Patagonia aux États-Unis, c’est un peu comme Decathlon en France : une marque de sport qui fait partie du paysage depuis belle lurette, et s’affirme de plus en plus engagée. Alors que d’autres marques semblent prendre le tournant de l’engagement écologiste, féministe, ou même antiraciste de manière plus ou moins opportuniste (ce qu’on appelle du socialwashing), Patagonia excelle avec authenticité sur ce créneau depuis plus de trente ans.
Patagonia, la marque reine du trolling engagé et réussi
Depuis 1985, la marque verse une partie de ses bénéfices à des associations de défense de l’environnement, ce qui n’a rien de bien clivant. Mais en 1990, les dons de l’équipementier sportif à Planned Parenthood (l’équivalent du planning familial) ont provoqué des appels au boycott de la part de conservateurs américains. Sauf qu’à chaque appel de clients révoltés, Patagonia reversait 5$ supplémentaires à cet organisme pro-choix !
Non seulement les réacs ont subitement cessé de monopoliser le service réclamation, mais en plus l’esclandre a servi de pub à la marque. C’est ce qui s’appelle du trolling engagé réussi !
En fait, polariser le marché représente une technique marketing en soi : cela éloigne la clientèle qui ne correspond pas suffisamment à la marque en termes de valeurs et fidélise encore plus celle qui s’y reconnaît pleinement. Ça, Patagonia maîtrise parfaitement.
Et cette pratique devient beaucoup plus commune, au point qu’on parle même de capitalisme conscient aujourd’hui.
« On utilise notre influence pour agir sur des enjeux systémiques »
Dans une enquête publiée le 9 mai 2021 par le Los Angeles Times, le chef de l’exécutif de la marque résume ainsi la philosophie Patagonia :
« Les gens nous demandent souvent : “Vous êtes une entreprise à but non lucratif ou une ONG ?” — et ma réponse est oui, on est une sorte de mélange étrange entre ces deux choses. On est vraiment une entreprise à but lucratif, et on utilise notre influence pour agir sur des enjeux plus larges, systémiques. »
Pendant qu’à la dernière présidentielle américaine, les marques faisaient semblant de s’engager en se contentant de pudiquement appeler à « voter » sur les réseaux sociaux ou sur des t-shirts (donc sans préciser quel candidat elles préconisaient), Patagonia écrivait carrément sur les étiquettes de ses shorts « Votez pour sortir les trous du cul ». Comprenez : virez Donald Trump de la maison blanche. Résultat : les shorts ont rapidement été sold out et sont devenus cultes.
Pourrait-on imaginer de telles prises de position en France ? Et surtout, est-ce que c’est quelque chose que l’on attend de la part des marques ? À l’approche de la présidentielle française de 2022, ces questions se posent de plus en plus dans l’industrie de la mode.
En y réfléchissant, on repense forcément au hijab de running de Decathlon vendu au Maroc en 2019, qui a fait scandale en France où des employés ont même subi harcèlement et agressions. Pour assurer la sécurité de ses équipes, la marque avait fini par devoir exprimer publiquement qu’elle ne commercialiserait pas ce produit en France…
Plus récemment, c’est le directeur artistique de Louis Vuitton, Nicolas Ghesquière, qui ouvrait son défilé d’octobre 2020 à Paris sur un t-shirt « Vote », en écho à la présidentielle américaine. La marque la plus profitable du groupe de luxe le plus puissant du monde LVMH osera-t-elle prendre position pour la présidentielle française de 2022, par exemple ? On le saura très bientôt, peut-être même à la prochaine fashion week…
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