Comme je vous l’ai déjà raconté, je suis à moitié marocaine. Ma mère a grandi là-bas, et la moitié de ma famille vit toujours au bled, entre Casablanca, El Jadida, Marrakech et Rabat.
Depuis que je suis née et jusqu’à mon indépendance, chaque été c’était le même rituel : on remplissait la bagnole de valises et de cadeaux, on s’entassait dedans tous les 5 (mes sœurs, mes parents et moi) et on prenait la route.
36h de trajet, de notre bourgade de la Drôme à l’appartement familial au cœur de Casablanca, à travers l’Espagne, le détroit de Gibraltar et des kilomètres de poussière, c’était ça pour nous la route des vacances.
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Tonton du Bled, ce n’est pas qu’un bon son : ça a été ma vie.
J’ai donc décidé de vous parler de ce voyage pas tout à fait comme les autres, accompli chaque année par des milliers de familles d’immigré•es qui, comme la mienne, revenaient passer l’été au pays.
Le départ pour le bled, ou l’excitation des vacances
Tout le monde a « son » souvenir de vacances. Ce moment particulier, mélange d’odeurs, de sensations, de paresse et d’excitation qui marquait le début des congés d’été.
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Mon souvenir de vacances, c’est le virage à droite en sortant de la maison de mes parents, la Laguna chargée jusqu’à la gueule, et les CD de mon père dans l’autoradio.
Maxime Le Forestier 4ever
Bien équipées pour le trajet en voiture vers le Maroc
Dans les pieds de ma mère, une glacière de sandwichs et de boissons fraîches. Dans les nôtres, à l’arrière, des piles de livres empruntés à la médiathèque.
Il fallait les économiser : à trois grandes lectrices, on avait vite fait de les dévorer, et ils devaient nous durer un mois, jusqu’au retour à la maison.
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On avait pas de liseuse électronique, pas de smartphone ni d’ordinateur portable. On ne téléchargeait pas des séries Netflix à binge-watcher sur la route.
Et si on oubliait les piles neuves pour la Game Boy, on était mal parties pour battre la ligue Pokémon.
De l’art de s’ennuyer en voiture
Il y avait dans ces voyages un certain art de l’ennui. Le paysage défilait et le trajet semblait ne jamais vouloir finir.
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On étendait comme on pouvait nos jambes courbaturées, on faisait la sieste avec un coussin sous la tête, le cou plié dans des postures impossibles.
On roulait fenêtre ouvertes, espérant obtenir un courant d’air salvateur — pendant des années, notre voiture était dénuée de climatisation.
On inventait des jeux pour faire passer le temps.
On comptait les voitures rouges, les noires, les bleues. On se faisait deviner des personnages. On se quizzait sur Les Animaux Fantastiques ou les aventures des Orphelins Baudelaire.
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Laissez-moi vous dire que je suis devenue une championne au petit bac.
Des milliers de personnes de retour au bled
À chaque aire d’autoroute, nous nous retrouvions entourés d’autres familles comme nous, avec les mêmes keftas dans leurs sandwiches, les mêmes voitures basses sur leurs roues à force d’être remplies.
Dans les toilettes, les voyageurs faisaient leurs ablutions. Certain•es profitaient de l’arrêt pour prier, le tapis étendu près de la voiture.
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Toutes portières ouvertes, les voitures laissaient échapper des airs de musique arabe. Les pères fumaient des cigarettes, étendant leurs muscles raidis par les heures de conduite.
Et nous nous retrouverions tou•tes au même endroit, dans le goulet d’étranglement d’un port, attendant un bateau salvateur. Mais j’y reviendrai.
Une nuit sur la route, sous les étoiles
Mon moment préféré du voyage, ça a toujours été la nuit.
Au-dessus de l’Espagne, loin des métropoles, le ciel était piqueté d’un milliard d’étoiles, disséminées dans un air pur, la Voie Lactée s’étendant paresseusement au-dessus de notre habitacle roulant.
Le vrombissement régulier de la voiture m’apaisait. Tout le monde somnolait, s’endormait, ronflotait parfois. Toujours au volant, sirotant du café, mon père baissait le son et fredonnait du Leonard Cohen.
Dans la nuit qui semblait ne jamais vouloir finir, le temps était suspendu. L’arrivée n’existait plus, le départ non plus. Il n’y avait que la route, et les étoiles immuables.
Pendant quelques heures, j’avais cette drôle d’impression que le trajet durerait toujours.
Puis mon père se garait sur une aire d’autoroute, comme d’autres voyageurs avant lui, étendait près de la voiture un couchage sommaire avec l’aide de ma mère, et s’accordait quelques heures de sommeil avant de repartir.
Je l’ai toujours trouvé courageux de dormir comme ça, dehors, la nuit, dans un endroit inconnu, sans avoir peur.
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Le port au détroit de Gibraltar, cet antichambre de l’Enfer
Après un petit-déjeuner sommaire commandé dans un espagnol douteux, les kilomètres continuaient à défiler. Jusqu’à l’Enfer sur Terre. Le port d’Algericas d’où partent les bateaux pour Tanger.
Il y avait toujours trop de passager•es, toujours trop peu de bateaux.
En longues files de tôle brûlante, les voitures s’alignaient sur un parking s’étendant à perte de vue. Au soleil, sans ombre, sans vent, parmi l’odeur poisseuse du mazout et de l’iode.
Là, l’ennui devenait insoutenable. On avait chaud, soif, faim. L’air était irrespirable. Un été, on a attendu douze heures.
Et il n’y a pas le choix : le mince détroit de Gibraltar ne se traverse que d’une poignée de façons. Aujourd’hui, la situation au port s’est améliorée, mais reste loin d’être parfaite.
Les dernières heures de voiture, langoureux épilogue
Et puis une fois le détroit traversé, nous étions presque arrivés. Nous étions au Maroc. Avec la chaleur du Maroc, le soleil du Maroc, les odeurs du Maroc, la langue du Maroc.
Mais il nous restait encore quelques centaines de kilomètres avant d’arriver. Ceux-là étaient les pires. Je ne voulais plus qu’une chose, arriver. Mon impatience me démangeait.
On faisait un dernier stop avant la maison, histoire de se débarbouiller. On enlevait nos vêtements froissés, fanés pour enfiler des tenues neuves. On se passait un coup de brosse dans les cheveux, sur les dents.
Je guettais l’immeuble familier dans les rues de Casablanca, je retrouvais peu à peu tous mes repères. Ma mère se détendait. Encore hypnotisée par la route, j’avais du mal à croire qu’on était arrivé•es.
Jusqu’à ce que la porte s’ouvre sur les exclamations de ma tante, ses bras chauds, ses longues embrassades, et toute la famille qui attendait. L’odeur du thé à la menthe, du pain dans le four, du savon noir.
On était arrivés à la maison, et dans un mois, on reprendrait la route, en sens inverse. Tout comme des cigognes.
Alors dites-moi, elles sont où mes madmoiZelles blédardes ? Je vous ai croisées sur une aire d’autoroute ou une plage de Mohammedia, bouteille de Hawaii en main ?
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