Andrew Neiman est un jeune batteur plein d’ambition : il veut devenir le nouveau Buddy Rich, figure légendaire de la batterie jazz. Et même s’il ne vient pas d’une famille de musiciens, il est prêt à travailler dur pour atteindre son objectif, être « one of the greats ». Pour vous donner une idée du niveau, sans transition, un solo de Buddy Rich :
Quand il rentre au conservatoire de Manhattan, Andrew veut intégrer l’orchestre de Terrence Fletcher, prof tyrannique mais talentueux. Il ne faudra pas longtemps pour que s’installe une relation perverse entre Fletcher, pygmalion qui pousse le potentiel de ses élèves à leur paroxysme, et Andrew, prêt à tout pour atteindre ses objectifs…
Whiplash est un peu LA sensation cinématographique de cette fin d’année (il est sorti le 24 décembre). Les réseaux sociaux en ont plein la bouche quand il s’agit de parler du second film de Damien Chazelle, qui signe là son deuxième long-métrage à seulement 29 ans. Il faut dire que le divin enfant est précédé d’une réputation auréolée de moult récompenses : vainqueur du réputé festival de Sundance, ovationné au Festival de Cannes pendant la Quinzaine des Réalisateurs, Whiplash a quoi intriguer.
Whiplash est une joute verbale et musicale d’une heure quarante. S’inspirant de son passé de batteur au conservatoire, Chazelle ne nie pas s’être également inspiré des films de guerre pour donner vie à la relation entre l’élève et son maître. Il faut dire que J.K. Simmons, qui joue le rôle du prof, est allé plutôt puiser dans Vernon Schillinger, ce prisonnier sadique qu’il incarnait dans Oz, que dans le papa de Juno pour donner vie à Terrence Fletcher…
L’attitude du prof n’est pas si éloignée de ces instructeurs horribles qu’on peut voir dans Band of Brothers ou Full Metal Jacket— la première séquence où Fletcher tyrannise un joueur de trombone n’est d’ailleurs pas sans rappeler le traitement infligé à « Baleine ».
« La musique comme quelque chose de physique »
Là où les poètes refuseront de voir derrière le génie musical un travail acharné voire abrutissant, Whiplash n’y va par quatre chemins : pour devenir une légende des drums, Andrew va saigner, se blesser, transpirer des litres, se faire du mal. « No Pain No Gain », le revers de la médaille du rêve américain. Et la batterie se prête particulièrement à ce petit jeu, tant il y a un truc « physique » qui se passe entre l’instrument et le batteur.
C’est d’ailleurs ce que disait le réalisateur à la caméra d’Allociné : qu’il a voulu « montrer la musique comme quelque chose de physique
».
Whiplash est aussi l’occasion pour Miles Teller d’exploser littéralement sous la caméra de Damien Chazelle : jusqu’ici habitué aux teen movies à base de blockbuster (on l’a vu dans Divergente, That Awkward Moment et bientôt Les Quatre Fantastiques 3), sa tronche abîmée prend une toute autre dimension dans le rôle d’Andrew Neiman, ce jeune homme obsédé par son grand destin. Batteur depuis ses 15 ans, l’acteur a joué lui-même dans 70% des phases de musique. Il a néanmoins dû reprendre des cours de quatre heures trois fois par semaine pour se préparer au film : c’est dire le niveau !
Impossible de parler de Whiplash sans évoquer son montage ultra intense et — bien sûr — musical. Un découpage rythmé au poil, sublimé pendant les moments musicaux. Et dire que je ne suis même pas spécialement amateur de batterie, je n’imagine même pas les feulements de plaisir que les dingos de drums doivent faire devant ce film !
Le génie à quel prix ?
Enfin, l’un des aspects qu’on retiendra de Whiplash est cette exigence qui mène au génie, même s’il est éphémère. L’exemple de Charlie Parker, à qui Jo Jones a lancé une cymbale à la tête pour lui dire de quitter la scène, revient d’ailleurs plusieurs fois dans le film : ce mythe du saxo était certes un génie mais il est mort drogué et alcoolique à 35 ans. Un sort qui n’effraie pas Andrew, tant qu’il laisse une trace dans l’Histoire du jazz.
J’ai beau être matinal, j’ai mal
Le prix à payer pour ça ? Peu importe, selon Andrew, mais aussi selon Fletcher. Une phrase du prof reprise dans la bande-annonce exprime bien cette idée : « There are no two words in the English language more harmful than good job… » (« Il n’y a pas deux mots en anglais qui font plus de mal que « bon travail »… »). Et oui, « good job » n’est pas assez : pour eux, il faut à tout prix aller vers l’excellence.
Et Andrew va aller très loin pour satisfaire à tout prix sa soif de perfection, mais aussi son prof… jusqu’à cette dernière séquence, mais aussi ce dernier plan, tout bonnement magnifiques. Whiplash sera, même s’il arrive tardivement, l’un des films qui m’ont le plus marqué cette année !
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Les Commentaires
On est tout à fait d'accord, ce genre de situation peut arriver dans d'autres domaines (j'ai l'impression qu'on découvre... mais par exemple, il est quand même connu que dans la danse classique à haut niveau, certains profs font preuve d'un certain sadisme (il y avait eu des articles de presse suite à plusieurs problèmes sur Paris il y a quelques années)).
Je ne dis pas que c'est bien ou que c'est mal, mais que ça arrive et que le film ne dit absolument pas que c'est l'unique voie pour réussir. C'est celle du personnage en l'espèce, mais je n'ai pas vu la promotion de la méthode sadique, au contraire, le film rend bien compte des terribles conséquences.
Sans aller jusqu'à un haut niveau, j'ai déjà eu un prof d'équitation sadique (et machiste, c'est assez couillon vu le nombre de cavaliers de sexe féminin) qui m'en a dégoûtée pendant 4 ans. Alors j'imagine que plus on veut se diriger vers l'excellence, plus le risque d'avoir ce genre de prof peut arriver.