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Travail

J’ai testé pour vous… être saisonnière à la SNCF

Anna a été saisonnière à la SNCF, un job formateur qui lui a permis d’en apprendre plus sur cette grande entreprise… et sur elle-même.

*Les prénoms ont été modifiés.

« Étudiante en graphisme, je suis dynamique et motivée, pro-active et volontaire, etc. »

Cherchant un job d’été pour la saison 2014, toutes les qualités, même exagérées, étaient bonnes à mettre dans ma candidature. J’en ai envoyé plusieurs et je m’attendais à recevoir une réponse de tous les domaines sauf de la Société nationale des chemins de fers français (SNCF).

On m’a recontactée en mai pour me dire : « un poste se profile ». Le poste, précisément, c’était « agent d’escale ». Quelques saisonniers sont recrutés chaque été pour que la quarantaine d’autres agents puissent partir en vacances. Après un entretien avec les DRH s’occupant de l’escale, je semblais correspondre au profil malgré ma réserve et ma discrétion. J’ai dû exceller dans le « c‘est quoi, pour vous, la SNCF ? ».

À lire aussi : J’ai testé pour vous… travailler à la SNCF

Être agent d’escale à la SNCF

C’était donc parti pour trois semaines de formation à la présence sur les quais, la visite des trains à envoyer au dépôt, la programmation des TGV, l’accompagnement des personnes handicapées jusque dans leur wagon et enfin à l’accueil embarquement. 

Pendant mes premiers jours de formation, j’ai compris qu’il fallait que je porte quelque chose sur la tête dès que j’étais en contact avec les clients, certainement pour être identifiée plus facilement. J’ai opté pour la casquette, qui faisait très chef de gare, et était donc bonne pour la dignité (voire l’assurance). Bon, d’après mon père, je faisais surtout très « Allemagne de l’Est » et on ne voyait même pas mes yeux.

Le plus délicat du travail était sans doute l’embarquement. L’après-midi en semaine, il y a un filtrage pour tous les trains qui vont vers Paris : seuls les gens ayant un billet peuvent accéder au quai. Pour certains, c’est le poste ingrat. Ce qu’ils aiment dans le fait d’être agent d’escale, c’est le côté service, conseil, aide à la personne. Empêcher des familles et des amoureux de se dire au revoir sur le quai ? Ils ne veulent pas être payés pour ça.

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Surtout que ce sont les agents d’embarquement qui se font largement le plus insulter. Étant nouvelle, j’ai toujours reçu l’aide des autres sur les cas résistants, mais ce n’est pas évident d’entendre des « pute », « mange tes morts » et autre « si elle avorte » envoyés à ses collègues…

À lire aussi : Agent de surveillance de la voie publique, mon job d’été

Une intégration un peu compliquée

Au début, je sentais que le courant ne passait pas vraiment, avec personne. Je suis d’une nature réservée et je ne montre pas comment je vis les choses. Du tout. Je n’ai aucune expression faciale à part la contrariété ou l’ennui.

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Quand je commençais à être toute seule sur un poste, j’avais l’impression qu’une seule petite erreur ou incompréhension était inexcusable, que je n’étais pas autonome et que c’était mal. Je ne me sentais pas soutenue par tous mes collègues. Parfois, je sentais même des regards désobligeants, des façons de parler qui me disaient : tu n’es pas assez bonne.

Globalement, j’ai mis du temps à m’habituer à la façon de fonctionner : quand je parlais d’une situation pour laquelle j’aurais besoin d’aide deux heures plus tard, on me disait qu’on verrait dans deux heures. J’ai eu du mal à me persuader qu’il s’agissait davantage d’une adaptabilité à toute épreuve plutôt qu’un déni du fait qu’on serait tous dans la galère deux heures plus tard faute d’avoir anticipé.

