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Vie quotidienne

Mon histoire compliquée avec l’alimentation

Cette lectrice de Rockie s’est longtemps débattue avec un trouble du comportement alimentaire : l’hyperphagie. Elle raconte son parcours pour s’en sortir.

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De mon histoire avec l’alimentation, retenons simplement que je n’ai pas une relation sereine avec mon corps ni avec la nourriture depuis longtemps, même si je n’en ai pris conscience que récemment. Les TCA sont assez difficiles à définir, certains se ressemblent et une même personne peut souffrir de plusieurs troubles à la fois. Hyperphagie, hyperphagie boulimique, boulimie non vomitive, addiction à la nourriture, anorexie, boulimie… Je n’ai pas été diagnostiquée hyperphagique par un professionnel mais d’après les lectures et échanges que j’ai pu avoir, c’est bien d’hyperphagie dont je souffrais.

L’hyperphagie est un trouble des conduites alimentaires (TCA) qui se caractérise par des épisodes répétés de crises de boulimie : absorption de grandes quantités de nourriture dans un temps restreint. Contrairement à la boulimie, les personnes qui en souffrent n’ont pas de comportements compensatoires (vomissements provoqués, emploi abusif de laxatifs, etc). Environ 3,5% des femmes et 2% des hommes seraient concerné·es. Plus d’infos sur le site de la Haute Autorité de Santé.

Au mois d’août 2017, un voyage entre amies est prévu dans le sud de l’Espagne. Je sais que l’on passera une grande partie du séjour en maillot de bain. Je suis la plus sportive du groupe alors je me mets une pression pour être « à la hauteur » du corps que mes amies s’attendent à voir.

Un régime strict

Pour m’y préparer, je décide au mois de mai d’intensifier mon entraînement sportif. Mon coach de l’époque me propose dans un email de me composer un plan alimentaire pour « dégraisser un peu avant l’été ». Précisons que je ne suis pas du tout en surpoids, je suis même plutôt mince et musclée. Mais ce mot, « dégraisser » provoque un truc chez moi. À partir de ce moment là, je me sens grasse. Je vois le mot « graisse » partout sur mon corps. Alors je dis OK pour une diet assez stricte que je suis à la lettre.

Pendant trois mois je me prive de beaucoup d’aliments. Mes apports caloriques sont corrects mais je ne m’accorde aucun plaisir, zéro sucrerie. Je suis contente du résultat et je profite de mon séjour en Espagne.  Au même moment, je me sépare de mon compagnon après sept ans de relation. Je dois chercher un appartement et déménager. Mon rythme d’entraînement est rompu, je n’ai plus aucun objectif physique et clairement d’autres choses en tête.

Je commence à perdre le fil du sport et de l’alimentation. Je me mets à manger de manière décousue et je redécouvre des aliments dont je me privais depuis des mois voire des années : les biscuits, les viennoiseries, les sandwiches, le chocolat, les hamburgers…

Ma première crise d’hyperphagie

Je me souviens de ma première grosse crise. J’avais avalé un bagel à 16h avec ma tante, et puis sur la route du retour, une fois seule, je passe à la boulangerie. Je choisis une salade complète et une quiche. Je passe aussi acheter des biscuits. Une fois rentrée, je commande un gros repas en ligne. Tout me fait envie, j’ai envie de manger absolument tout.

Envie ? Non, besoin. Et tout y passe, dans un ordre anarchique et en un laps de temps record. Les crises vont se répéter ponctuellement, surtout avec des biscuits et des barres chocolatées. Pour contrer « ça », je décide de faire un jeûne d’une semaine. C’est la pire chose à faire. Une fois le jeûne terminé, mes crises reviennent beaucoup plus fortes et plus fréquentes. Presque chaque jour, je suis prise d’un besoin irrépressible de manger des trucs gras et sucrés. Avant de rentrer chez moi le soir, je passe au supermarché m’acheter des biscuits et parfois j’ouvre le paquet dès que j’ai mis un pied dehors.

Au bureau, nous avons des petits-beurre en sachet de deux, pour nos visiteurs. Quand ma collègue n’est pas là et que je suis seule dans le bureau, je les mange tous. Ça commence par un sachet « pour mon dessert ». Et puis deux, trois, quatre… dix… Je finis par rester debout à côté de la boîte et j’enchaîne les biscuits sans pouvoir m’arrêter. Je mâche à peine, ma poubelle se remplit d’emballages vides que je camoufle après avec d’autres papiers par-dessus. Ensuite, je rachète des petits-beurres avant le retour de ma collègue pour qu’elle ne s’aperçoive de rien. Et ça recommence dès qu’elle s’absente. Quand j’ai terminé le stock de petits-beurres mais que ma crise n’est pas finie, je vais voler ses biscuits dans son placard. Et j’en rachète avant son retour… et ainsi de suite.

