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Source : Unsplash / BBC Creative
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Sous-staffées et sous-payées, ces professionnelles de crèche dénoncent les conditions d’accueil des enfants

Ce mardi 19 mars, une grève de la fonction publique impacte de nombreuses crèche. À cette occasion nous donnons la parole à deux professionnelles de la petite enfance, épuisées par leurs conditions de travail malgré leur amour du métier.

Véronique, auxiliaire de puériculture en crèche : « Quand on est en sous-effectif, il y a un choix terrible à faire : quel enfant laisse-t-on pleurer ? »

J’ai obtenu mon diplôme d’auxiliaire de puériculture en septembre 1988. À l’époque, je voulais être éducatrice spécialisée, et j’ai eu l’occasion, en sortant de mon BEP, de faire un TUC (travaux d’utilité collective, ndlr), j’ai été embauchée dans un service de pédiatrie auprès d’enfants qui étaient atteints de cancer. À l’issue de mes 6 mois, j’ai décidé de faire l’école de puériculture. 

Aujourd’hui, je suis en reconversion professionnelle. En juillet 2021, suite à une visite médicale et à divers problèmes de dos, j’ai été mise en inaptitude définitive et totale. J’envisageais déjà à ce moment-là une reconversion professionnelle, car je sentais que physiquement, cela devenait de plus en plus difficile. Mes conditions de travail étaient de plus en plus compliquées. Mais je n’envisageais pas la reconversion professionnelle de cette façon. Ça s’est fait du jour au lendemain et ça a été très violent.

« Les conditions de travail n’attirent plus »

Travailler auprès des tout-petits est un beau métier. Mais il est aussi très difficile, trop peu considéré et mal rémunéré. De nombreuses professionnelles désertent aujourd’hui le secteur et les difficultés de recrutement sont une évidence. Cela se ressent au niveau des effectifs.

En 2007, la dernière structure d’accueil collectif où j’ai travaillé accueillait 44 enfants qui étaient divisés en deux groupes, les petits et les grands. Nous étions alors 4 auxiliaires de puériculture et 2 CAP petite enfance pour la section des petits, 4 auxiliaires de puériculture et 2 agents petite enfance dans la section des grands, plus 2 auxiliaires de puériculture volantes sur la structure. Quand j’ai arrêté de travailler, 3 postes d’auxiliaires avaient disparu.

De nombreuses crèches connaissent des baisses de budget, cela a été le cas dans celle où je travaillais. Mais il y a aussi un problème de professionnelles qui ne restent plus en poste. Les conditions de travail n’attirent plus. Quand la manière dont on travaille ne respecte plus nos valeurs, on va voir ailleurs pour retrouver du sens. Certaines abandonnent aussi le secteur de la petite enfance. Elles préfèrent quitter le navire plutôt que de participer à la casse. 

Ce manque de professionnelles est compensé par l’arrivée de jeunes diplômées. Mais nombreuses sont celles qui débarquent dans ce métier sans vocation, et donc sans motivation. Les métiers du care étant en tension, on oriente très facilement vers ces professions. Elles arrivent aussi souvent dans des conditions qui sont très compliquées. Quand je suis arrivée en poste, on m’avait mise en observation pendant environ une semaine. Là, il faut qu’elles se mettent dans le bain immédiatement. 

Ça se ressent sur l’accueil des enfants. Des professionnelles moins motivées, ce sont aussi des professionnelles pas forcément maltraitantes, mais moins bientraitantes. Leur accueil va être plus distant, moins enjoué. Et puis, il y a ce turn-over permanent qui fait que les enfants sont au milieu d’adultes qui changent sans cesse. Rares sont aujourd’hui les équipes où tout le monde reste en poste pendant 3 ans et où il y a un vrai suivi des enfants. 

« Le rapport de l’Igas écrit noir sur blanc ce que les professionnelles disent depuis des années »

En tant que professionnelle de la petite enfance et co-secrétaire générale du SNPPE (Syndicat National des Professionnel·le·s de la Petite Enfance), j’ai reçu le rapport de l’Igas très violemment. Mais en même temps, je ne suis pas surprise. Le rapport écrit noir sur blanc ce que les professionnelles disent depuis des années, sans jamais avoir été entendues. Il prouve que le secteur de la petite enfance va très mal. Mais il nous apporte l’espoir qu’enfin, il se passe quelque chose, et que les recommandations de l’Igas soient respectées. 

