans réponse. Tu ne sais pas ce que c’est de chercher du travail.

J’espère que tu n’auras pas à le faire avant ta retraite. Parce que crois-moi, ce n’est pas une partie de plaisir.

Je ne dis pas que tu ne t’es pas battu dans ta carrière, que tu n’as pas trimé, que tu n’as pas investi d’énergie dans ton travail.

Je dis juste que les contextes sont différents et qu’il faudrait que tu te mettes à la page avant d’insulter les jeunes d’aujourd’hui.

À lire aussi : Anaïs Volpé présente Heis, le portrait d’une jeunesse en galère qui cherche à s’en sortir

Mon avenir ne t’appartient pas

Papa, je suis fatiguée. C’est pour cela que j’ai choisi de faire autre chose.

De chercher un travail ailleurs, dans un autre secteur. Je pense que je vais me tromper, c’est même une certitude ! Mais je m’en fiche.

Je suis forte, je peux rebondir, je peux m’en sortir. Je n’ai que 24 ans, je sais que de belles aventures m’attendent.

J’ai hâte de les vivre. Je vois cette envie de reconversion comme l’occasion de penser à moi, enfin.

Je ne veux pas vivre pour toi, pour les autres. C’est ma vie dont il est question et ça tu ne le comprends pas.

Quand je te l’ai dit, ceci, qu’il s’agissait de ma vie et de mes choix, tu as distinctement prononcé :

« Je ne suis pas d’accord. »

Donc tu as un droit de regard sur mes décisions ? Sur mon avenir professionnel ? Sur ma vie ? Estimes-tu que je t’appartiens ?

Et quel est ton argument soutenant cette déclaration ? L’argent. Tu as dit que tu avais investi trop d’agent dans mes études pour que je renonce aujourd’hui.

L’ironie, c’est qu’une fois que j’ai décroché ma licence, j’ai voulu arrêter mes études, mais tu as refusé… Et ça, tu l’as oublié évidemment.

Si j’avais su que la somme que tu as dépensée pour mes études te donnait un droit de regard sur mes choix de vie, alors j’aurais refusé toute aide financière de ta part, crois-moi !

Pas de jugement, pas de soutien, juste de la tolérance

Je ne te demande pas d’être accord avec mes choix. Allons plus loin, encore je ne te demande pas de me soutenir dans mon avenir.

Je te demande simplement de ne pas te comporter comme un vieil éditorialiste de 70 balais qui critique cette jeune génération de fainéants et d’ingrats !

Je te demande de me voir comme une adulte, je te demande de me comprendre, au moins d’essayer.

Plutôt que de me mettre dans un énorme sac de préjugés et d’idées reçues sur les jeunes, vois-moi comme ta fille, un individu qui a soif de vivre, qui veut simplement être heureuse.

Je ne suis plus une enfant, je ne fais plus de caprices

Pose-moi tes questions, j’y répondrais. Parce que je n’ai pas pris cette décision de reconversion à la légère.

J’y ai réfléchi, longuement, et j’ai des plans.

Tout ça, ce n’est pas un caprice. Et si tu ne me considérais pas comme une gosse qui te doit encore une reconnaissance éternelle, peut-être que tu le saurais.

Je sais que tu t’inquiètes. Je sais aussi que la communication n’est pas ton fort.

Mais je ne veux plus avoir à justifier mes décisions, je ne veux plus avoir peur de ton jugement, je ne veux plus craindre de te décevoir, je refuse de faire des choix pour te plaire et avoir ta validation.

Ton opinion comptera toujours. Mais tant que tu refuseras de discuter et de me voir comme une adulte, je crains que le dialogue soit impossible entre nous.

À lire aussi : Mes parents ont choisi mes études (et c’était pas une bonne idée)


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Les Commentaires

27
Avatar de Ann Ha
3 février 2019 à 00h02
Ann Ha
Big up à la Madz qui a écrit ce témoignage, déjà parce qu'elle a eu beaucoup de courage de suivre la voie qu'elle avait choisie jusqu'au bout et encore plus pour se dire qu'elle n'avait pas envie de ça pour toute sa vie au final ! Je trouve ça très mature et très raisonnable, comme décision, pas du tout inconsistant !
J'ai l'impression que dans la vie on doit souvent choisir entre faire un truc qui nous plaît ou faire un truc raisonnable qui va nous permettre de trouver un boulot. Perso j'ai fait le deuxième choix et j'avoue jalouser souvent ceux qui ont fait le premier et qui ont réussi à faire leur place. Et puis je pense à tous ceux qui n'ont pas réussi et je me souviens pourquoi j'ai fait mon choix... Il y a des domaines, des filières qui sont beaucoup plus difficiles que d'autres, qui demandent des contacts, de la chance... Tout un tas d'incertitudes auxquelles je ne me sens pas capable de faire face. J'ai parfois un peu honte d'avoir choisi une voie "sûre" plutôt qu'une voie "sexy", je vis souvent très mal qu'on me demande "Et ça te plaît ?" avec des yeux incrédules quand je décris mon job. Mais je sais que psychologiquement, je n'ai pas l'énergie, la force, l'inconscience (je ne sais pas ce qu'il faut, en vrai, mais je suis à peu près sûre que je ne l'ai pas) pour me lancer dans une voie incertaine. Alors je me console en me disant que je fais un job utile à la société et je rêve qu'un jour on gagne tous notre vie à faire un peu de travail utile à la société et qu'on dispose du reste du temps pour faire ce qui nous plaît.
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