J’ai compris avec le temps que l’équipe de l’escale n’avait pas dû avoir affaire à une fille aussi discrète que moi depuis longtemps. Gérald, un de nos responsables qui sont sur le terrain avec nous, m’a fait les mêmes réflexions plusieurs fois :

— Ça va Anna ? — Bah oui. Pourquoi, on dirait pas ? — Si si ! Enfin je sais pas, on t’entend pas ! T’es timide ? — Euh non, je dirais plutôt discrète.

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Une fois, particulièrement, je ne me suis pas du tout sentie soutenue. Je devais m’occuper d’installer une personne en fauteuil dans un TGV de passage et n’avais que deux minutes pour mettre en place la très lourde rampe qui nous permet de faire accéder les personnes à mobilité réduite à leur siège.

À cause d’un mauvais positionnement des voitures, la porte de la mienne s’est retrouvée près d’un gros pylône. Une fois le train arrêté, j’ai tenté de positionner la rampe, perdu une minute et descendu la rampe… qui bloquait sur le pylône. La personne ne pouvait pas monter. Un grand moment de solitude !

Aucun agent présent sur le quai ne venait m’aider. Quand la personne fut enfin à bord, j’ai prévenu le chef de quai, qui m’a tout de suite répondu. Comme s’il était là depuis le début à me regarder galérer sans daigner se manifester. Je ne sais qui blâmer, car la gare est mal fichue, les rampes ne sont pas maniables et les infrastructures en général ne sont juste pas du tout faites pour améliorer la mobilité des personnes en situation de handicap.

Et si personne n’est venu m’aider, je n’ai sollicité personne non plus.

Plusieurs semaines plus tard, alors que je devais prendre en charge une personne en fauteuil à l’arrivée de son train, j’ai cette fois directement demandé de l’aide à un collègue, qui me l’a accordée sans problème.

Communication et collègues

En règle générale, la communication interne laisse à désirer. Quand il y a de gros retards on n’en connaît la cause que deux fois sur trois, et ça reste vague (« dérangement d’installation », « personne dans un tunnel »…). J’ai eu plusieurs remarques de contrôleurs (donc de collègues de la SNCF) arrivant à bord de trains dont les rames étaient inversées, chose dont on n’avait pas été prévenus :

— Eh bah dis-donc, ça communique bien chez vous !

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Cependant j’ai fait de belles rencontres avec certains agents qui ont particulièrement attiré ma sympathie. Jean-Claude, avec qui j’ai fait une de mes journées de formation, m’apparaissait comme un gentil grincheux. Mais en le côtoyant un peu plus, j’ai remarqué au fur et à mesure combien il avait de « sages réflexions ».

Alors que j’étais avec lui sur un quai, un homme m’a adressé un pressé « Le quai 6 ??? », auquel j’ai répondu : « Par là ». Et Jean-Claude de me faire remarquer « Et le bonjour ? », blasé, presque désespéré. Finissant ma saison estivale à la gare, je lui ai dit : « Je m’en fiche, je pars demain ».

— Et alors ? La dignité humaine, t’y as droit. On doit te saluer.

Woh, ok. J’avoue.

Une autre fois, j’étais présente dans notre pièce de repos quand deux agents, dont Jean-Claude, discutaient de la sono au poste central, là d’où les annonces de la gare sont programmées et diffusées. Pour l’affichage des retards, c’est toujours rageant de voir un 5 minutes se transformer en 10, puis 15, puis 30… J’ai moi-même vécu le 5-10-15-30-SUPPRIMÉ.

Jean-Claude disait justement que les gens lui reprochaient très très souvent ça.

— Mais on était formés à ça. Si dans ta formation on te dit de minimiser les retards, tu le fais, c’est qu’il y a une raison.

Effectivement, ça paraît logique maintenant : quand il y a une panne, on ne peut pas se permettre d’estimer trente minutes d’attentes car si le problème est résolu en dix, et que les passagers sont allés prendre un café à côté ou faire les boutiques dans le centre commercial le plus proche… C’est ballot. Une nouvelle leçon de logique et nuançage de propos.

