Publié initialement le 24 octobre 2013
Si comme moi, vous étiez du genre gosse bibliophile solitaire, vous avez aussi dû en dévorer par paquets de cent, ces magazines jeunesse qu’on guettait chaque mois dans la boîte aux lettres pour au final les terminer en une demi-journée (jeux inclus) et les laisser errer dans les toilettes (ou, si vous êtes du genre bureaucrate maniaque comme ma frangine, les ordonner amoureusement dans la bibliothèque par date pour ne plus jamais y toucher).
Voici donc une petite rétrospective de mes lectures de Gargantua des BD, de goinfre insatiable d’énigmes trop fastoches, de gouffre à papier glacé ambulant (non, je n’ai pas été abonnée à tous les magazines de la Terre non plus, mais ça tombe bien : ceux que je ne connais pas, parlez-m’en !)…
Pour cette première partie, nous nous attarderons sur les magazines du groupe Bayard.
Bayard, un siècle de presse catholique (à l’origine)
Ils hantent les CDI, les professeurs des écoles les recommandent et des exemplaires circulent même pendant les journées de préparation à la première communion… Et ce n’est pas étonnant puisque le groupe Bayard est catholique jusqu’au bout des ongles !
Aujourd’hui premier sur le marché de la presse jeunesse, Bayard peut se vanter d’avoir plus d’un siècle au compteur puisque le groupe fut fondé en 1873 par le père Emmanuel d’Alzon, fondateur de la congrégation Les Augustins de l’Assomption. Le premier journal du groupe (alors intitulé, en toute modestie, Maison de La Bonne Presse), Le Pèlerin, était un bulletin de liaison entre différents lieux de pèlerinage.
Leur premier journal pour enfants, Le Sanctuaire, était destiné aux enfants de choeur et le titre qui donna son nom au groupe, Bayard, était un hebdomadaire de bande dessinée à destination des jeunes garçons créé en 1936.
Les illustrés étaient très mal vus à l’époque (ça n’enrichit pas assez le vocabulaire de Clotaire, m’voyez, faudrait qu’il lise les épîtres de Saint Paul apôtre aux Corinthiens en version originale au lieu de perdre son temps) mais on est quand même assez loin des excès des comics. C’est sage.
Enfin sage… cette BD publiée dans un Bayard de 1961 ressemble quand même diablement à une affiche de propagande bolchévique !
Les magazines Bayard me donnaient l’impression de premiers de la classe qui se prenaient un peu trop au sérieux quand j’étais petite. Un rien BCBG, toujours là pour te donner des conseils, ils tentaient parfois quelques blagounettes nulle (Astrapi, je te salue) mais globalement, rien de super folichon.
Voici donc les publications Bayard qui ont rythmé ma vie !
Léo et Popi, pour les tout-petits
Déjà c’est mal parti : c’est quoi ce spoiler de ouf dans le titre Popi ? Tu veux tuer ton suspense dans l’oeuf ?
Popi c’est pour les bébés… j’ai JAMAIS lu Popi ok ? (Si tant est qu’on puisse « lire » quand on est dans l’âge ciblé par la bête.) T’as dû confondre ! Qu’est-ce qui te permet d’affirmer que cet enfant hilare, sur le pot, un Popi à la main est bien moi ? Il a des cernes cet enfant ? Non ? Bah moi j’en ai. Tu vois, on n’est pas la même personne !
Si toi aussi ta petite soeur se passait ça en boucle et que cette chanson a fini par t’inspirer plus de terreur que l’hymne d’une secte satanique…
Grain de Soleil (qui s’appelle maintenant Filotéo)
À l’époque où je le lisais, c’était LE magazine avec une BD sur Jésus au début.
Jésus nous apprend à être un (très mauvais) berger.
Ensuite il y avait un petit point historique sur, entre autres, les martyrs qui se font joyeusement manger par les lions après avoir passé des mois planqués comme des rats dans les catacombes, ce connard de Clovis qui te fracasse le crâne si tu lui piques ses affaires ou encore la madame qui voit des choses bizarres et fait des miracles…
N’empêche que tout ça m’aura permis de me la péter pendant des années parce que j’étais la seule élève de ma classe capable de définir le mot « parabole ».
