Le 25 novembre 2021
Une décennie de militantisme féministe. C’est ce que célèbre cette année Lise*, 55 ans, et habitante d’Ivry sur Seine en banlieue parisienne.
Durant ces 10 ans, elle a participé à créer une association féministe, mais aussi une Maison des femmes qui accompagne les victimes de violence ; elle nous raconte comment elle est venue à s’engager, son association féministe de l’intérieur, et comment elles portent leurs projets.
Monter son asso féministe
En 2010, Lise* et quelques amies déplorent l’absence de collectif féministe dans une ville au tissu associatif pourtant dense. Pour elles, quelque chose manque.
En fouillant dans l’histoire de la ville, elles découvrent qu’historiquement, un comité des Femmes Solidaires y a existé. Le nom leur parle, peut parler à toutes, alors elles le ressuscitent. Lise* raconte :
« Ça nous turlupinait un peu, cette absence d’association féministe. Moi, même si je n’avais jamais fait partie d’un collectif de cette sorte, c’est une question qui me tenait à coeur. Même au sein de l’association de parents d’élèves dont j’avais fait partie, je mettais l’accent sur l’égalité.
On a ouvert le comité femmes solidaires d’Ivry sur Seine en 2011. C’est une association à l’échelle nationale, mais nous, on fait les choses à notre manière : nous ne sommes pas toujours parfaitement alignées avec le comité national ! »
Petit à petit, le noyau dur de celles qui avaient créé l’association s’agrandit — en partie grâce à son nom qui parle à celles qui en ont besoin.
« Comme tout association, on a eu des hauts et des bas. Mais petit à petit, on a eu des nouvelles recrues : ce qui plaisait, c’était l’aspect solidarité. Souvent, c’était des femmes qui avaient besoin d’aide, qui avaient vécu des violences et qui se sentaient en sécurité de savoir qu’il n’y aurait que des femmes autour d’elles.
C’est assez caractéristique de notre association : les membres viennent d’abord parce qu’elles ont besoin de sécurité, avant d’arriver à l’aspect féminisme. Elles nous découvrent parce qu’elles ont besoin de solliciter de l’aide, et restent pour développer d’autres choses. »
Soutenir et accompagner les femmes victimes de violences
L’association se construit autour d’un même but : offrir du soutien, de l’écoute et de l’aide à celles qui en ont besoin — souvent des femmes précaires, ou victimes de violences.
« Souvent, celles qui nous sollicitent le font parce qu’elles vivent des violences, d’autres pour de l’aide plus générale, ou parce qu’elles sont en situation de grande précarité.
Les femmes qui viennent dans une association comme la notre n’arrivent pas par hasard. Elles ont des parcours de vie douloureux, des expériences de violences quelles qu’elles soient…
Ces expériences, nous les partageons beaucoup : dans notre association, on rit beaucoup, on pleure beaucoup aussi ! Mais tout ça nous permet de nous sentir plus fortes : au delà des actions de terrain que l’on peut mener, nous avons réussi à construire une véritable entraide et une grande bienveillance les unes avec les autres. On ne laisse personne de côté : si une copine n’est pas bien, on est là, et on le répète autant qu’il le faut ! »
Et pour pouvoir accompagner au mieux toutes celles qui en auraient besoin, le comité a même créé une Maison des femmes.
L’idée d’une Maison des Femmes
Initialement, le comité tourne entre 15 et 20 adhérentes qui se retrouvent dans des locaux prêtés, et essaie de placer ses actions sur des journées phares telles que le 25 novembre et le 8 mars.
Mais en 2019, la ville d’Ivry sur Seine propose aux habitantes et habitants de voter pour un « budget participatif » : des projets citoyens sont soumis aux votes, et reçoivent des subventions en conséquences. Le comité saisit cette opportunité pour s’étendre, et propose un projet de création d’une véritable Maison des femmes.
« À l’époque, beaucoup de femmes qui venaient nous voir étaient hébergées au 115. Elles nous faisaient remonter qu’il n’y avait aucun lieu où elles pouvaient être tranquilles un petit moment, reprendre des forces, ou même se doucher : dans beaucoup de lieux de solidarité, il y avait beaucoup d’hommes et elles se sentaient en danger.
