Paul-Jean Toulet est un poète un peu maltraité par les années de littérature. Avec un seul recueil publié (à titre posthume), ses Contrerimes ne sont pas forcément très populaires. Il s’agit pourtant d’un recueil assez simple d’accès et très touchant. Quelques pistes pour le décoder.
Une poésie d’apparence simpliste
En lisant les Contrerimes, ne vous attendez pas à vous retourner le crâne pour essayer de comprendre. Les vers de Toulet sont relativement simples, et les sujets également. Vous avez, par exemple, de nombreux thèmes qui reviennent sans cesse : l’amour (gros cliché de la poésie), l’attente, la nostalgie, le voyage… Uniquement des thèmes qui traversent déjà de nombreux siècles de poésie française. Ainsi, on ne distingue pas réellement l’originalité du poète, il semble ne faire que « parler en vers », sans grande nouveauté. Pourtant, malgré les clichés romantiques dont ils usent, Paul-Jean Toulet parvient à renouveler le genre : il insuffle au romantisme un certain humour. Les images récurrentes des fleurs ou des femmes côtoient toujours des thèmes plus surprenants : les animaux, les maisons et… la lassitude constante du poète. Bien qu’exalté par certains sentiments, sa simplicité de ton nous révèle sa passivité vis à vis des événement. Il vit, écrit, s’exalte « paresseusement ».
Une poésie ironique
La grande force de la poésie de Paul-Jean Toulet est d’être profondément ironique. Cette ironie peut se comprendre à deux niveaux : à la fois dans le fond (les mots et le ton employés), mais aussi dans la forme (comment sont disposés les vers, comment sont construites les phrases). L’amour et le sentiment amoureux sont l’un des socles des Contrerimes : néanmoins, cet amour passe nécessairement par de l’amertume, et donc de l’ironie. Il interpelle souvent ses maîtresses pour tourner en dérision leurs désirs
« Ne pleure pas : d’être identique / C’est un rêve des dieux », et associe des images un peu contraires : « Un paon et quatre dindes » (le paon étant, dans l’imaginaire du lecteur, un animal plus gracieux que la dinde). Ses derniers vers sont souvent exprimés par une « chute ironique », montrant ainsi le déroulement d’un événement, jusqu’à sa conclusion dans l’esprit du jeune homme : « J’aurais mieux fait, peut-être/D’écrire à son mari ». C’est donc une poésie à plusieurs degrés, plutôt pince sans rire.
Un poète sensible
Il faut prendre la poésie de Paul-Jean Toulet comme un écho avec sa propre vie. Ses Contrerimes ont d’ailleurs été écrites sur des coins de tables ou autre, et n’étaient pas tout d’abord destinées à la publication, puisque leur rédaction s’étale sur toute la vie du poète. Toulet écrivait des romans et était aussi nègre pour un auteur, la poésie n’est donc pas ce qui l’a fait vivre. Pour autant, la poésie reste sa priorité « artistique », ce qu’il semble travailler le plus. Elle lui sert d’exutoire à un quotidien qui ne lui plaît pas vraiment : constamment déçu par ses conquêtes amoureuses, perdu dans un Paris qui le conduit à des paradis artificiels, et dépendant (entre autres) à l’opium, il raconte en poésie quelques uns de ses enfers personnels tout en les associant à l’humour de l’ironie, afin de ne pas se laisser sombrer. Par ce biais, Toulet cherche surtout à se libérer, mais aussi à surpasser ses déceptions et ses frustrations. A la fin de sa vie, c’est d’ailleurs un homme profondément frustré de ne pas atteindre l’idéal poétique qu’il souhaitait, et foncièrement blessé de toutes ses déconvenues.
Une poésie rythmée
A la lecture, la poésie de Toulet est très rythmée : bien que cette poésie soit versifiée, on ne ressent pas forcément qu’on lit des vers. Cette versification est volontairement bousculée (les vers sont coupés plusieurs fois) afin de donner au lecteur l’illusion d’un discours « parlé », ou d’une chanson. Ainsi, la poésie de Toulet est, à lire, plus agréable que d’autres, mais aussi plus accessible. De plus, le rythme de lecteur simplifié permet de mieux faire résonner les mots entre eux et donc de créer des liens logiques, comme si on lisait une histoire. La poésie se fait donc partage d’une scène clef, d’une histoire un peu amère, qui forcément nous touche.
Quelques contrerimes pour vous mettre l’eau à la bouche :
20 – Est-ce moi qui pleurais ainsi — Ou des veaux qu’on empoigne — D’écouter ton pas qui s’éloigne, Beauté, mon cher souci ?
Et (je t’en fis, à pneumatique, Part, — sans aucun bagou) Ces pleurs, ma chère, avaient le goût De l’onde adriatique.
Oui, oui : mais vous parlez de cri, Quand je repris ma lettre. Grands dieux !… J’aurais mieux fait, peut-être, D’écrire à son mari.
61- Pâle matin de Février Couleur de tourterelle Viens, apaise notre querelle, Je suis las de crier ;
Las d’avoir fait saigner pour elle Plus d’un noir encrier… Pâle matin de Février Couleur de tourterelle.
Et vous, connaissiez-vous les Contrerimes de Toulet ?
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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