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À lire aussi : Ce que mon job d’animatrice pour enfants m’a appris

Petite typologie des clients

En ce qui concerne les clients, il y a de tout, comme partout.

  • Ceux qui ont grandement besoin d’être rassurés

Je sais, le voyage est une immense source de stress.

  • Ceux qui ont grandement besoin d’être affolés

Je me souviens d’un passager installé dans un train presque vide qui s’étonnait : « Pourquoi y a-t-il si peu de monde ? C’est fou ! » (c’était un train pour Montparnasse, et c’est vrai qu’il était relativement calme). J’ai essayé de lui expliquer qu’il y avait eu plusieurs soucis sur les lignes, que son TVG allait attendre d’autres passagers.

J’ai ajouté à tout hasard : « Vous allez bien à Montparnasse ? ».

— Oui, oui ! Enfin… Je vais où moi… Mais non ! Roissy Charles-de-Gaulle !

Eh bien, c’est en face, Monsieur, voie 5.

  • Les opportunistes

Une fois il y avait deux trains quai-à-quai (Montparnasse 9h05, Montpellier 9h10). Le sifflet indiquant le départ du Paris a retenti, les portes ont commencé à se fermer et je n’ai pas vu les trois personnes déboulant à toute allure. L’une des trois a obstrué la fermeture d’une des portes avec ses mains, laissé passer les deux autres, l’a lâchée et elle s’est refermée (violemment, du coup) avec les personnes à bord.

Le train est parti. Une personne restée à quai m’a demandé, en le pointant du doigt : « Lyon ? » Loupé.

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  • Les obstinés

Alors que je travaillais au kiosque accueil le temps de la pause déjeuner d’une collègue, un monsieur est venu me voir, particulièrement enthousiaste :

« C’est où le train pour Disneyland ? »

J’en ai déduit qu’il allait à Roissy Charles-de-Gaulle, donc direction Lille Europe. Il n’a pas vraiment eu l’air satisfait de la réponse, définitivement moins alléchante que sa destination finale. Sur le quai, il m’a quand même redemandé, surexcité : « Disneyland ??? ».

  • Les méprisants

Comme ce charmant monsieur m’ayant asséné :

— Les toilettes sont payantes là ? Et vous qui avez le train gratuit, vous avez des réduction sur les chiottes aussi ?

À lire aussi : Les blagues que j’ai trop entendues en tant que caissière

Un job stressant mais formateur

Quand je dresse un bilan de cette expérience, il est mitigé. Je suis restée environ un an à travailler pendant les vacances scolaires et certains week-ends à la gare.

D’une part, j’ai eu beaucoup de mal à m’adapter à l’équipe d’agents qui évoluait avec moi. Je ne sais pas si c’est dû à mon caractère peu expressif, peut-être trop peu enthousiaste vis-à-vis des tâches qui m’étaient confiées, et donc indirectement au travail de mes collègues, ou bien à leur manque de coopération et d’adaptation.

Je n’ai jamais ressenti des niveaux de stress plus forts que lorsque je travaillais à la SNCF.

D’autre part, je n’ai jamais ressenti des niveaux de stress plus forts que lorsque je travaillais à la SNCF. Et j’ai l’impression que ce n’était pas tant dû à la tension des passagers, aux situations perturbées et à leur lot de personnes mécontentes, qu’aux moments où j’étais chargée d’une responsabilité alors que je n’avais pas toutes les clés en main pour l’honorer.

Quand je devais informer les clients mais que je n’avais pas d’informations, quand je devais placer une personne en fauteuil roulant dans un TGV restant trois minutes en gare et que la voie changeait au dernier moment, par exemple.

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Déjà que de base le quai n’est pas forcément évident à trouver…

Il faut se faire à l’idée d’être plus souvent dans l’action que dans la réflexion. Si un train part dans quatre minutes et qu’une personne handicapée vient d’arriver à l’accueil pour une prise en charge de dernière minute, on n’a pas vraiment le temps d’hésiter pour se prononcer sur si on s’en occupe ou pas.