Nous savions qu’il existait déjà des Maisons des femmes ailleurs, mais nous n’étions qu’un petit groupe de bénévoles avec beaucoup moins de moyens et de marge d’action. Alors, nous avons créé un projet qui pourrait se développer au fur et à mesure.
En premier lieu, nous avons eu envie de créer un lieu qui serait une “deuxième maison” pour toutes, où chacune pourrait trouver un lieu d’écoute, de bienveillance, de ressources. Pour cela, il nous fallait un local permanent, et de quoi le remplir ! »
Elles présentent ce projet qui est soumis au vote des citoyens et citoyennes de la ville, et font partie des dix lauréats et lauréates : sur 70 propositions, la création d’une Maison des femmes est retenue.
« La mairie nous a proposé un local, et on a eu une subvention de départ ! Avec le covid, le projet a mis un peu plus de temps que prévu à démarrer, mais la Maison des femmes a pu ouvrir ses portes au printemps 2021. »
Les objectifs de la Maison des Femmes
Après avoir reçu ce local vide, les bénévoles de l’association montent des projets répartis en pôles. Lise retrace :
« La première chose qu’on a faite, ça a été de créer des petits groupes de travail.
Le premier s’est concentré sur la création et l’ameublement d’un pôle solidarité qui offrirait un vestiaire, une douche, et une laverie.
Ensuite, il y avait l’idée d’une permanence d’accès au droit : pour cela, il fallait acheter du matériel, mais aussi se former pour pouvoir accompagner les demandes au mieux.
Enfin, on a aussi une permanence d’écoute : quand une femme arrive, on se retrouve avec elle dans un lieu calme, on l’écoute, puis on l’oriente si elle le souhaite. On peut aussi l’accompagner au commissariat, par exemple. »
La Maison des femmes propose aussi une bibliothèque essentiellement féministe, propose des ateliers d’écriture, des sorties culturelles une fois par mois…
« La Maison des femmes est basée sur un accueil inconditionnel : quand une femme sonne, on lui demande juste son prénom. L’idée, c’est vraiment d’avoir une maison pour toutes : chacune peut venir et trouver ce dont elle a besoin. Certaines viennent juste pour boire un café, d’autres lavent leur linge et en profitent pour faire un atelier d’écriture, d’autres pour discuter. ..
Nous n’avons pas les moyens ou les habilitations pour être un lieu d’hébergement, donc nous sommes ouvertes le mercredi après-midi et le samedi toute la journée pour le moment. Mais l’espace a ouvert il y a peu ! Là, on se dit qu’on va peut-être ouvrir une fois par mois en soirée, pour pouvoir organiser des débats, parler de culture féministe… »
« À force d’échanges, on comprend les luttes des unes et des autres »
Car, Lise* l’explique, la culture féministe de l’association se construit petit à petit, au gré des découvertes et du partage d’expériences de ses membres.
« On n’a pas toutes les mêmes connaissances historiques du féminisme, mais on échange tout le temps et on évolue : certaines viennent parce qu’elles ont juste envie de discuter et s’ouvrent petit à petit. À force d’échanges, on comprend mieux les luttes des unes et des autres, qui ne sont pas toujours les mêmes.
On est un comité très divers, tant dans les origines que les milieux sociaux, ou l’âge. Notre membre la plus jeune a 14 ans, la plus âgée a plus de 75 ans ! Ce qu’on cherche avant tout, c’est l’ouverture : on ne fermera jamais la porte à personne. »
À plusieurs reprise, elle le rappelle : le but de l’association est de recevoir toutes les femmes avec bienveillance, et inclusivité. Aujourd’hui, le comité comprend plus d’une quarantaine de bénévoles, ainsi que des personnes qui le soutiennent financièrement.
Le bénévolat, ça ressemble à quoi ?
