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Le Brexit vu par une Française expatriée en Angleterre

Jule est expatriée depuis trois ans en Angleterre. Elle a vécu le Brexit avec incrédulité et déception… mais ne perd pas espoir.

J’ai passé les trois derniers jours à lire en boucle comptes-rendus, statistiques et articles de fond, alimentée en partie par mon feed Facebook et les gens pro « Remain » qui l’habitent.

J’ai encore du mal à y voir clair, mais j’avais besoin de faire quelque chose, de dire quelque chose, de mettre toutes mes pensées par écrit pour essayer de partager mon sentiment en tant que Française expatriée.

J’ai choisi de vivre à Londres pour les opportunités que cela m’apportait professionnellement, pour l’activité culturelle incessante, pour le multiculturalisme.

Je vis en Angleterre depuis trois ans et demi. Lors des élections du maire de Londres le mois dernier, le fait d’avoir une adresse permanente londonienne m’a permis de voter (les étranger•es ont le droit de vote aux élections locales en Angleterre, une particularité dont la France pourrait s’inspirer). Il y a un mois, j’étais fière de vivre dans une ville qui élisait le premier maire d’une capitale européenne issu de l’immigration.

Aujourd’hui, j’ai du mal à mettre de l’ordre dans mes idées.

J’ai choisi de vivre à Londres pour les opportunités que cela m’apportait professionnellement, pour l’activité culturelle incessante, pour le multiculturalisme.

Quoique consciente de vivre dans une bulle qui ne représente pas l’Angleterre dans sa totalité, les gens que j’ai rencontrés ici, l’ouverture d’esprit et le dynamisme de cette ville m’ont conquise. Je ne pense pas que ce qui s’est passé vendredi change quoi que ce soit à ce sentiment, mais il est désormais mêlé à un certain malaise.

À lire aussi : Ce qui me manque quand je ne suis pas en Angleterre

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Le résultat du Brexit me laisse incrédule

La nuit de jeudi à vendredi, j’ai eu du mal à aller me coucher. Je suis rentrée tard après avoir bu un verre avec une copine, et les résultats commençaient à arriver. Quand je me suis connectée au décompte en live de la BBC, le « Leave » menait de 20 000 électeurs (sur environ 300 000 votes décomptés). Je suis restée scotchée à mon ordi pendant trois heures, actualisant la page, ne pouvant pas croire ce que je voyais, l’écart qui se creusait.

Quand je suis finalement allée me coucher vers quatre heures du matin, 20 millions de votes avaient été comptabilisés et le « Leave » menait à 51,3%. Les votes de Londres n’étaient pas encore pris en compte et j’espérais toujours un renversement de la balance à mon réveil.

Vendredi, la ville entière semblait sous le poids d’une énorme gueule de bois. La majorité de mes collègues semblait revenir d’un enterrement ; certain•es m’ont même dit vouloir quitter le pays. L’un d’eux racontait que le matin, en descendant de son train à Victoria, il avait croisé un homme qui brandissait un panneau « This is shit! » sous les applaudissements de la foule.

Personne n’arrivait vraiment à y croire, le sentiment d’une catastrophe écrasait tout le monde.

Personne n’arrivait vraiment à y croire, et le sentiment d’une catastrophe, d’un retour en arrière sur l’Histoire, écrasait tout le monde. Personnellement, j’avais le même sentiment étouffant que l’on ressent le jour suivant une rupture – un mélange de déni et d’hypersensibilité, la sensation diffuse d’une énorme perte dont on n’a pas encore mesuré les conséquences.

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Une recrudescence du racisme qui fait peur

En tant que Française vivant au Royaume-Uni, je me suis bien sûr posé la question de ce que cela voulait dire pour moi. J’en riais même, j’avoue ne jamais avoir vraiment envisagé le Brexit comme une possibilité réelle.

Pour être honnête, je crois que je ne suis pas trop inquiète. Tout va dépendre bien sûr du gouvernement nommé à l’automne suivant la démission de David Cameron, mais je ne crois pas que de nouvelles lois obligeant les étranger•es travaillant au Royaume-Uni à quitter le pays puissent être mises en branle aussi facilement que ce que Boris Johnson ou les pro-Leave ont voulu faire croire à leur électorat.

Je ne m’inquiète donc pas pour mon futur immédiat ; néanmoins, les témoignages qui affluent ce week-end font peur : ils parlent d’une recrudescence des agressions racistes envers la communauté polonaise, les personnes de couleur, celles d’origine asiatique. Oui, je ne me suis jamais sentie autant Française que depuis que je vis à l’étranger – les différences culturelles sont une réalité, mais elles m’ont toujours paru un enrichissement !

