Cette critique, comme toutes celles concernant le Festival de Cannes 2014, est garantie 100% sans spoilers.
Rien qu’en faisant la queue, j’avais matière à chronique : j’étais la seule journaliste présente (les journalistes accrédités ont une file d’attente différenciée, facile de faire le compte). D’après le personnel d’accueil, on n’avait jamais vu ça et l’équipe prévue s’est révélée bien trop importante : au final la salle n’était pas si remplie que ça, spectateurs non journalistes inclus. Alors bien sûr, les projos de presse sur invitation dans le prestigieux Grand Théâtre Lumière ont déjà eu lieu la veille, mais tout de même…
Il y a eu également les polémiques : la famille de Monaco a publiquement refusé son soutien à ce biopic (encore qu’on reviendra sur le terme « biopic ») et on comprend facilement pourquoi quand on voit ce qu’ils font de la personnalité du prince Rainier III, mais passons.
Je fais quoi avec ce type moi déjà ? J’ai oubli… Ah oui, c’est un Prince oui. Ah bah c’est sûr que ça motive hein.
Oui, « passons » disais-je, parce que le réalisateur, Olivier Dahan, n’a eu de cesse de répéter que ce film n’était, justement, pas un biopic. Ce n’est pas La Môme II. Je cite l’intéressé : « Faire un biopic ne m’intéresse pas, il faut que le film parle de choses que je ressens et que je pense ».
Donc pourquoi ne pas inventer directement un personnage, une autre histoire ? C’est LA question sans réponse de ce film. Je veux dire, ça transparaît même dans la façon dont il a documenté le film :
« Je ne me suis pas spécialement documenté sur Grace de Monaco, même si j’ai lu deux ou trois biographies pour connaître les tenants et les aboutissants de telle ou telle situation, et la dimension psychologique du personnage. Pour le reste, c’était de l’ordre de l’intuition. »
Mais parce que comme toute journaliste en herbe, je me crois plus maline que tout le monde, je vais tenter de commencer par les points forts de ce film qui, sans être à sa place à l’ouverture d’un Festival comme celui de Cannes, n’en fait pas pour autant saigner les yeux d’horreur, si on passe sur le choix du « score anamorphosé »* qui maltraite franchement la rétine : tout ce grain, ce n’est pas esthétique, ce n’est pas rétro, c’est juste brouillon les gars.
* je ne connais pas ce mot, il fait plus de quatre syllabes, mais en gros on étire et déforme l’image grâce à un objectif spécial
Certains moments de grâce dans le jeu de Nicole Kidman
Une actrice qui joue une actrice, c’est forcément intéressant. L’effet de miroir va encore plus loin : c’est une actrice jouant une actrice… jouant un rôle : tout le film traite de la façon dont Grace Kelly va s’approprier son rôle de princesse de Monaco grâce à ses techniques d’actrice, faute d’y parvenir naturellement.
L’investissement de Nicole Kidman me paraît évident, notamment dans les scènes qui traitent le plus directement de cette thématique. C’est même parfois dérangeant : on a l’impression de voir Nicole Kidman jouer Grace Kelly plutôt que Grace Kelly elle-même. Pas parce qu’elle joue mal, mais parce que beaucoup d’indices montrent dans le film que le réalisateur n’a aucune idée de qui était la princesse, voire, si j’ose dire, qu’il s’en fout complètement. Va diriger un acteur avec ça…
D’ailleurs, je ne m’avance pas beaucoup en faisant cette critique ! Voilà ce que Dahan dit du jeu de son actrice principale, confirmant mes soupçons :
« Sa motivation pour incarner ce personnage était vraiment de l’ordre de l’intime, comme si elle racontait des choses d’elle-même dans le film : ça résonne avec des choses qu’elle a vécues… »
J’ai du mal à parler de « Grace Kelly » alors que le film et le réal passent leur temps à nous faire comprendre qu’ils s’en foutent, donc pour la suite, on dira Princesse Souris.
Je suis gentille parce que le genre « remise en question personnelle » a été sublimé par bien des oeuvres, MAIS regonflons encore un peu les pneus de cette ambulance — avant d’y foutre des coups de couteau, sadisme quand tu nous tiens. Je me base sur cette déclaration de Dahan :
« Ce qui m’intéressait, c’était de raconter la difficulté, les tiraillements, d’une femme qui n’arrive pas – ou à du mal – à concilier son mari, ses enfants, sa vie de femme et son travail. Pour moi, Grace de Monaco est une image de ça. »
Alors oui. Et pour cette partie positive de la critique je vais m’arrêter là.
Oui, c’est l’histoire d’une femme qui tente d’être moderne dans un monde de protocole, et oui l’aspect « petite princesse deviendra grande » est bien là.
Replacé dans le contexte de l’époque, ça nous rappelle la chance que nous avons aujourd’hui et que nous devons défendre. Et puis voilà, elle est touchante, avec son air de souris perdue, la truffe humide : ça génère l’empathie.
Bon maintenant, je peux passer aux nombreux points faibles de Grace de Monaco, même si j’aurais adoré commencer mes critiques en faisant l’originale et en expliquant point par point à quel point c’est un chef-d’oeuvre. Parce qu’ils sont gros comme la tarte à la crème gigantesque dans lequel ce film se vautre.
