Je n’écris pas ce témoignage pour beugler « Aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années » ni quoi que ce soit d’autre, tout d’abord parce que je ne pense pas qu’il y ait des gens « bien nés » ou « mal nés » — pas dans ce sens-là en tout cas. Ensuite parce que ces choix qui ont été les miens, la possibilité que j’ai d’avoir une vie différente de la plupart des gens de mon âge, me viennent avant tout de ma famille, de leur compréhension et de l’éducation qu’ils ont voulu me donner : papa et maman, coeur sur vous !
Mon rapport à ma scolarité
Je n’ai jamais été à l’aise avec ma scolarité. J’ai enduré la solitude et le mépris des autres dans mon petit collège de campagne, enfin vous connaissez la chanson. Je détestais y aller, je ne pouvais supporter la mentalité des autres et j’aimais les provoquer, ce qui n’améliorait pas ma situation. Quand je suis arrivée au lycée, j’ai eu la surprise de découvrir que les gens m’aimaient bien, que personne ne se moquait de moi. En plus, je plaisais aux garçons.
C’était une première. Je n’avais jamais eu de copain avant mon année de seconde. J’ai vécu une première relation complètement naïve avec un garçon complètement immature, et une première rupture. Bref, la vie, quoi.
Mon établissement était cool, c’était un lycée artistique qui me convenait. J’avais de très bonnes notes et je ne ressentais aucune difficulté : j’ai la chance d’avoir toujours eu beaucoup de facilités à l’école. Mais je ne m’y sentais pas bien du tout. Les gens ne comprenaient pas pourquoi : c’était mon choix d’être dans ce lycée, mon choix d’être interne (mes parents habitant assez loin), et pourtant je le vivais comme si tout cela m’avait été imposé…
Pendant toute ma scolarité, je me suis dit que le problème venait de moi, parce que, comme on me le répétait souvent : « Tu as de la chance d’être à l’école, profites-en, pense aux enfants qui doivent travailler ». On me répétait qu’aller au lycée, faire des études, c’était super important, que j’avais de la chance. Le personnel de mon lycée et de mon collège soutenait mordicus que ce système était génial et que de toute façon c’était « comme ça et pas autrement ».
Alors je me suis mise à penser que c’était moi le problème, que j’étais anormale ou que j’étais juste faible car les autres élèves avaient l’air de supporter leur scolarité.
Et puis un jour, je suis tombée sur cette vidéo :
Ça a été un déclic pour moi, j’ai enfin compris que ce n’était peut-être pas moi le problème. D’un coup, ma tristesse s’est transformée en rage. J’étais (et je suis toujours) très en colère contre le système scolaire français. Je le trouve culpabilisant, rigide, inhumain.
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Après ma prise de conscience tardive, j’ai décidé que ça ne pouvait pas continuer comme ça. Ce qui s’est passé par la suite n’aurait jamais pu arriver sans l’arrivée impromptue d’une personne maintenant très importante pour moi…
Ma première vraie relation
Je sortais avec un garçon à cette époque — appelons-le George. George faisait partie d’un groupe de musique, d’une bande d’amis très soudée. À cette époque, j’allais à mes premières soirées, je découvrais la ville, l’alcool et la fumette. Je ne dis pas que découvrir tout ça à 15 est une bonne chose, ou un passage obligé, mais c’est ce qui s’est passé pour moi.
George me présenta donc à sa bande, et c’est au cours d’une soirée musicale que j’ai rencontré cet autre garçon — appelons-le Fredo.
Fredo avait quatre ans de plus que moi, un corps d’athlète et ressemblait beaucoup trop au brun ténébreux des séries américaines pour être accessible. Vraiment. En plus, il était le moins timide de ses amis, ne jouait pas de la musique et écrivait des poèmes. C’était l’électron libre du groupe. Et il plaisait beaucoup aux filles.
J’ai parlé avec lui toute la soirée, principalement de littérature, ma passion. Il faisait des études de lettres. Après cette soirée, je ne l’ai plus revu durant des mois. Il restait une image éloignée, quelqu’un d’inaccessible. Je pensais souvent à lui.
