Le monopole de l’alcool
En Suède il est interdit de vendre de l’alcool à plus de 3,5 degrés (c’est-à-dire à peu près tout mis à part le cidre et la bière très légère) en dehors du Systembolaget… Pas de Chardonnay au supermarché ni de pastis à la station-service. Nada. Le systembolaget est l’entreprise qui détient le monopole de la vente d’alcool dans des enseignes spécialisées. Un monopole imposé et contrôlé par l’État. Le nom de l’enseigne pourrait se traduire littéralement par « l’entreprise du système ». Tout cela mis bout à bout ça me fait un peu penser à George Orwell…
Mais pourquoi ?
Il faut avouer qu’on ne voit pas ça tous les jours. Une fois la surprise passée j’ai donc essayé de comprendre. Comment en est-on arrivé là ? Les Suédois-es ont-ils/elles fait une grosse bêtise pour que leur gouvernement décide de leur retirer la bibine (par exemple un poivrot qui aurait uriné sur le Roi le jour de la fête nationale) ? Eh bien si on en croit l’Histoire, oui, en quelque sorte.
Le monopole a bel et bien été instauré pour limiter les problèmes liés à l’alcool. Au XVIIIème siècle, il n’y avait pas de réglementations particulières quant à la fabrication ou la vente d’alcool et la consommation était assez importante – d’autant plus qu’il y a toujours eu une longue tradition de distillation en Suède. Pour résumer, la plupart des habitants produisaient leur propre eau-de-vie (aquavit). Avec la révolution industrielle l’alcool est devenu plus facile et moins cher à produire, encore plus accessible, et les incidents lui étant liés ont pris de l’ampleur. Des ligues de tempérance, souvent à fond religieux font leur apparition pour prôner l’abstinence et lutter contre ce qui devient un fléau. C’est d’ailleurs un médecin suédois, Magnus Huss, qui a le premier introduit le concept « d’alcoolisme » en tant que maladie. Ensuite c’est l’escalade.
En 1850, l’État commence à intervenir dans la régulation de la vente d’alcool dans certaines régions. Des « monopoles locaux » se développent. Pendant la Première Guerre Mondiale un rationnement drastique est mis en place. En 1922 un référendum est même organisé : les Suédois-es évitent de peu la prohibition pure et simple (51% se prononcent contre). En 1955, les habitant-e-s en ont un peu marre du rationnement (qui est toujours en place même si la guerre est finie depuis belle lurette) et optent pour l’alternative : le systembolaget.
À l’heure actuelle, la situation est donc la suivante: on ne peut pas servir de l’alcool à un-e mineur-e (au restaurant, en club…) et on ne peut pas en vendre à une personne de moins de 20 ans ni à une personne visiblement ivre. Le systembolaget étant une entreprise d’État à but non-lucratif, il n’a aucun intérêt à pousser à la consommation d’alcool. Aucune marque ne peut être médiatisée ou avantagée au détriment d’une autre. Tout est vendu à l’unité (même les canettes de bière). Aucune offre promotionnelle du genre deux-pizzas-achetés-la-bouteille-de-rosé-offerte n’est permise. Ambiance.
Qu’en pensent les Suédois-es ?
Je pense que si on introduisait un monopole similaire en France, on aurait des manifs à n’en plus finir. Mais pas en Suède, non. La plupart des gens sont habitués au système, et y sont même favorables. Après tout, il offre un grand choix de produits au même endroit, des vendeurs qui en connaissent un rayon et une certaine sécurité puisque l’endroit est surveillé par des vigiles. Tout cela est finalement assez bon enfant : on peut voir les nantis faire la queue avec leur carton de grands crus juste derrière le SDF du quartier.
Mais le système a ses inconvénients. Et comme tous les Suédois-es ne vivent pas au pays de Candi certains tentent de contourner les obstacles comme ils peuvent.
Problème n°1 : les Suédois-es boivent très peu voire pas du tout en semaine, en revanche, la cuite du week-end est un passage obligé et pas seulement pour les étudiant-e-s ! L’État cherche donc à limiter ces beuveries. Il faut savoir que les systembolagets sont tous fermés le dimanche et ouverts entre 10h et 14h le samedi (tu n’as donc pas intérêt à faire la grasse mat’). Qu’à cela ne tienne : les Suédois-es sont prêts à faire la queue pendant des heures s’il le faut. Résultat, les systembolagets sont littéralement pris d’assaut le vendredi. Comme il faut s’approvisionner pour tout le week-end les gens achètent des quantités monstrueuses d’alcool et ceux qui n’ont pas de voiture viennent équipés de leur sac à dos à bretelles renforcés ou carrément de diables. Pour un pays qui veut donner une image clean niveau alcool je trouve que ça fait un peu rendez-vous organisé pour la débauche. À, à, à la queue leu, leu !
Problème n°2 : Les taxes sont proportionnelles au degré d’alcool. Si pour la bière ou le vin ça passe encore, les alcools forts sont difficilement accessibles (la vodka est taxée à 40%). En conséquence les frontalier-e-s empruntent les nombreuses « routes de la soif ». Direction le Danemark, l’Allemagne, la Pologne ou encore l’Estonie. Les voyages forment la jeunesse !
Problème n°3 : Les étudiants ont de la ressource. En France, la vente d’alcool est théoriquement interdite aux mineurs. Vaste blague me direz-vous. En Suède la carte d’identité est systématiquement demandée. Le systembolaget est donc tellement efficace que les jeunes en mal d’éthanol ont trouvé la parade : ils produisent leur propre alcool. Moment confessions intimes : c’est en Suède que j’ai appris qu’on pouvait fabriquer une cuvée de rouge au fond d’une baignoire. Maman serait fière de moi si elle savait. Ce n’est pas bien compliqué au fond : un bidon en plastique de dix litres (qu’importe le flacon…), de la levure à vin et un temps d’attente qui varie de quelques jours à quelques semaines. Certains se font même leur argent de poche sur cette base. Ma conclusion sur cette tendance à jouer au petit chimiste : c’est comme les chamallows grillés. Ludique à faire mais infâme quand vient le moment de la dégustation. Et un peu triste au fond…
Est-ce que les Suédois-es ont « traditionnellement » tendance à boire excessivement, justifiant ainsi le systembolaget ? Ou est-ce que c’est parce que le systembolaget existe que le binge drinking est si populaire (un peu comme un enfant qu’on aurait privé de bonbons et qui se rattrape dès qu’il en a l’occasion) ? Je n’ai bien sûr pas les moyens de répondre. Pour celles que ça intéresse le site officiel du systembolaget a publié un rapport (en anglais) étudiant les conséquences d’une privatisation de la vente d’alcool en Suède. Le rapport estime que si l’alcool était à nouveau vendu librement en supermarchés la consommation par habitant augmenterait de… 30% sur le long terme (pas juste pour trinquer à la fin du monopole) ! À mon avis le systembolaget a encore de beaux jours devant lui. Skål !
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Les Commentaires
Par contre, je pense que les jeunes qui n'ont pas beaucoup d'argent compensent avec l'extasy et le cannabis (disponible sur ordonnance). J'ai jamais vu autant de pils de ma vie... C'est SUPER GLAUQUE !