Trop de caricature tue la caricature
Dahan a voulu faire un conte de fée moderne, mais quitte à faire un Disney, POURQUOI nous rappeler constamment que ça n’a rien avoir ni avec les faits historiques, ni avec la vie réelle en général ?
Chaque personnage est sa stricte caricature, du prêtre Jiminy Cricket à la Conseillère en Protocole acariâtre, en passant bien sûr par Princesse Souris elle-même qui passe son temps à être fragile et Mère-Courage à la fois.
L’art de la caricature atteint son apogée dans le personnage de De Gaulle : je veux bien qu’on le ridiculise, mais c’est juste pas drôle, alors qu’avec un tel personnage historique, y avait sans doute moyen d’avoir matière à s’éclater… Et quel besoin de rajouter partout des allusions aux Oiseaux de Hitchcock ? Ça marchait très bien à la fin du film du même nom sorti en 2012, en clin d’oeil final, mais là c’est grossier (et je reste polie).
Pourquoi toutes ces allusions à la vitesse, à la route, si ce n’est pour ne pas évoquer, pas même dans le fameux petit texte de fin qui accompagne les biopics, la mort de Grace Kelly ? Parce que parler d’un tel accident gâcherait le conte de fée, peut-être, mais dans ce cas-là, tu ne choisis pas une personne ayant eu une fin si tragique : c’est au mieux indélicat, au pire complètement hypocrite.
Ou alors tu ne fous pas trois scènes différentes qui évoquent la vitesse et/ou la route et les virages monégasques. À ce niveau-là, je comprends parfaitement que ses enfants aient pu être choqués.
Un film sans enjeux
En gros, c’est Monaco, ils paient pas d’impôt et la vilaine France elle veut faire payer des impôts à Monaco et c’est vraiment vraiment pas gentil pour les riches. On ne voit que des riches à l’écran, qui parlent d’extorsion : vous vouliez vraiment attirer ma « bene volontiae » avec ça ? Que j’aie de la compassion pour les « pauvres » petits problèmes d’Onassis ?
Le pire c’est que le film est complètement hypocrite : au lieu de te parler d’argent, il évoque de grands idéaux de liberté et de valeurs morales concernant la défense d’un paradis fiscal. Arrête, Olivier, c’est ridicule.
Dans ce cas, tu me mets des images des gens « normaux » de Monaco (doit bien y en avoir) sur lesquels ce manque à gagner aurait eu de réelles conséquences : tu ne passes pas ton temps à montrer des robes de bal dont le prix reboucherait illico le trou de la Sécu.
Aaaaah, si seulement j’étais née pauvre, j’aurais tellement moins de souciiiiiis… Au fond je ne rêvais que de choses simples avant d’être Oscarisée…
Une relation centrale qui ne fonctionne pas
Parlons de l’homme et de la femme qui forment le couple central. On-ne-dirait-pas-qu’ils-s’aiment. Point. Certes, leurs personnages en doutent eux-mêmes, mais jusque dans leurs moments de complicité, on dirait que Nicole Kidman retient sa respiration et se bouche le nez avant d’embrasser Tim Roth…
Et surtout, surtout, Princesse Souris a pour seule et unique motivation sa famille. Certes, elle a réellement arrêté sa carrière cinématographique, plus ou moins contre son gré. Mais était-il nécessaire de nous répéter à dix reprises le rôle dévoué qu’une femme doit jouer au sein de sa famille, qui plus est en plaçant ces propos dans la bouche d’un prêtre, des fois qu’on ne saisisse pas bien que c’était la vraie morale de l’histoire ?
Peut-être que j’aurais dû me brosser les dents avant la prise ?
Olivier Dahan a voulu un Monaco fantasmé, une Princesse Souris détruite par les conséquences de son conte de fée. Mais il a voulu nous émouvoir avec ça, et c’est là qu’il s’est complètement planté.
Il réduit son sujet aux petits problèmes des riches, là où Gatsby, l’année dernière, créait un véritable enjeu autour d’un amour déchiré. N’est pas Fitzgerald qui veut…
Ses personnages ne créent pas l’empathie parce qu’ils se contentent d’être l’élite : ils n’ont quasiment pas de caractère, de buts, juste la peur panique de perdre leurs privilèges, peur traitée par le film comme si elle était légitime.
Mais ce film aura fait parler de lui, et n’est-ce pas tout ce qui compte pour l’ouverture d’un Festival : attirer les projecteurs ? Créer à tout prix de la polémique ? Au final si Grace de Monaco ne vaut pas 10€, et peut-être pas deux heures de votre temps, il n’est pas non plus insupportable…
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Ne parle-t-on pas de "mise en abyme"?
J'ai apprécié l'article.
Le casting et le sujet m'avaient donné envie depuis quelques mois, et en regardant les premières bandes-annonce je me suis rendue compte que ça n'avait pas l'air si génial.
Cet article a confirmé ce que j'imaginais...
Mais j'irai sûrement le voir juste pour Roth et Kidman.