Elle ne l’admet qu’après un long moment d’interview : Lise* est présidente de l’association. Mais pour elle , c’est surtout une formalité administrative. Il n’en reste qu’elle est très bien placée pour répondre à cette question : s’investir bénévolement dans une association féministe, ça ressemble à quoi ? Pour elle, en premier lieu, il y a le temps :
« Moi, je ne compte pas. Mais ça dépend de chacune ! On fait comme on peut.
Pour faire tourner la Maison des femmes, on a besoin d’être trois par permanence, être à l’aise et accueillir correctement. Moi, j’y suis presque tous les samedis, mais certaines de nos adhérentes sont là une fois par semaine, d’autres viennent une matinée une après-midi par mois. Il y a de tout, et tout est bien ! »
Et puis, il y a la remise en question, les questionnements qui font partie inhérente de la praxis féministe des membres de l’association.
« On veut être en constante évolution, en réflexion : on n’est pas des mémés, on ne veut pas rester dans notre coin ! On tisse des liens avec d’autres collectifs féministes un peu moins institutionnels, on s’aide, et on se fait avancer dans notre cheminement. »
Et cet investissement en vaut la peine. À la question « Pourquoi s’engager dans une association féministe ? », elle propose cette réponse puissante :
« Quand on parle de sororité, on peut avoir l’impression que c’est un terme galvaudé. Mais moi, ce qui m’émeut et me chauffe le cœur, c’est de voir à quel point on le vit pour de vrai, ce terme, dans notre engagement ! Cette sororité, on la vit en vrai, on la ressent. Je ne sais pas si c’est le cas partout, mais j’espère que oui. »
Pas de petits combats ou de grands combats
Si chacun s’accorde à voir l’indispensabilité des actions à destination de femmes précaires ou victimes de violences, le Comité femmes solidaires n’est pas toujours perçu de la même manière en fonction de ses choix d’actions. Lise témoigne :
« Aider les femmes en situation de précarité, celles qui sont victimes de violences, c’est ce qui marque le plus les gens. Mais quand on a des actions plus militantes, certaines choses sont moins bien comprises…
Il y a quelques temps, nous nous sommes positionnées contre le fait que cinéma municipal diffuse le film de Polanski ; quand nous avons parlé de culture du viol, certaines personnes se sentaient attaquées, par exemple. Nous avons senti une grande incompréhension.
On nous dit qu’on se trompe de combat, qu’il y a plus essentiel. Mais nous, on dit : il n’y a pas de petit combat ou de grand combat. Tout ce qui fait avancer la cause des femmes est dans notre ADN ! »
En une dizaine d’années de militantisme, Lise* voit des changements positifs dans la manière dont les femmes prennent la parole dans l’espace public : désormais, on peut dire haut et fort le sexisme, les violences que l’on peut vivre quand on est perçue comme une femme.
Pour elle, les choses pourraient toutefois avancer plus vite, notamment dans le monde politique. Mais elle reste positive : elle constate de grandes évolutions sociales.
« À l’échelle de mon parcours personnel, j’ai l’impression que les choses ont changé : sur les questions féministes, j’ai l’impression que ma génération de jeunes femmes était moins combattante que celle d’aujourd’hui !
On avait l’impression qu’on avait obtenu pas mal de chose : l’IVG, une forme d’égalité… Mais quand je parle avec des jeunes femmes aujourd’hui, je me rends compte de certaines violences qu’on vivait sans les réaliser, qu’on acceptait sans se rebeller. Aujourd’hui, les jeunes sont capacité de dire : ça, c’est violent, ça, tu n’as pas le droit de le faire… C’est très fort ! Mais peut-être que ce n’est que ma conscience féministe personnelle qui n’était pas encore assez ouverte à 20 ou 30 ans.
Je me réjouis de voir autant de jeunes femmes dans les rues : il y a une vraie relève. Pas que je me sente une vieille femme, mais je sais que ces combats seront repris par d’autres, à leur façon, et c’est ça qui est intéressant !
Il y a plusieurs façons de militer, de se faire entendre, et elles sont toutes importantes. Si on arrive à allier tout ça, on va pouvoir abattre pas mal de murs. »
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*Le prénom a été modifié
Crédit de Une : SHVETS Productions / Pexels
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