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J’ai avorté au Liban, où c’est illégal

Amal est une jeune libanaise. Elle est tombée accidentellement enceinte, dans un pays où l’avortement est tabou, au même titre que le sexe avant le mariage. Elle a raconté son histoire à Esther.

Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.

Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des sénégalaises et sa deuxième étape l’a menée au Liban ! Elle y a réalisé interviews, portraits, reportages, publiés au fil des jours sur madmoiZelle.

Pour retrouver tous les articles et la genèse du projet, n’hésite pas à jeter un œil au sommaire de présentation : madmoiZelle en reportage au Liban !

Tu peux aussi suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !

Amal a avorté au Liban, alors que c’est illégal. À 18 ans, elle est tombée enceinte, et il était hors de question pour elle d’avoir un enfant. Alors elle s’est débrouillée, comme le font beaucoup de libanaises.

« L’avortement ici est illégal, mais ça arrive. Tout le monde le fait. Tu prends une pilule, tu peux la trouver partout. En particulier dans les pharmacies dans les quartiers chrétiens. »

« Je suis devenue folle quand j’ai vu que c’était positif »

Cela n’empêche pas que lorsque l’on tombe enceinte de manière accidentelle dans ce pays, on ne soit pas spécialement sereine.

« Lorsque j’ai découvert ma grossesse, ça m’a rendu folle. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. C’était la fin du monde.

Parce qu’ici ce n’est pas commun, le sexe est très tabou. Mes parents ne sont pas au courant que je ne suis plus vierge parce qu’ils sont assez fermés d’esprit. Enfin si ça se trouve il ne le sont pas, mais je ne sais pas, je ne veux pas prendre le risque de leur poser la question, même en parlant du sujet sans le lier à moi car ça éveillerait des soupçons. »

En effet, il y a un véritable interdit social concernant le sexe avant le mariage dans la société libanaise, il est très mal vu de ne pas être vierge au moment de la nuit de noces. Amal s’est donc sentie désemparée :

« Je ne savais pas quoi faire mais finalement, mon copain a parlé à sa tante, uniquement à elle. Elle avait un ami gynécologue mais il a refusé de pratiquer l’avortement car je n’étais pas mariée. »

À lire aussi : Faire semblant d’être vierge : les Libanaises expliquent leurs techniques

Avorter seule, sans soutien médical : une réalité au Liban

Amal a fini par trouver une solution :

« Un autre a accepté de m’aider, j’y suis allée sous le nom de la tante de mon copain. J’avoue que sinon, je n’aurais pas su quoi faire. Il n’y a pas de ligne téléphonique officielle, il n’y a rien que tu puisses faire à moins de connaître quelqu’un qui connaît quelqu’un, tout se fait au noir. »

Si elle a osé se confier à la tante de son copain, c’est parce qu’elle la savait très ouverte d’esprit, que son copain lui fait vraiment confiance.

« Je n’ai pas payé la pilule, c’est sa tante qui l’a payée et ne m’a pas dit combien c’était. Le médecin, c’était son ami donc j’y suis allée gratuitement. Mais sinon, je pense que c’est à peu près 40 euros ? Honnêtement je ne sais pas du tout. »

Il est très compliqué d’obtenir un ordre de grandeur fiable concernant le prix de la pilule abortive – ou celui des médicaments qui ont le même effet et qu’il est aussi possible de demander en pharmacie comme je le racontais dans l’article précédent.

« Au moment de prendre la pilule, je ne pouvais pas rester seule mais personne ne savait à mon sujet : ni ma sœur, ni ma mère. Mon copain n’était pas là, il était en voyage.

Je l’ai juste dit à ma meilleure amie et c’est chez elle que je l’ai fait, avec mon copain au téléphone tout du long.

Je ne savais pas à quoi m’attendre mais la notice dit que tu peux avoir la diarrhée, mal à l’estomac. J’avais encore 2 semaines de cours et j’avais une présentation à faire, j’étais un peu inquiète. Ça a été finalement. »

Elle estime que l’absence de difficultés particulières est sans doute liée au fait que son avortement a eu lieu quasiment immédiatement après le début de la grossesse, elle s’en est aperçue immédiatement.

Pour lutter contre l’avortement, l’éducation sexuelle reste l’arme n°1

Au final, elle n’a pas si mal vécu cet épisode de sa vie.

« Je ne pensais pas que ça m’arriverait un jour… Mais maintenant que c’est fait, on en rit. Je l’ai dit depuis à ma sœur et à quelques amies.

Pendant que je le faisais je ne voulais pas le dire, c’était « ni vu ni connu », mais finalement ma sœur a très bien réagi même si elle était inquiète que je ne lui en aie pas parlé sur le moment. »

J’ai quand même demandé à Amal si elle avait une contraception au moment où elle est tombée enceinte. Mais la société libanaise considérant que tu ne dois pas être active sexuellement avant ton mariage, l’éducation sexuelle y est relativement inexistante.

À lire aussi : L’avortement et la contraception au Sénégal racontés par 4 jeunes filles

Amal ne mentionne qu’une association qui ait fait de la prévention concernant les IST à la fac cette année. Avant ça on ne lui a jamais vraiment parlé contraception à l’école.

« J’avais planifié, je savais quand j’avais mes règles et je croyais que pendant 10 jours je pouvais le faire, mais apparemment non. Donc je n’avais pas de contraception et je n’en ai toujours pas. »

J’ai été surprise qu’elle n’ait pas trouvé de solution depuis.

« Je n’ai pas peur que ça arrive de nouveau, on fait vraiment attention, on utilise des préservatifs aussi parfois, mais pas toujours car ce n’est pas agréable. Et puis de toutes façons, même si c’est illégal je sais que je peux avorter.

J’aimerais bien avoir quand même une contraception dans le futur. J’ai pensé à aller voir un gynécologue mais pour l’instant j’ai peur que ma mère commence à poser des questions… Je voudrais lui faire comprendre que je veux y aller mais sans que ce soit lié à la sexualité, pour ne pas éveiller ses soupçons. »

Avortement, virginité : même tabou, même combat

Amal connaît d’autres gens à qui c’est arrivé. Elle parle d’une cousine, qui comme elle n’a osé en parler à personne sur le moment, si bien qu’elle a eu recours aux services d’un homme qui a pratiqué l’IVG dans des conditions sanitaires « douteuses ».

À lire aussi : Interdire l’IVG, c’est mettre la vie des femmes en danger, comme le confirme cette nouvelle étude

Comme quoi elle n’est pas une exception : il semble que pour l’IVG comme pour la virginité, la honte et le secret priment encore sur la réalité d’une société qui est entrain de changer.

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Les Commentaires

1
Avatar de Talabat-
9 juin 2018 à 05h06
Talabat-
Contenu spoiler caché.
1
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