Tous ces témoignages de haine me brisent le coeur.

J’ai eu la chance de ne jamais être victime de racisme, mais aujourd’hui je vis dans un pays où 52% de la population a voté contre mon droit d’y résider.

À lire aussi : Des « gaijins » pas tous égaux – Carte postale du Japon

Et mes pensées vont à celles et ceux qui ont reçu, ce week-end, des flyers disant « Dehors la vermine polonaise » dans leur boîte aux lettres, à cette petite fille dont le prénom a été gribouillé sur le mur des toilettes de son école accompagné d’un « Fais tes bagages »

Quand on a choisi de quitter son pays, quelle qu’en soit la raison, pour s’installer dans un autre, quand on participe à la vie de ce pays, qu’on paie sa National Insurance Contribution (la Sécurité sociale) et ses impôts, tous ces témoignages de haine brisent le cœur.

C’est la même dynamique qui a vu une recrudescence des actes xénophobes en France depuis le lifting du FN par Marine Le Pen. C’est une légitimisation des propos racistes et xénophobes dans un pays qui a une histoire du multiculturalisme plutôt réussie, et c’est immensément triste.

À lire aussi : Comprendre le racisme ordinaire en six leçons

De plus, je suis aussi touchée non plus en tant que Française, mais en tant que jeune professionnelle dans un pays que j’aime. Je ressens le même désarroi que mes ami•es et collègues britanniques, et j’ai peur pour l’avenir de ce pays qui a tellement à offrir et qui vient de fermer une porte à l’Europe…

Ce pays où le Women’s Equality Party a réuni 5,2% des votes sur les deux tours pour sa candidate aux élections municipales en mai. Ce pays où, malgré le libéralisme qu’on lui connaît, mon expérience m’a montré qu’on vous donne une chance no matter what à partir du moment où la motivation et l’envie sont là.

Ce pays dont la majorité des jeunes que je connais se sentent autant Européen•nes qu’ils/elles se sentent Britanniques.

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Depuis vendredi, ce pays est sous le choc et les conséquences économiques du vote ont déjà commencé à se faire sentir. Comme dit plus haut, les actes racistes se sont multipliés. L’Écosse menace de redemander un référendum pour gagner, cette fois, son indépendance ; les troubles en Irlande pourraient refaire surface (les deux régions ont voté « Remain »).

À lire aussi : HugoDecrypte la possible sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne en 5 minutes

Mensonges et conséquences du Brexit

La grande majorité des jeunes pleure son avenir qui lui a été volé, un avenir ouvert, d’opportunités internationales et d’échanges culturels, et je le pleure avec eux.

La grande majorité des jeunes pleure son avenir qui lui a été volé, un avenir ouvert, fait d’opportunités internationales et d’échanges culturels. Et je le pleure avec eux, parce que l’image qui ressort de ce référendum est celle d’un pays qui se referme sur lui-même, c’est la tentation du sursaut nationaliste encore et toujours, c’est l’entre-soi, l’idée confortable qu’on n’a pas à se confronter aux changements du monde contemporain et qu’il suffit de regarder en arrière pour trouver les solutions.

Je ne crois pas en ces idées-là, et au moins 48% des Britanniques non plus.

Ce qui met en colère, encore plus que ça, ce sont les mensonges proférés par le parti du « Leave » pour gagner cette campagne. D’une manière générale, elle s’est basée sur de fausses vérités, des deux côtés, des généralisations faites pour gagner des votes et non pour expliquer la complexité de la question. Mais les deux grandes promesses de campagne du « Leave », ce pour quoi beaucoup de « Brexiters » ont voté, ont déjà été reniées.

La campagne a été basée sur de fausses vérités et des généralisations faites pour gagner des votes, et ce des deux côtés.

Nigel Farage (Leader du UKIP, le parti souverainiste équivalent du FN) et le « Leave » ont fait campagne sur la promesse de mieux contrôler l’immigration, et dès vendredi soir ils étaient démentis par Daniel Hannan (membre Tory du Parlement européen), disant en gros à ses partisans qu’il ne fallait pas se faire d’illusion.

La suggestion selon laquelle les 350 millions de livres versés par le Royaume-Uni à l’Union Européenne (un chiffre faussé dès le départ puisqu’il ne tient pas compte des apports financiers de l’UE au Royaume-Uni) pourraient être utilisés pour la NHS a été démentie par Farage à peine deux heures après l’annonce du résultat du référendum.