Je suis lucide, je sais que les choses ne vont pas être transformées en un claquement de doigts. Il va falloir du temps pour réformer le secteur de la petite enfance. Avant toute chose, il faudrait former de nouvelles professionnelles, non pas pour créer de nouvelles places, mais simplement pour combler les manques qu’il existe aujourd’hui.  

Or, pour pouvoir recruter, il faut revaloriser le salaire de ces professions et prendre en compte leur pénibilité. De très nombreuses professionnelles ont des problèmes musculo-squelettiques, des problèmes d’audition… Sans compter la fatigue psychologique, qui est bien réelle. On a du mal à tenir jusqu’à 62 ans, alors comment tenir jusqu’à 64 ? Il faut absolument prendre en compte la pénibilité de ces métiers pour que les professionnelles puissent se reconvertir petit à petit et dans de bonnes conditions, pas du jour au lendemain, forcées de trouver un boulot alimentaire. 

L’autre priorité, c’est de revoir le taux d’encadrement des enfants. Aujourd’hui, une professionnelle encadre 6 enfants, quel que soit leur âge. Pour pouvoir accueillir ces enfants dans de bonnes conditions, il faudrait au minimum une professionnelle pour 5 enfants. 

Il faut aussi supprimer l’arrêté qui autorise à avoir recours à des personnels non-formés et non-diplômés. Travailler auprès des tout-petits, c’est comme travailler auprès des personnes âgées, il faut en avoir envie et avoir bénéficié d’une vraie formation. 

« On sortait le soir de la crèche en ayant le sentiment d’avoir fait du mauvais travail »

Il faudrait aussi supprimer l’autorisation de dérogation pour les micro-crèches de pouvoir être seule avec trois enfants le matin et soir. Parce qu’en fin de journée, on est fatiguées, moins disponibles, moins calmes. C’est dans ces moments-là qu’il est encore plus important de pouvoir passer le relais à quelqu’un d’autre. 

Sans aller jusqu’au drame particulièrement monstrueux qui s’était déroulé l’an dernier dans une crèche privée de Lyon, il est clair qu’il y a des moments, quand on est en structure collective, où il faut pouvoir souffler. Il faut que nous, professionnelles, soyons capables de dire qu’on n’en peut plus et ainsi pouvoir obtenir de l’aide. 

Il m’est à moi aussi arrivée d’être moins disponible, moins patiente pour les enfants. Avant la Covid, la structure dans laquelle je travaillais a notamment connu une période très compliquée. Il n’y avait pas un jour où l’on ne croisait pas une collègue en pleurs dans les couloirs. On sortait le soir de la crèche démoralisées, en ayant le sentiment d’avoir fait du mauvais travail. Oui, on avait répondu aux besoins primaires des enfants : ils avaient mangé, avaient été couchés, avaient été changés quand il le fallait. Mais il n’y avait pas eu de vraie relation individuelle, on avait pressé les enfants toute la journée. On n’avait fait que de la garderie. 

Quand on est en sous-effectif et qu’il y a un enfant qui pleure parce qu’il a besoin d’être accompagné pour s’endormir, et qu’à côté, il y en a un autre qui pleure parce qu’il a faim, il y a un choix terrible à faire : lequel laisse-t-on pleurer ? Cela arrive bien trop souvent, alors que c’est un choix que l’on ne devrait jamais avoir à faire. Car ceux qui pâtissent le plus de ces conditions d’accueil dégradées et du manque de moyens, ce sont les enfants

Copie de [Image intérieure] Carré (6)
Crédit photo : Pexels / Yan Krukau 

Catherine, éducatrice de jeunes enfants et directrice de crèche municipale : « La fatigue nous rend moins disponibles et donc malgré nous moins bientraitantes »

Auxiliaire de puériculture de formation, j’ai passé mon diplôme d’éducatrice de jeunes enfants après quelques années de pratique. Je suis directrice de crèche municipale depuis 13 ans. J’exerce aujourd’hui mon métier dans la banlieue de Lyon, dans une petite structure de 15 berceaux, qui accueille des enfants dès l’âge de 3 mois jusqu’à leur entrée en école maternelle. Mon équipe est composée de 3 auxiliaires de puériculture et de 2 agents techniques.