Après ma rupture avec George (d’un commun accord), j’ai décidé de tenter le coup, de me rapprocher de lui. Ça a marché, et j’ai fini par sortir avec lui, coucher avec lui. Il est tombé amoureux de moi. C’était la première fois que ça lui arrivait. Ça ressemble à un mauvais scénario hollywoodien, à l’histoire éculée du bad boy qui tombe amoureux !
C’était à la fin de mon année de seconde, et après avoir passé un été avec lui je me voyais mal retourner en internat et ne le voir qu’une fois toutes les deux semaines. Nous avons décidé ensemble de trouver un moyen pour que je puisse habiter en ville avec lui. Rien de tout cela n’aurait été possible sans ma famille.
Mes parents
J’ai une famille très « cool ». Enfin, c’est ce que pensent mes amis. Pour moi elle est bien plus que « cool ». Je n’ai pas des parents laxistes, qui me laissent faire ce que je veux juste parce qu’ils ne savent pas comment faire autrement ou parce qu’ils manquent d’autorité. Mes parents ont une démarche très réfléchie quant à la façon dont ils m’ont éduquée.
Mon père et ma mère sont divorcés et tous deux ouvriers viticoles. Mon père n’a pas son bac. Pourtant, chez moi il y a une énorme bibliothèque garnie de Groddeck, Hegel, Proust, Marx et mon petit favori, Wilhelm Reich !
Mes parents ne gagnent pas beaucoup d’argent, rien de plus que le SMIC. Et pourtant ils donnent beaucoup. J’adore être chez eux, l’ambiance y est vraiment bonne et je rigole et partage beaucoup avec eux. Le seul point négatif est qu’ils habitent à la campagne et que moi, j’ai besoin de grande ville, de mouvement et de pollution.
Quand j’ai émis l’envie d’aller vivre avec Fredo, ils n’ont pas protesté. Ils m’ont dit qu’ils m’aideraient et que tant que j’étais heureuse, tout allait bien.
Nous avons habité dans plusieurs endroits avec Fredo, squattant chez des amis, faute d’avoir assez d’argent pour payer un appartement. Je continuais d’aller au lycée à côté mais malgré ma vie en autonomie avec mon copain, j’étais malheureuse. C’est à ce moment que j’ai choisi de suivre des cours par correspondance.
L’emménagement
Au début, ça m’a fait bizarre. Je me retrouvais dans la maison de la grand-mère de Fredo qui nous la prêtait puisqu’elle n’y vivait pas. Une baraque complètement inconnue avec de nouveaux repères et surtout, sans la présence rassurante de mes parents. Je dois avouer que les premiers mois, je les ai souvent appelés et j’ai fait pas mal de crises d’angoisse.
Après quelques temps, ayant peur de déranger la grand-mère de Fredo, nous avons décidé d’emménager chez un ami qui voulait bien nous héberger.
Là-bas, ce fut magique. Nous nous entendions très bien. De peur d’importuner cet ami, nous avons déménagé chez un autre pote avant d’enfin emménager dans une chambre chez l’habitant payée et aménagée par nous-mêmes après un an de vie nomade ! La joie !
Le CNED, les cours par correspondance
Le CNED a été une échappatoire. Une porte de sortie. Au début, mes parents ne voulaient pas, ils avaient des a priori vis-à-vis des cours par correspondance. J’ai réussi à les convaincre. Tout le monde était persuadé que je n’y arriverais pas… Pourtant j’ai fini mon année de première, et j’ai eu de bons résultats au bac avec 14 de moyenne !
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Je vois maintenant le système scolaire différemment ;
je suis fière d’avoir ce recul, cette opinion critique que d’autres n’ont pas et je me réjouis de les aider à eux aussi prendre conscience des défauts et des avantages du système scolaire français. Je pense qu’il ne faut pas tout rejeter en bloc, et j’envie les élèves qui se sentent bien dans leur lycée. Mais je pense aussi qu’il faut savoir critiquer le milieu dans lequel on évolue pour par la suite le rendre meilleur.
