En trois ans de vie professionnelle, j’en ai fait, des erreurs, j’en suis pleinement consciente. Dans le feu du moment, on prend la décision qui nous semble la meilleure. On n’a pas toujours le recul ou les informations nécessaires pour aller systématiquement vers le choix le plus approprié, si bien qu’on se contente souvent, à regret, du « moins pire ».
De tous les choix que j’ai été amenée à faire durant ces trois années, je n’en renierais (presque) aucun, même ceux qui m’ont coûté le plus cher. C’était toujours, j’en suis convaincue, la moins mauvaise des solutions.
J’aurais pu choisir un autre chemin, parce qu’une autre séquence de choix m’aurait emmenée sur une autre voie, vers d’autres situations, mais c’est toute la différence entre choisir et subir : j’ai pris mes décisions et accepté leurs conséquences.
S’il est un choix, un seul, sur lequel il me faudrait revenir, ce serait le premier. Si tout était à refaire, je reviendrais à cette matinée de juillet et je changerais ma réponse, cette réponse.
Une question interdite
C’était un entretien d’embauche « allégé » dirons-nous, puisque je postulais à un stage de fin d’études dans le cadre d’un master en gestion des ressources humaines, spécialisé sur la lutte contre les discriminations.
C’était aussi mon premier véritable entretien d’embauche. Jusqu’à présent, j’avais toujours décroché mes stages « sur papier » ; l’entretien n’avait été qu’une présentation des missions, l’étape de sélection ayant déjà été franchie.
Ce n’était pas le cas ce jour-là : nous étions encore trois candidates en compétition sur ce poste.
Et à la fin, il n’en restera qu’une.
N’ayant jamais véritablement passé d’entretien de sélection, j’ai opté pour une sincérité probablement naïve. Comment bien se vendre quand ne sait pas à quoi on devra servir ? Sans expérience, j’étais bien incapable de mettre en avant les qualités qui auraient pu faire la différence…
L’entreprise recrutait un·e stagiaire pour mener à bien une étude sur la place des femmes au sein de ce groupe industriel, dans le but d’élaborer et de déployer un plan d’action. Je me spécialisais justement sur l’égalité professionnelle et la gestion de la diversité ; les questions-réponses sur ce thème se déroulaient sans encombres, malgré ma tension perceptible.
C’est alors qu’il a posé cette question. Et avec le recul, elle aura été déterminante.
« Êtes-vous féministe ? »
Quand un directeur des ressources humaines demande ça, on est en droit de se demander si ce n’est pas une question piège. Après tout, quelques minutes auparavant, nous discutions des méthodes de recrutement sans discrimination, et des questions interdites en entretien.
Interroger un·e candidat·e sur ses opinions politiques, syndicales et/ou religieuses est rigoureusement interdit. On peut considérer le féminisme comme un mouvement politique, donc demander à un·e candidat·e s’il ou elle est féministe, en plus de n’être pas une question pertinente, c’est interdit.
J’ai réfléchi. Ce n’était pas un piège. Ma mission de stage porterait sur l’égalité professionnelle, plus précisément sur la place des femmes dans l’entreprise. J’ai interprété cette question comme un besoin d’être rassuré, d’entendre que non, je n’étais pas « une féministe », ce gros mot qui désignait, dans mon esprit, ces militantes hargneuses et acharnées, selon un stéréotype bien trop répandu (dont je me suis depuis détachée).
Non, je n’étais pas féministe. Et ce fut d’ailleurs ma réponse. Si je crois à l’égalité ? Bien entendu, c’est d’ailleurs pour cette raison que je suis ici.
L’inégalité qui persiste aujourd’hui entre les femmes et les hommes n’est qu’un vestige de ce passé où les féministes, pionnières du combat pour l’égalité, ont mené des actions déterminantes. C’est grâce à elles que je n’ai pas besoin « d’être féministe » aujourd’hui.