Sinon, je pense que le Jésus dessiné par Jean-François Kieffer a été la base de ma libido : sérieux, il était beau gosse.
Jesus Christ Superstar… I don’t know how to love you…
Babar (anciennement Le journal de Babar)
Maintenant en 3D moche ! Pour jouer la vieille conne : c’était quand même mieux avant !
En plus d’être un roi éléphant en costard vert, Babar se paye le luxe de la propagande au pays des humains en prévision d’une hypothétique invasion éléphantesque.
Bon… plus sérieusement, ma mère a dû nous en acheter deux ou trois à la gare. Je me rappelle essentiellement des histoires de la vieille dame qui étaient cool mais un peu pompées sur les contes de Marlène Jobert quand même (ah la la, quelle imagination elle avait, Marlène… mais on y reviendra).
Pomme d’Api, pour les 3-7 ans
Un péché mignon piqué à la frangine (parce que moi j’étais trop grande pour ça !). J’aimais bien le dépliant spécial parents qu’on trouvait parfois au milieu et qui expliquait par exemple comment réagir si son enfant se sentait mal à l’école. Ma mère ne le décrochait jamais, mais je trouvais ça très intéressant.
À noter ce blaireau de Petit Ours Brun qui continue d’être starifié dans le magazine alors que même petite je le trouvais passablement niais — et à côté, Mimi Cracra qui était « bête mais rigolote » a fini par se casser.
Bah moi je sais compter deux par deux et lacer mes chaussures ! Pas de quoi pavoiser.
Je me demande ce qui est arrivé à la famille Choupignon aussi (surtout à Carapatte la tortue, on était bien copines).
Les Belles Histoires de Pomme d’Api (ou Les Belles Histoires tout court)
La plus belle des Belles Histoires et si t’es pas d’accord t’as RIEN compris à la vie !
Probablement mon préféré de la bande à Bayard… pourtant, on ne m’y a jamais abonnée. Tristesse. Du coup, anecdotes :
- Une de mes premières lecture toute seule a été un tome des Belles Histoires (et j’ai appris qu’on ne prononçait pas « pays » comme « paye » mais « pè-i »).
- Mon voisin avait toute la collection et j’en lisais quand j’en avais assez de me faire tirer dessus dans Golden Eyes sur Nintendo64 (on squattait chez le voisin pour sa console aussi).
- Ce générique du dessin animé adapté qui a tout simplement vampirisé mon enfance (bah oui, en plus d’être partout à l’école, à la bibliothèque municipale ou chez mes voisins, Bayard passe AUSSI à la télé) :
Et c’est HENRI DÈS qui chante quoi ! Excusez du peu ! (D’ailleurs vous saviez que le groupe de son fiston s’appelle Explosion de Caca ? Je ne m’en remets pas.)
Images Doc, la vulgarisation scientifique
Si globalement, dans mon enfance, je préférais de loin les magazines Bayard aux autres, côté vulgarisation scientifique/historique, j’ai toujours trouvé que les magazine Milan (Wakou, Wapiti, Geo Ado) ou encore Sciences et Vie Junior (qui appartient, ô disgrâce, au groupe qui publie Biba et 20 ans) étaient bien plus complets.
Même par rapport à leur tranche d’âge : à mon époque, tu comparais Wapiti à Images Doc (pour les 7/13 ans et 8/12 ans), t’avais plus à manger dans Wapiti. Après, ça a peut-être changé.
Du coup, Images Doc… bah… c’était sympa, quoi. Mais pas assez consistant pour la petite lectrice avide que j’étais.
J’aime Lire, DLire et Je Bouquine
La petite famille des magazines pour apprendre à lire et initier doucement les jeunes à la littérature (notamment Je Bouquine avec ses BD et dossiers sur les classiques). Je garde d’excellent souvenirs des trois (surtout J’aime Lire et ses « cadeaux gratuits » de la rentrée pour le numéro de septembre : généralement un pauvre porte-clef Tom-Tom et Nana que je pétais en deux semaines mais bon, c’était magique).