Ce qui m’a attiré dans les métiers de la petite enfance, c’est avant tout l’accompagnement de l’enfant dans son développement global. Être là pour l’aider à grandir, à se construire. La notion de projet est également très intéressante. Par exemple, au sein de la crèche où je travaille, nous développons des projets autour du livre et de l’accès à la culture : tout ce qu’apporte le livre, l’accès libre aux livres, à la manipulation… Nous aidons les enfants à se socialiser, mais aussi à se construire. La crèche est une première marche avant l’école maternelle. Nous sommes aussi des professionnelles de la prévention : on détecte, par exemple, beaucoup de troubles du développement en crèche. 

En tant que directrice, je m’assure de la prise en charge globale de l’enfant et de sa famille. Il y a tout un travail d’accompagnement avec les équipes, la mise en place de projets, toujours en lien avec les valeurs portées par la collectivité. 

« Les jeunes n’ont plus envie de s’épuiser pour un salaire de misère »

J’aime passionnément mon travail, mais on est arrivées sur une situation très compliquée. En tant que directrice, il faut à la fois avoir un pied sur le terrain et un pied dans le bureau. Je ne peux pas laisser mes collègues se débrouiller seules quand il manque du monde. Il manque aujourd’hui 10 000 professionnelles de la petite enfance, et c’est très difficile d’avoir des remplaçantes. Quand on a un arrêt maladie, il faut faire avec. On est donc parfois amené à réduire les effectifs pour qu’on soit dans les normes d’encadrement. 

Aujourd’hui, nous sommes confrontées à une pénurie de professionnelles de la petite enfance, c’est une catastrophe. Cela va bientôt faire trente ans que je suis dans le métier, et je n’ai jamais vu ça. Selon moi, ces métiers n’attirent plus parce qu’il y a avant tout un problème de rémunération. Nous sommes très mal payées parce qu’il s’agit d’un métier essentiellement féminin. Les jeunes – et je les comprends – n’ont pas envie de s’épuiser pour un salaire de misère. Moi-même, en tant que directrice de crèche, après 13 ans d’ancienneté, j’étais encore il y a quelque temps à moins de 2 000 € net par mois… Est-ce que ça vaut le coup, pour moi, d’être payée si peu alors qu’en tant que directrice de crèche, je suis pénalement responsable en cas d’accident, et que je peux donc aller en prison ? Est-ce que le jeu en vaut la chandelle au regard du risque encouru et des responsabilités qui sont les miennes ? Je ne sais pas qui, au final, accepterait ce type de rémunération… 

Pour le personnel de crèche aussi, cette pénurie de professionnelles est difficile à gérer. Quand il y a des arrêts maladie, cela oblige tout le personnel à bouger ses horaires, parfois pour le lendemain. Nous devons aussi faire de très longues journées. Il m’est déjà arrivé d’être présente dès l’ouverture de la crèche à 7 heures jusqu’à la fermeture à 18 heures le soir, en faisant le ménage le matin, en étant sur le terrain toute la journée, avec seulement 10 minutes pour déjeuner car il faut aussi répondre aux mails. Et je suis loin d’être un cas isolé. C’est même la réalité dans beaucoup de crèches en ce moment.

« Usées physiquement, épuisées moralement »

Il y a aussi un problème en termes de visibilité : quand ils abordent le sujet de l’enfance, les hommes et les femmes politiques ne parlent jamais de la petite enfance. On ne parle de l’enfant qu’à partir du moment où il porte un cartable sur le dos. Il a fallu attendre le décès de cette petite fille l’an dernier dans une crèche privée de Lyon pour qu’on se rende compte qu’il y a des professionnelles qui accueillent des enfants de moins de 3 ans. Ce manque de visibilité entraîne un manque de reconnaissance. 