À lire aussi : 15 mauvaises raisons de ne pas être féministe
Et l’entretien s’est poursuivi. Cette question ne m’avait pas marquée davantage, d’autant que c’est une autre question qui m’a garanti le poste que je convoitais.
– Quels logiciels maîtrisez-vous ? – Word, Excel, Power Point… – Excel, vous maîtrisez ? Que savez-vous faire par exemple ? – De l’analyse et de la mise en forme de données… des tableaux dynamiques croisés par exemple. – Vous savez faire des tableaux dynamiques croisés ? Vraiment ? – Euh… Oui ? Oui je sais en faire… J’ai été trésorière pour une association, j’ai toujours utilisé Excel comme support pour le suivi budgétaire. – Ah vraiment ? Ah ben très bien.
Ne sous-estimez pas le pouvoir d’Excel. Note : en sortant de cet entretien, j’ai immédiatement téléphoné à mon père.
« Allô Papa ? Oui… oui ce tutoriel d’Excel pour faire des tableaux dynamiques croisés dont tu me bassines parles sans arrêt… Eh ben c’est quand tu veux, ça m’intéresse ! »
Qui n’est pas féministe ?
Si c’était à refaire, si je le pouvais, je reviendrais en arrière, à cette matinée de juillet. Et à la question « êtes-vous féministe ? », je répondrais sans hésiter et tout aussi sincèrement que je l’ai fait il y a trois ans :
« Oui, je suis féministe. Évidemment que je le suis. Comment, au XXIème siècle, peut-on encore penser que les compétences d’une personne ont un quelconque lien avec son sexe, qui plus est dans le monde professionnel ?
Je ne crois pas un seul instant être différente, en mieux ou un mal, d’un de mes collègues masculins, du simple fait de mon sexe.
Qui n’est pas féministe, de nos jours ? Je suis surprise que vous me posiez la question. Mais autant clarifier ce point dès à présent : je ne pourrais pas travailler dans un environnement professionnel qui différencie les collaborateurs en fonction de leur genre.
En plus d’être illégal, cela me paraît contre-productif. Et complètement idiot.
Mais si vous recrutez quelqu’un pour faire le point sur la situation des femmes au sein de votre entreprise, j’imagine que vous visez justement à remédier à toute inégalité qui pourrait encore subsister. »
Peut être que je ne répondrais pas tout ce paragraphe. Peut être que ma réponse changerait complètement l’issue de l’entretien.
Si j’avais répondu « oui, je suis féministe », peut être que je n’aurais pas eu ce job. Peut-être que je l’aurais eu quand même. Mais cela aurait été sans regret dans un cas, sans problème dans l’autre.
Si j’avais répondu « oui, je suis féministe », j’aurais d’emblée exprimé mon refus net d’être considérée comme une femme avant d’être traitée comme un individu, au même titre que mes collègues masculins.
Mais cette réponse ne m’a même pas traversé l’esprit. Parce que je me disais sincèrement que je n’étais pas féministe. Et puis j’ai découvert le monde professionnel. J’ai découvert que le machisme et le sexisme n’étaient pas l’apanage d’une génération que je croyais déjà aux portes de la retraite. Qu’ils n’étaient pas réservés aux vieux briscards bourrus, à un manque de culture et/ou d’éducation.
J’étais moi-même pleine de préjugés et de clichés sur le sexisme. Je pensais que son temps était déjà révolu. Je n’étais pas féministe. Mais en trois ans, je le suis devenue.
Et toi, as-tu déjà eu à répondre à cette question dans un cadre professionnel ? Que ce soit lors d’un entretien ou dans des moments de vie commune ? Comment as-tu réagi ? Viens en parler sur le forum !
À lire aussi : 6 erreurs que j’ai commises quand je cherchais un emploi (et comment les éviter)
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Oui mais justement ! Il voulait vérifier que je n'étais PAS féministe, c'est à dire pas "militante", pas "endoctrinée".
Et oui, du coup, pour une personne chargée d'étudier l'égalité professionnelle au sein de l'entreprise... c'est bien paradoxal...