Depuis maintenant sept ans, le Festival Lumière de Lyon est un événement qui gagne de l’envergure dans le monde du cinéma, par l’originalité de ses programmations et la qualité des choix artistiques. Depuis sept ans, le Festival décerne le Prix Lumière à une personnalité ayant contribué à l’histoire du Septième Art, avec des œuvres marquantes. Depuis sept ans, le Prix Lumière est décerné à un homme, réalisateur ou acteur.
Loin de moi l’idée que ces grands noms ne méritent pas cet honneur : Clint Eastwood, Miloš Forman, Gérard Depardieu, Ken Loach, Quentin Tarantino, Pedro Almodóvar, Martin Scorsese… Des acteurs et réalisateurs de génie qui ont en effet contribué au cinéma avec talent et excellence, des acteurs et réalisateurs qui méritent leur Prix, aucun doute là-dessus.
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Ce qui me fait tiquer, c’est moins l’absence de femmes dans le palmarès que le fait que cette répartition des récompenses est très représentative de la présence des femmes dans le monde du cinéma. Si aucune femme n’a eu le Prix Lumière, c’est parce que peu de femmes arrivent à percer dans la réalisation et dans le cinéma tout court, et si ce n’est peu, moins que les hommes.
La sous-représentation commence à l’école
Pour faire de la réalisation, il ne suffit pas d’avoir des idées et une caméra. Après une école de cinéma ou un parcours en audiovisuel, un futur réalisateur peut se tourner vers des métiers techniques, de la scénarisation ou d’autres métiers du cinéma et par la suite obtenir un poste en assistanat de réalisation.
Le premier assistant dirige les autres assistants réalisation, qui sont chargés d’assurer le bon déroulement du tournage : il organise le planning selon les disponibilités, l’enchaînement des plans prévus par le réalisateur…
Il est la bonne fée du réalisateur mais ne dépend pas exactement de ce dernier, dont la fonction est plutôt de diriger les acteurs et le tournage d’un point de vue plus artistique. Jusque là, rien qui ne semble pas dans les cordes d’une femme, que ce soit pour l’assistanat ou pour la réalisation-même.
Et pourtant, dès les études, on comprend qu’être une femme dans le cinéma ne va pas être une sinécure, comme en témoigne S., ancienne étudiante en école de cinéma :
« Faire des études de ciné en tant que fille, c’est dur : j’ai eu le sentiment de devoir me battre deux fois plus que les mecs (qui représentent au moins deux tiers de l’école, si ce n’est plus). Il fallait que j’aie plus de force de caractère qu’eux dans le taf pour pas me faire bouffer, et devoir prouver sans arrêt ma légitimité. J’ai jamais autant vécu de mansplaining ! Le pire, c’était quand tu poses la moindre petite question, un mec se penche sur toi comme si tu étais une gamine (en position de force) et veut t’expliquer la vie (le truc de A à Z alors que tu avais une petite question). »
Outre cette impression d’avoir plus à prouver, L. explique que, durant sa licence d’audiovisuel, elle a eu du mal à se faire accepter dans un poste technique.
« Je gérais les éclairages pour plusieurs tournages à la télévision, je voulais être chef-opérateur. J’étais la seule fille dans une équipe de garçons et mes lumières étaient les plus travaillées. Pourtant, mes collègues hommes se voyaient proposer plus de postes parce qu’ils étaient plus rapides et plus forts physiquement, ce qui est important dans ce domaine car les lumières sont lourdes et il faut aller vite. C’est un poste qui passe beaucoup par l’observation : au début tu portes des éclairages, donc on préfère des hommes, donc tu n’es pas sur les tournages et tu ne peux pas te faire de réseau, ce qui est un vrai frein pour percer dans le cinéma. »
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S. confirme cette idée : dans le cinéma, il y a des métiers masculins et quelques métiers féminins, qui correspondent à l’idée que certains se font des qualités et des compétences purement « féminines ».
« En gros dans le ciné, on attends les filles dans des rôles de scripte, décoratrice, ou tout ce qui symbolise un poste dans la discrétion. T’as pas trop intérêt à te faire remarquer, sauf si tu es actrice. D’ailleurs, quand je dis que je fais des études de cinéma, on me dit souvent : « Ah, tu veux être actrice ? », ce qu’on ne dit jamais à mon copain qui fait les mêmes études que moi. On imaginerait moins une fille à un poste technique ou à responsabilité. »
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Une femme scripte, certes, mais une femme derrière l’appareil et un homme en short. Du coup d’accord.
Si les femmes ont moins de prix que les hommes en réalisation, c’est tout simplement parce qu’on leur conseille des carrières différentes, non moins prestigieuses mais moins visibles. Les femmes seront de bonnes actrices ou d’excellentes décoratrices car ces métiers utiliseront leur sensibilité et ne nécessiteront ni de la force physique, ni de la poigne, ni du respect de la part de leurs collègues (qu’elles auraient plus de mal à obtenir de toute façon).
Les femmes sont moins récompensées que les hommes, CQFD
Si les femmes sont moins présentes dans les métiers techniques ou dans la réalisation, elles sont moins récompensées. C’est de la pure logique et je suis, personnellement, souvent perplexe face aux prix spéciaux pour les femmes ou autres méthodes de discrimination positive.