Les institutions, qu’elles soient privées ou publiques, sont maltraitantes. Les gens ne sont pas reconnus dans leur métier, dans leurs compétences. Cela occasionne beaucoup de burn-outs, tant chez les éducatrices que chez les directrices de crèche. Moi-même, j’ai fait un burn-out il y a 9 ans à cause du harcèlement moral que je subissais. J’ai mis 5 ans à refaire surface, à pouvoir évoquer cet épisode sans m’effondrer. Je m’en suis sortie car la personne concernée a fini par être licenciée. Puis, j’ai quitté mon ancien employeur. 

Avec les équipes, nous faisons au mieux, souvent dans l’urgence. Et même si nous  arrivons à mettre en place des projets, nous les faisons toujours à la dernière minute, nous avons beaucoup moins de plaisir à travailler qu’autrefois, quand nous avions davantage de temps et de personnel. 

La fatigue physique est aussi de plus en plus difficile à gérer plus on avance en âge. Les professionnelles font des efforts constants, en portant les enfants, en déplaçant des charges lourdes… Moi-même, à 54 ans, et malgré le fait que je fasse un peu moins de terrain que mes collègues, je suis usée physiquement. Nous avons des problèmes de dos, d’épaule, de tendinite, d’hernie discale… Et puis moralement, nous sommes épuisées, surtout depuis le Covid. Nous n’arrivons pas à retravailler sereinement parce qu’on est toujours sous tension. Nous sommes toujours dans l’inquiétude de savoir ce qui va nous arriver. Les professionnelles prennent beaucoup sur elles pour ne pas s’arrêter, car elles savent qu’elles mettent leur équipe en difficulté. Nous sommes en permanence à flux tendu, c’est épuisant

« Malgré nous, on est moins bientraitantes »

Ces conditions de travail impactent forcément la qualité d’accueil des enfants. Même si nous essayons de ne pas le montrer, nous sommes beaucoup moins disponibles psychiquement pour les enfants. Mais inconsciemment, c’est quelque chose qui transparaît dans nos façons de faire, de dire… Il y a une lassitude, même si nous  continuons malgré tout de faire des activités et à avoir toujours les mêmes rituels avec les enfants. 

Malgré nous, nous sommes  moins bientraitantes. En étant plus fatiguées, nous sommes aussi beaucoup moins disponibles et beaucoup moins attentives aux besoins des enfants, à leur communication non-verbale. 

Selon moi, les inspecteurs de l’Igas ont tout compris. Le rapport pointe parfaitement les dysfonctionnements, fait une analyse très fine des problématiques et des solutions qu’il faut apporter. Cela fait des années que l’on alerte les gouvernements successifs et les pouvoirs publics sur la pénurie de professionnelles. Les 39 recommandations doivent vraiment être prises en compte et appliquées le plus rapidement possible. On ne peut pas continuer comme ça. 

Tant que les rémunérations ne sont pas plus élevées, les métiers de la petite enfance n’attireront pas. Il faut aussi travailler sur le taux d’encadrement pour faire un travail de qualité auprès des enfants et de leurs familles. Actuellement, il y a une professionnelle pour 6 ou 8 enfants selon le choix du gestionnaire, ça n’est pas possible. Il faudrait, a minima, redescendre à une pour 5 enfants. 

Il faut aussi annuler le décret qui autorise le recours aux personnels non-qualifiés dans les crèches. Déjà en 2017, Marlène Schiappa (alors Secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes, ndlr) avait déclaré que du moment que vous étiez mère de jeunes enfants, vous pouviez très facilement travailler en crèche.  Ce n’est juste pas possible ! On n’a déjà pas suffisamment de temps pour former correctement nos stagiaires, alors comment peut-on le prendre pour former de futures collègues de travail ? Et puis, ces personnes non-qualifiées ont-elles vraiment envie de travailler avec de jeunes enfants, sachant que c’est quand même un métier qui est très fatiguant, très prenant psychiquement ? Ont-elles les qualités physiques et la disponibilité psychique pour accueillir la détresse des jeunes enfants ? On dit toujours qu’on doit laisser nos problèmes aux portes de la crèche, mais tout le monde n’en est pas capable… 

Aujourd’hui, malgré tout j’envisage toujours mon avenir dans la petite enfance mais certainement sur un poste autre que celui de direction.

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1
Avatar de BravoCharlie
19 mars 2024 à 14h03
BravoCharlie
Contenu caché du spoiler.
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