La marche à suivre, c’est « Je préviens à la radio que je m’en charge, je note ses références, sa destination, sa voiture et place, préviens le chef de quai en question, le contrôleur une fois à bord », et ça en… moins de quatre minutes, donc. C’est ce besoin de réactivité qui m’a sûrement stressée, plus que tout autre chose.

C’est donc pour ça que je déconseillerais ce job étudiant à des gens qui n’ont pas envie d’être trop sollicités, qui ne raffolent pas du contact avec les gens, qui passent plus de temps à réfléchir qu’à agir (comme moi). 

Dès que je recevais un mail des DRH me demandant mes disponibilités pour les prochaines vacances, j’hésitais avant d’accepter. Un an après mes débuts (à l’été 2015), la dirigeante de proximité m’a appelée pour que je lui donne une réponse définitive. Je lui ai annoncé que je ne serai désormais plus de la partie, prétextant d’autres projets.

Si jusqu’alors la motivation m’était apportée par la potentialité du salaire, l’argent n’a pas suffi pour me pousser à revenir. En réaction au trop-plein de responsabilités et de pression de ce job, j’ai passé l’été suivant à mettre des tomates dans des barquettes. Pour les introverti•es qui en ont marre du stress, vive le conditionnement !

À lire aussi : Je suis ramasseuse de fruits et légumes pour un été

En conclusion

Le job de saisonnier à la SNCF a au moins un avantage : on ne s’ennuie jamais. Il y aura toujours un collègue à aider sur une prestation, une coupure à l’accueil à faire… C’est très varié et ça constitue une expérience enrichissante, qui peut aussi permettre d’en apprendre davantage sur soi-même.

On découvre aussi l’envers du décor d’une grosse boîte : d’où partent les annonces, quelles sont les missions pour tel ou tel agent… Le dernier point positif reste pour moi les contrats. Nous sommes déclarés en tant que saisonniers et très bien payés !

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C’est pour ça que je conseillerais ce job à des gens motivés, pleins d’énergie et de bonne volonté, mais surtout qui s’adaptent vite. La formation qu’on reçoit nous donne certaines clés, mais le gros est appris sur le terrain, une fois qu’on est déjà en poste.

Il faut digérer la masse d’informations qu’on reçoit pour les mettre en œuvre et être opérationnel•le très rapidement. Si possible, il vaut mieux être naturellement disponible et se préparer à être constamment sollicité•e par les collègues pour des prestations de dernière minute, comme par les clients plus ou moins paniqués.

On découvre aussi l’envers du décor d’une grosse boîte.

Cette expérience a eu le mérite de changer la vision que j’avais de la SNCF, particulièrement concernant les situations perturbées, retards, suppressions, etc. Les informations arrivent lentement jusqu’aux oreilles des agents, alors qu’ils sont paradoxalement les plus proches des client•es.

Si les trains mettent du temps à s’afficher, j’ai vite compris que c’est parce que les agents subissent des formalités de procédure lourdes et nombreuses comme le plan Vigipirate. Malgré tout ce qu’on peut croire, l’équipe SNCF met vraiment tout en œuvre pour afficher au plus tôt le quai, dans la mesure du possible, en prenant en compte ces procédures.

Aussi, j’ignorais naïvement l’existence de tout le service nommé « Accès plus » qui prend en charge les personnes ayant besoin d’être accompagnées jusqu’à leur train, alors que ça prend plus de la moitié du temps de travail des agents de quai. Un service crucial !

À lire aussi : Devenir contrôleur à la SNCF : Interview de Cesyle, contrôleuse SNCF

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Les Commentaires

1
Avatar de Olali
23 septembre 2016 à 14h09
Olali
Salut!
Je trouve super de pouvoir se figurer un boulot à travers ces témoignages.
Moi qui suis très bougeotte niveau jobs ou travail, ça m’intéresse beaucoup! Merci
0
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