J’aime Lire, c’était cool, y avait Tom-Tom et Nana, des BD-pub pour les sirops Teisseire Kids et Bonnemine le crayon bleu avait l’air tranquille, peinard…
Ça s’est gâté : Bonnemine a commencé à sautiller et on a eu Fripouille et Malicette, BD franchement pas glorieuse puisque le scénario consistait en : la fille fait une connerie, elle se prend un truc sur la tronche, le mec se paie sa tête. Mais bon… ça allait encore.
La dernière fois que je suis tombée sur un J’aime Lire, il y avait à peine une page de Tom-Tom et Nana (en même temps, depuis le temps que ça dure…) et Bonnemine avait fait de la chirurgie esthétique de manière à déplacer son nez/mine sur le sommet de son crâne.
À noter que DLire est le petit dernier de la bande : le magazine a à peine 13 ans alors que J’aime Lire affiche 36 ans au compteur et Je Bouquine bientôt 30. De ce que j’ai compris, il était une reprise de Maximum, qui était (en apparence du moins) beaucoup moins sage que les deux autres et avait une esthétique un peu Chair de Poule. Je ne l’ai hélas pas beaucoup lu (je snobais le genre horrifique super à la mode quand il est sorti), mais il avait un chouette design.
Du coup, DLire reprenait la BD Sardine de L’Espace d’Emmanuel Guibert et Joann Sfar et le ton pour préados branchouilles de Maximum… même si visuellement c’était pas vraiment la même chose.
Changement d’ambiance.
Si j’ai lu J’aime Lire et DLire à une époque où mon esprit critique était aussi éveillé qu’un bradypus variegatus (communément appelé « paresseux »), Je Bouquine m’irritait pas mal pour deux raisons :
- Le fait que les journalistes semblaient perpétuellement frustrés dans les critiques qu’ils rédigeaient sur les best-sellers jeunesse publiés, notamment par Bayard, et dont les pubs fleurissaient au gré des pages. Sur Eragon par exemple, on sentait qu’ils n’accrochaient pas tant que ça mais bon… c’était publié par Bayard quand même, ils pouvaient pas décemment cracher dans la soupe.
- Marion le Feuilleton, qui réduisait ma tranche d’âge à un stéréotype décérébré passablement irritant et pas drôle, surtout en contraste avec Le Journal d’Henriette de Dupuy et Berberian, BD beaucoup plus subtile, cynique et caustique que Je Bouquine publiait auparavant.
Entre une ado idiote et narcissique qui s’apitoie sur ses problèmes de coeur et une fille complexée et complexe… Le choix est vite fait j’ai envie de dire.
Astrapi et Okapi, l’actu pour les jeunes
Des amis y étaient abonnés mais je snobais pas mal ces magazines qui étaient, de mon point de vue de grande lettrée d’un mètre 35, des cousins pauvres des trois magazines sus-cités : ils étaient moins axés culture. À mes yeux, de fait, ils étaient des genre de sous-J’aime Lire et sous-Je Bouquine pour illettrés.
Mon dieu, quand j’y repense, j’étais vraiment insupportable. À se demander si j’ai tant changé que ça !
En conclusion…
Globalement, les magazines Bayard me laissent vraiment de très bons souvenirs. Leur point fort n’est certainement pas l’humour — à cause de leur côté un rien BCBG coincé — mais ils étaient vraiment très instructifs et distrayants dans l’ensemble (même quand ils étaient ouvertement catholiques comme Grain de Soleil : il faut admettre que la Bible, c’est quand même sacrément épique).
Ils savaient aussi se diversifier et exploiter des supports variés pour envahir ton espace audiovisuel avec des cassettes à écouter ou des dessins animés… et même l’espace virtuel : le premier CD-Rom de ma soeur a été un jeu offert avec Pomme d’Api.
Effectivement, je me demande ce qu’est censé représenter l’espèce de chien jaune bizarre mais il fait peur.
Autre point à souligner en ces temps de marketing bleu/rose insupportable : parmi tous les magazines jeunesse de Bayard presse, on n’en compte aujourd’hui qu’un destiné à un public genré, Muze (qui n’est honnêtement pas le pire magazine féminin qui soit) et ça c’est vraiment cool. Pas de princesse cucul chez Bayard et c’est tant mieux !
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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