Un besoin de manger absolument incontrôlable

C’est un besoin de manger absolument incontrôlable. Quand je ne suis pas seule au bureau, j’attends avec impatience de rentrer chez moi avec de la nourriture, de fermer les volets et de manger.

Pendant les crises, j’ai l’impression de ne plus être moi-même. Mon cerveau est déconnecté, je ne contrôle plus rien, je ne ressens plus rien, juste un besoin irréfrénable d’avaler des aliments sans m’arrêter. À tel point qu’un jour je passe chez MacDo après mon travail. Alors que je suis végétarienne, je m’achète un menu XXL et je mange tout, y compris la viande. Je me moque de ce que je mange, je sais juste que je veux manger ça,. C’est incontrôlable, je suis incapable d’arrêter.

Après une crise, parfois « tout redevient normal ». Je vais immédiatement jeter aux ordures tous les emballages, j’élimine toute trace de l’acte et j’essaye d’oublier. Je me dis « c’était la dernière fois ». Parfois, ce que je viens de faire me rattrape avec une claque énorme. Je regarde le nombre de calories sur les paquets et je calcule le nombre de calories que j’ai ingurgitées en 15 minutes : 1000, 2000, 3000… Les chiffres s’envolent et m’affolent. Je me déteste, j’ai envie d’effacer tout ça.

Je panique à l’idée de me retrouver dans un endroit sans accès à de la nourriture. À l’époque je passe beaucoup de temps dans les gares et les métros où les distributeurs automatiques sont devenus mes points de repère, mes compagnons rassurants toujours présents (alors qu’ils sont à l’opposé de mes convictions écologiques). Ils me donnent à manger sans me juger. Ce sont mes dealers aveugles et silencieux.

La honte et le mal-être physique

J’ai tellement honte de mon comportement que je n’en parle à personne. J’ai une peur bleue de faire des crises devant d’autres personnes alors, par exemple, je mange systématiquement avant les apéros entre amis. Ça ne m’empêche pas d’engloutir les restes quand on débarrasse et que je me retrouve seule dans la cuisine.

J’ai honte d’être vue en train d’acheter « des cochonneries » alors je ne vais pas toujours au même supermarché. Quand je fais la queue avec seulement des paquets de biscuits j’ai l’impression que tout le monde me regarde.

Dans le cas de l’hyperphagie, on ne se fait pas vomir volontairement. En réalité je déteste vomir alors je serre les dents après les crises pendant que mon système digestif essaye de s’en sortir comme il peut. J’ai tout le temps l’estomac en vrac, la nausée, des maux de ventre. Je manque d’énergie car ce n’est pas du tout une alimentation qui convient à l’organisme. Je suis fatiguée car j’ai mal au ventre et que mes nuits sont agitées.

J’ai l’impression d’être folle

J’ai complètement perdu la notion de faim et de satiété. Je pleure, je m’énerve, je pète les plombs. Je ne me reconnais pas, j’ai l’impression d’être folle et de perdre complètement le contrôle. Et cela m’angoisse au plus haut point.

Inévitablement, mon corps subit les conséquences de cette alimentation (rétention d’eau, cellulite…), d’autant plus que je ne fais plus du tout de sport. Je n’ai pris que 3kg mais dans ma tête je suis déjà obèse. En fait, je me sens tellement mal dans ma peau que je suis mal à l’aise devant les gens. J’ai l’impression que tous mes proches se disent « wahou qu’est-ce qu’elle a grossi ! », que toutes les personnes que je croise pensent « elle est grosse celle-là ». Plus je me sens mal, plus j’angoisse et plus les crises s’installent. Je veux rependre le contrôle coûte que coûte mais je n’y arrive pas. C’est un cercle vicieux.

Après six mois d’hyperphagie, je n’en peux plus. Je décide d’aller voir un hypnothérapeute. Je suis totalement stressée avant le rendez-vous. J’ai peur de son regard et de son jugement : « Il va se dire que je suis grosse et complètement tarée ». Il pratique l’hypnose conversationnelle donc ce sont des séances axées sur la discussion, entrecoupées d’exercices d’hypnose. Quand il me demande ce qui m’amène, j’ai du mal à répondre. J’ai envie de partir en courant. Et puis on parle, longtemps. Je m’aperçois qu’il ne montre aucun jugement. Parler sans craindre le jugement me fait un bien fou.