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Je prendrais pour exemple deux des plus grands événements du cinéma, distribuant des récompenses prestigieuses depuis des décennies : les Oscars et le Festival de Cannes. Si ces cérémonies récompensent distinctement les acteurs et les actrices, la parité étant plus respectée dans ce métier, les réalisateurs sont récompensés par un seul type de prix, respectivement l’Oscar du meilleur réalisateur et du meilleur film et la Palme d’Or.
En ce qui concerne les Oscars, sur 87 Oscars du meilleur réalisateur et Oscars du meilleur film, seule une femme a obtenu chacune de ces distinctions : Kathryn Bigelow en 2010 pour l’excellent Démineurs, un film qui lui a permis d’être très largement récompensée par plus de vingt prix à travers le monde. En ce qui concerne l’Oscar du meilleur réalisateur, seules trois femmes ont été nominées dans cette catégorie exceptée Kathryn Bigelow : Jane Campion, Sofia Coppola et Lina Wertmüller.
Le Festival de Cannes est légèrement un meilleur élève, mais disons que ce n’est pas non plus la joie : cette année par exemple, seuls deux long-métrages étaient réalisés par des femmes, Valérie Donzelli et Maïwenn — qui en a profité pour créer l’indignation en nos rangs avec une belle remarque sexiste sur la place des femmes réalisatrices dans le cinéma.
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Cette année, le Festival a innové avec la création du programme Women in Motion, pour mettre en avant les contributions des femmes au cinéma grâce à des conférences et deux prix récompensant d’une part la contribution générale d’une cinéaste et d’autre part une jeune cinéaste. De quoi rattraper le coup (ou non) face aux deux indicateurs très parlants des inégalités à Cannes : les femmes récompensées par une Palme d’Or et les femmes présidentes du Jury.
Sur 68 festivals de Cannes, seuls 11 jurys ont été présidés par des femmes, parmi lesquelles Sophia Loren, Ingrid Bergman, Isabelle Adjani, Isabelle Huppert : de grandes figures du cinéma, certes, mais uniquement des actrices, à l’exception de Jane Campion, présidente du jury en 2014. Jane Campion qui a été la seule réalisatrice à obtenir la Palme d’Or pour La Leçon de Piano en 1993, partagée ex-æquo avec Adieu Ma Concubine de Chen Kaige.
Alors, à quand une lauréate du Prix Lumière ?
D’après le site officiel du Festival Lumière, le Prix Lumière se positionne comme un Nobel du cinéma en devenir, destiné à récompenser non pas des grands réalisateurs mais des contributions historiques au cinéma.
« Le Prix Lumière a été créé par Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier afin de célébrer à Lyon un metteur en scène ou une personnalité du septième art […]. Parce qu’il faut savoir exprimer notre gratitude envers les artistes qui habitent nos vies, le Prix Lumière est une distinction qui repose sur le temps, la reconnaissance et l’admiration. »
Aucune indication quant aux cinéastes plus ou moins aptes à recevoir ce prix, donc. Alors pourquoi pas récompenser certaines des grandes femmes du cinéma, ces actrices, réalisatrices, scénaristes qui ont contribué activement, depuis des années, à apporter des révolutions dans le Septième Art ? Voici une liste non-exhaustive des femmes qui pourraient, de mon avis de non-professionnelle, prétendre au prestigieux Prix Lumière !
- Sofia Coppola, réalisatrice, actrice, productrice et scénariste ; Oscar du meilleur scénario original pour Lost in Translation et nommée à l’Oscar du meilleur film pour ce même film, plusieurs fois nominée aux BAFTA et aux Golden Globes.
- Meryl Streep, actrice et comédienne ; Oscar de la meilleure actrice à deux reprises pour Le Choix de Sophie et La Dame de Fer, ainsi qu’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour Kramer contre Kramer.
- Natalie Portman, actrice, productrice et réalisatrice ; Oscar de la meilleure actrice pour son rôle dans Black Swan, jeune réalisatrice pour A Tale of Love and Darkness.
- Jane Campion, réalisatrice et scénariste ; Palme d’Or pour La Leçon de Piano.
- Kathryn Bigelow, réalisatrice et scénariste ; Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur pour Démineurs, nommée pour Zero Dark Thirty.
- Judi Dench, actrice : Oscar de la meilleure actrice pour Shakespeare in Love ; nominée six autres fois à cette récompense.
- Marjane Satrapi, dessinatrice, scénariste, compositrice et réalisatrice ; Prix du Jury à Cannes pour Persépolis, César du Meilleur Premier Film et de la Meilleure Adaptation.
- Marion Cotillard, actrice ; Oscar de la Meilleure Actrice pour La Môme et première actrice française à cumuler le Golden Globe, le BAFTA, l’Oscar et le César de la meilleure actrice.
- Maggie Smith, actrice et comédienne ; Oscar de la Meilleure Actrice pour Les Belles Années de Miss Brodie.
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En attendant une révolution dans le monde du cinéma, félicitations à Martin Scorsese pour son Prix Lumière amplement mérité, qui lui sera décerné en octobre 2015.
Et vous, vous en pensez quoi de la place des femmes au cinéma ? Quelles cinéastes verriez-vous lauréates du Prix Lumière ?
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