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Je veux comprendre : le débat sur la prostitution

Najat Vallaud-Belkacem a rappelé avant-hier dans le Journal du Dimanche que son objectif était de « voir la prostitution disparaître ». Une affirmation qui a mis en lumière le débat, loin d’être clos, entre les féministes pro et anti-abolition.

« La question n’est pas de savoir si nous voulons abolir la prostitution – la réponse est oui – mais de nous donner les moyens de le faire » a souligné avant-hier la ministre des Droits des femmes. Depuis les réactions ont été vives, même au sein du PS : Olivier Faure, député de Seine-et-Marne, craignait ce matin de « voir se développer [la prostitution] dans la clandestinité » et de « renvoyer les femmes à leur sort, les lier davantage aux réseaux de proxénétisme et puis de les voir s’éloigner des centres de soins ».

Le débat entre abolitionnistes et anti-abolitionnistes dénote de conceptions différentes de la prostitution. Leur point commun est la protection des personnes prostituées, mais les moyens mis en oeuvre diffèrent.

L’accord : la suppression du délit de racolage

Abolitionnistes et anti-abolition s’accordent sur la suppression du délit de racolage, car il ne fait qu’augmenter les difficultés rencontrées par les personnes prostituées, notamment en les repoussant dans des endroits déserts où elles courent plus de risques.

Pendant la campagne présidentielle, François Hollande s’était engagé à supprimer le délit de racolage passif.

De manière générale, toutes les associations qui travaillent avec les prostitué·e·s cherchent à améliorer leur protection ; même ceux qui souhaitent « voir la prostitution disparaître » tentent également d’améliorer l’accès de ces personnes à la police et aux soins.

Actuellement, les rapports avec la police sont souvent conflictuels : le STRASS (Syndicat du TRAvail Sexuel) dénonce sur son site des confiscations de préservatifs (en tant que preuves), des insultes, du chantage, du racket ou encore un refus d’enregistrer des plaintes pour viol ou agression. Ces actes sont bien entendus illégaux, mais sont encouragés par la répression qui touche les prostitué·e·s.

Maintenant qu’il est clair que les abolitionnistes ne sont pas contre les personnes prostituées en elles-mêmes, pas plus que les anti-abolitionnistes, poursuivons avec les affrontements entre ces deux courants.

Les personnes prostituées sont-elles toutes des immigré-e-s en esclavage ?

Pour les abolitionnistes, la prostitution doit être combattue notamment parce qu’elle s’exerce souvent sous la contrainte. Une immense majorité des prostitué·e·s (autour de 90% selon un rapport présenté à l’Assemblée Nationale en décembre 2011) serait en effet victime de la traite ; cela dit, il est difficile de faire des statistiques car les prostitué·e·s sous la contrainte sont souvent les plus visibles, n’ayant pas les moyens d’exercer leur activité discrètement.

Les anti-abolitionnistes, et notamment le STRASS, soulignent au contraire l’existence de prostitué·e·s libres – une pratique volontaire et choisie qui constitue le métier de plusieurs membres de ce syndicat. Une population probablement largement minoritaire.

Peut-on condamner une activité parce que la majorité des personnes qui l’exercent ne le font pas librement ? Marcela Iacub (une juriste féministe assez controversée pour ses prises de positions en faveur de la libéralisation de la sexualité) développait à ce propos une comparaison assez intéressante :

Peut-on dire que les anciens esclaves américains étaient des agriculteurs lorsqu’ils récoltaient du coton ? On disait d’eux qu’ils étaient des esclaves. Une femme qui est forcée de se prostituer est une esclave, et non pas une prostituée. Ce qui est criminel, c’est l’esclavage, et peu importe la tâche à laquelle la victime est vouée.

[Marcela Iacub dans Le Monde, 2006]

La seule lutte qui devrait exister serait donc la lutte contre la traite des êtres humains.

Un mur dans le quartier rouge d'Amsterdam

La prostitution est-elle forcément une violence ?

Allons plus loin : pour les abolitionnistes, on ne peut pas vraiment choisir la prostitution.