Arrêter de vouloir contrôler

Je ne vais pas vous expliquer le contenu de notre échange mais retenez son conseil : il me conseille d’arrêter de vouloir contrôler, d’arrêter d’avoir peur des crises, de les laisser venir et de les écouter. De les accepter. Il me dit qu’elles s’arrêteront une fois que j’aurais accepté que je ne peux pas tout contrôler dans ma vie, une fois que je serai prête. Sur le moment, je me dis qu’il raconte un peu n’importe quoi mais je décide de lui faire confiance.

La fois suivante, au moment où je sens venir une crise compulsive, je me dis : « OK. Elle va venir, c’est comme ça. Alors assouvis-la. » Je dirais que je me suis livrée corps et âme pour ne faire qu’un avec les crises. Et à partir du moment où je les ai totalement acceptées, elles ont commencé à diminuer. Je sais, ça paraît fou, mais c’est le cas. On peut faire un parallèle avec de l’eau et des barrages. Vous aurez beau essayer de contrôler à tout prix un torrent déchaîné en construisant des barrages toujours plus larges et toujours plus nombreux, l’eau sera toujours plus forte et les barrages finiront par céder. Tandis que si vous acceptez de laisser le torrent suivre son cours en construisant simplement de petits canaux en cas de pluie, vous trouverez un équilibre.

Dans le même temps, j’ai arrêté de suivre sur Instagram tous les comptes fitness qui me faisaient culpabiliser. Je n’assumais plus mon corps donc inutile de me torturer en regardant celui des autres. J’ai aussi arrêté de suivre les personnes qui avaient un discours culpabilisant sur la nourriture, qui parlaient de restriction, de cheat meal, de compter les calories. Je me suis intéressée à la notion de diet flexible et d’alimentation intuitive. J’ai découvert des personnes dont le discours sur le corps et l’alimentation a complètement changé ma façon de voir les choses (à l’image de ce compte instagram par exemple). J’ai arrêté de voir la nourriture comme un élément à gérer et maîtriser.

S’écouter et s’accepter

Cela fait plusieurs mois que je n’ai pas fait de crise d’hyperphagie. Ma relation avec la nourriture n’est pas encore tout à fait apaisée mais j’apprends à m’écouter et à m’accepter. Je retrouve petit à petit une alimentation plus intuitive, à l’écoute de mon corps et de mes sensations. Parfois, il m’arrive de faire de petites crises compulsives. Si je sens que ça m’arrive dessus comme une vague de dix mètres, je plonge dedans et ce n’est pas grave.

Je travaille sur mon stress et mon bien-être général. Et surtout, je ne m’interdis plus aucun aliment. J’ai compris que ce sont les années passées à m’interdire certains aliments, à vouloir contrôler ce que je mangeais, qui m’ont amenée aux TCA. Je m’aperçois que mes envies se régulent d’elles-mêmes. Je mange peu de choses grasses et sucrées parce que je n’en ai tout simplement plus envie.

Sur la bonne voie

Pendant des années, je m’interdisais d’avoir des biscuits chez moi pour ne surtout pas en manger. Maintenant je m’oblige à avoir un paquet en réserve en cas d’envie, pour ne surtout pas me frustrer. C’est une approche radicalement différente et ça me change la vie.

Je réapprends donc petit à petit à apprivoiser la nourriture, c’est un chemin long et lent mais je sais que je suis sur la bonne voie. J’ai repris le sport sans me forcer et c’est un véritable plaisir. Je me sens de nouveau plus dynamique et bien mieux dans mon corps.

Je ne m’en veux plus et je m’aime (bon ok, pas tout le temps, mais j’y travaille), avec mes points forts et mes points faibles. Apprendre à s’aimer et à s’accepter : c’est ça, la première clé pour avancer sereinement.

N’hésite pas à aller consulter un·e professionnel·le de santé (médecins, psy, etc) pour établir un diagnostic et trouver de l’aide.

Tu peux aussi te rapprocher des associations, comme la Fedération Française Anorexie Boulimie.

Enfin, tu peux aussi aller lire le livre de François Fauconnet : Hyperphagie, l’obsession de manger.

Tu te sens concerné·e par ce témoignage ? Viens en parler dans les commentaires !

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