Le regard des autres
La plupart du temps, quand j’explique mon parcours aux gens que je rencontre, leur première réaction est de s’exclamer que je suis « Super indépendante ! », ce qui semble être positif dans leur bouche.
Puis ils réfléchissent un peu et commencent à poser des questions. Les gens plus âgés que moi ont parfois tendance à me faire la morale. La plupart du temps, on me dit qu’il est peut-être trop tôt pour m’engager d’une telle façon dans une relation sérieuse comme celle-ci. Parfois ils pensent que c’est de l’inconscience.
Je ne suis pas folle, vous savez…
Je leur réponds en général que je préfère vivre à fond mes choix, quitte à avoir mal, plutôt que de ne rien faire par peur de me rater pour le regretter toute ma vie. J’explique que la maturité d’une personne ne se calcule pas en fonction de son âge. Je pense qu’on peut être mature de plusieurs façons et que beaucoup d’adultes sont moins mûrs que certains enfants. Après, je peux comprendre que ma situation soit choquante, voire énervante pour certains adultes qui n’ont pas eu la possibilité d’avoir une jeunesse aussi libre.
Et après ?
Je viens d’entamer mon année de terminale par correspondance. Nous avons un lieu de vie stable avec notre chambre chez l’habitant. Financièrement, nous nous débrouillons avec mes bourses et l’argent qu’il rapporte de petits boulots. Pour le loyer, ce sont mes parents et les siens qui nous soutiennent en attendant que Fredo entre en alternance dans son école de journalisme !
Fredo et moi sommes ensemble depuis un an et demi. En témoignant, je voulais montrer que peu importe notre âge, nous avons tous le pouvoir de choisir notre vie. Même en faisant des trucs fous, incertains, même en se jetant dans le vide. On a tous le choix.
En ce qui me concerne, je continue le théâtre que je pratique depuis quelques temps, et je compte entrer dans une école spécialisée de Montpellier après ma terminale. J’espère pouvoir en faire mon métier. À côté je pose pour beaucoup de photographes, et peut-être bientôt pour un catalogue de chaussures assez connues — peut-être que la photo me permettra plus tard de gagner un peu d’argent, qui sait ?
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Les Commentaires
Désolée de réagir là-dessus avec trois plombes de retard (j'avais pas remarqué ces articles), mais ça m'intéresse de réagir là-dessus précisément!
Mes parents m'ont toujours dit qu'ils seraient derrière moi pour ce que j'entreprendrais, que ce qui comptait le plus c'était mon bonheur et qu'ils étaient prêts à se serrer la ceinture si j'en avais besoin. Je n'ai jamais eu à me poser des questions d'argent avant de quitter le foyer familial à 18 ans. Je pense qu'ils tiendraient à peu près le même discours que toi.
En fait, je pense très sincèrement que c'est exactement la raison pour laquelle je culpabilise à l'idée de "profiter" d'eux. Je comprends que c'est leur rôle de parents de me soutenir, et j'ai accepté de me faire entretenir financièrement pendant un bon moment par eux (ça m'arrangeait pas mal, parce que je préférais de loin me concentrer sur mes études que prendre un job étudiant). Ceci dit, ça ne m'empêchait pas de culpabiliser, parce qu'à coté de ça, je savais qu'ils avaient des problèmes financiers (et l'an dernier, des problèmes de santé pour ma mère par dessus le marché), et être aujourd'hui indépendante financièrement est un gros poids en moins de mes épaules parce que ça veut dire qu'ils peuvent se concentrer sur leur vie à eux, et ils le méritent après avoir été aussi généreux avec moi.
Après, je ne dis pas que c'est "bien" de culpabiliser (au contraire). Et puis on est toujours dépendant financièrement de quelqu'un à tout âge (je dépends de l'Education Nationale, d'autres de leur employeur, d'autres du succès/de la clientèle de leur entreprise, etc.); en ce qui concerne l'argent, hors réseau illégal, rien ne se perd, rien ne se crée, tout s'échange Mais on peut avoir ce sentiment et cette volonté de préférer alléger la charge qui pèse sur nos parents vu le rapport affectif qui nous lie à eux (surtout quand on les estime comme j'estime mes parents).