« La prostitution est toujours le résultat d’une souffrance, la conséquence de blessures profondes et anciennes. » peut-on lire sur le site du Mouvement du Nid. « Pour parler plus juste, il faudrait parler de degrés dans la contrainte, une échelle entre l’impression d’un « choix volontaire » jusqu’à la violence infligée par un proxénète. »

« Qui souhaite pleinement servir d’exutoire aux besoins d’inconnus ? » interroge le site. « Se prostituer n’est pas un choix de carrière » titrait Christiane Marty (militante féministe) dans L’Express. « Pas plus que caissière ou ouvrière » répondait Gaëlle-Marie Zimmerman. Virginie Despentes écrivait déjà dans King Kong Théorie : « Tu parles d’une rhétorique…comme si l’épileuse de chez Yves Rocher étalait de la cire ou perçait des points noirs par pure vocation esthétique. »

Autre pierre d’achoppement : la place du désir. Alors que nous avions jusque-là considéré le consentement comme la seule condition à des relations entre adultes, les abolitionnistes réclament en plus que soit considéré le désir ; un acte sexuel pour lequel la femme (car il s’agit généralement de la femme) n’éprouverait pas de désir serait un viol. « La prostitution, c’est le viol », donc (presque Proudhon). Il va sans dire que pour des partisans d’une conception plus libérale, cette « moralisation du sexe » (plus romantique que religieuse) n’a pas lieu d’être.

En résumé : les abolitionnistes considèrent que la prostitution attente à la « dignité humaine », tandis que les libéraux refusent un concept aussi global.

Les effets concrets des politiques

Il existe trois types de positions politiques face à la prostitution : le règlementarisme, qui vise à l’encadrer ; le prohibitionnisme, qui vise à l’interdire en pénalisant tous ses acteurs ; l’abolitionnisme enfin, qui est la position de la France – réaffirmée par l’Assemblée en décembre – n’interdit ni ne réprime l’exercice de la prostitution et considère les personnes prostituées comme des victimes. La France se veut réalité néo-abolitionniste, un courant qui tente de faire disparaître la prostitution en pénalisant les clients – et dans les faits elle est plutôt prohibitionniste puisqu’elle condamne aussi le racolage passif et actif.

La Suède, la Norvège et l’Islande sont néo-abolitionnistes : les clients de prostitué·e·s peuvent être condamnés à des amendes (ce n’est pas encore le cas en France). En Suède, la prostitution aurait diminué de moitié entre 1998 et 2008. Cette méthode a le mérite de s’attaquer « à la source », sans double peine pour les prostitué·e·s. En apparence en tous cas, puisqu’elle a un effet pervers : selon les anti-abolitionnistes, la prostitution en Suède n’aurait pas diminué mais se serait seulement cachée – avec tous les risques que cela comporte.

Les Pays-Bas, la Belgique et l’Allemagne sont néo-règlementaristes, c’est-à-dire que la prostitution y est autorisée si elle est volontaire. Le but est de couper ses liens avec le milieu criminel. Échec à Amsterdam, où une partie du « quartier rouge » a dû être fermée à cause de la persistance de ces liaisons dangereuses.

On s’en doutait, la solution est loin d’être évidente… reste à choisir la voie la moins mauvaise pour les personnes prostituées. Alors, d’accord ou pas avec la position du gouvernement ?


Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.

Les Commentaires

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Avatar de Apaloosa
27 juin 2012 à 13h06
Apaloosa
A Ramya, Azeban, Zébule, VII, à toutes celles que mes propos sur les handicapés ont choquées (et quelque part je les comprends...), je me me répète, mais je parlais expressément des handicapés mentaux (et comme disait Shield, j'ai croisé dans le métro pas plus tard que la semaine dernière un para fort alléchant :chat.

Que deux trisomiques sortent ensemble c'est vraiment beau, et ce n'est pas si rare d'ailleurs, mais il faut quand même remarquer deux choses :
- ce n'est pas vous qui sortez avec eux
- c'est cruel à dire, mais la trisomie reste une affection mentale plus "légère" que de nombreuses autres, les trisomiques peuvent avoir une vie sociale pratiquement ordinaire.

Quand au débat sur les besoins, Zébule a raison : tous les besoins ne sont pas vitaux au sens biologique du terme, et heureusement, sinon nous ne serions guère plus que des animaux en fin de compte. Qui oserait par exemple dénier à un enfant le besoin d'affection et de sécurité morale ?

Enfin, je suis d'accord que l'histoire de la recrudescente de la violence en Chine ce n'est pas joli-joli, c'est même dérangeant dans le sens où ça nous renvoie à la bassesse humaine, mais c'est malheureusement la réalité. Et cette réalité se retrouve très souvent dans les sociétés où les moeurs sont très conservatrices (on peut citer l'exemple du harcèlement sexuel des femmes à grande échelle en Egypte, et bien d'autres...), il n'y a pas de hasard.

Bien sûr, je ne cautionne pas du tout le fait que quelqu'un se comporte comme un satyre juste parce que cette personne est en manque ! Il est possible de maîtriser ses pulsions, voire de les détourner par certains moyens, même s'ils ne représentent qu'un pis-aller.
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