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Il est apparu qu’un certain nombre de personnes avait voté en faveur du Brexit en signe de protestation contre l’Establishment, sans véritablement croire qu’une séparation pourrait vraiment arriver.

Il est apparu qu’un certain nombre de personnes avait voté en faveur du Brexit en signe de protestation contre l’Establishment, sans véritablement croire qu’une séparation pourrait vraiment arriver. Le vote ras-le-bol me fait sensiblement penser à la montée du FN en France, et ce n’est pas pour me rassurer.

Les résultats de recherches Google ont montré que le deuxième terme de recherche le plus courant dans le pays après l’annonce des résultats était « What is the EU? » — montrant à quel point, peut-être, celles et ceux ayant voté étaient mal informé•es.

La résistance au Brexit s’organise

Alors, heureusement, il semble que la résistance s’organise. Une pétition sur le site du Parlement anglais demandant un deuxième référendum a atteint 3 503 000 signatures au moment où j’écris ces lignes (précisons néanmoins qu’il y a suspicion de fraude sur environ 77 000 signatures due à un hacker).

Oui, il y a beaucoup de questions ; mais les éléments écrits plus haut donnent un espoir aux « remainers », l’espoir que s’il y avait un nouveau vote, les abstentionnistes se motiveraient, que certains des « Brexiters » deviendraient des « remainers », maintenant qu’ils ont eu un vague aperçu de ce que quitter l’Union européenne pouvait vraiment signifier.

Plusieurs rassemblements sont prévus à Londres dans les semaines qui viennent pour manifester le soutien des « Remain » aux idées européennes. Tout est encore ouvert.

Plusieurs rassemblements sont prévus à Londres dans les semaines qui viennent pour manifester le soutien des « Remain » aux idées européennes. Un post devenu viral ce dimanche 26 juin explique en quoi une activation de l‘article 50 par les partisan•es du « Leave », s’ils arrivent aux commandes, serait un suicide politique. D’autre part, le référendum est consultatoire et ne fait pas office de décision : il doit être ratifié par le Parlement pour être mis en vigueur.

Une voie de sortie de ce côté-là semble difficilement envisageable, mais tout est encore ouvert.

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Tous ces éléments me font espérer. Je vote depuis dix ans, et il me semble que jamais une élection n’a eu autant d’importance – nous pouvons élire un gouvernement ou une Assemblée Nationale pour cinq ans, et si nous en sommes déçu•es, il y a toujours la possibilité de changer de gouvernement au bout de ce laps de temps (bon, ça c’est en théorie, étant donné le taux de renouvellement de notre scène politique française, mais ceci est un autre débat !).

Le référendum de jeudi et son potentiel impact, eux, auront des répercussions sur la vie de millions de personnes pendant plusieurs générations.

Et cela fait l’objet d’un deuil que je partage avec les 16 141 241 personnes ayant voté « Remain » – et que je ne suis pas vraiment prête à faire.

Tout comme Clémence Bodoc, l’Union Européenne m’a permis d’être la personne que je suis aujourd’hui, de faire ce que je fais professionnellement, de vivre où je vis, de rencontrer toutes ces personnes formidables qui m’entourent au quotidien.

Et je pleure que ce droit puisse être nié à tou•tes les habitant•es du Royaume-Uni.

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Les Commentaires

30
Avatar de Goldentrain
28 juillet 2016 à 17h07
Goldentrain
J'habite a Manchester en Angleterre depuis 4 ans et demi. Je suis totalement d'accord avec cet article.

Je veux pas faire ma chieuse mais, j'ai du mal a comprendre pourquoi certains se qualifient d'expat', comme la mademoizelle qui a écrit cet article (ça fait quand même plus de 3 ans qu'elle habite a Londres), alors que pour ma part, je prétends plutôt être une immigrée française. C'est peut être jouer sur les mots, mais ça me chiffonne car j'ai l'impression que beaucoup appellent un "immigré", quelqu'un qui vient d'un pays généralement plus pauvre, et puis les immigrés "riches" auront tendance a être appelés des expat'. Pour moi un expat' c'est quelqu'un qui va vivre/travailler dans un autre pays temporairement, avec la ferme intention de rentrer dans son pays d'origine. Voila, c'est juste une réflexion qui me trotte dans la tete, surtout depuis le Brexit.
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