Chaque année, chez les mags féminins et féministes, c’est un peu la même rengaine. On se creuse la tête pour trouver des angles frais et raconter des choses sur l’évolution des droits des femmes. Sur une certaine époque où l’égalité femmes-hommes est devenu un concept mainstream, répandu aussi bien dans les carousel Instagram et que dans nos rêves politiques à l’horizon sans cesse repoussé.
Mais que dire le 8 mars qui ne soit pas dit les autres jours de l’année ?
Assurément, vous aussi, à l’arrivée de ce jour fatidique, votre boîte mail se remplit de promotions toutes plus rocambolesques les unes que les autres. Vous aussi, on vous a proposé une ristourne sur un bouquet de fleurs, deux sextoys pour le prix d’un, ou d’écouter l’interview « inspirante » d’une chef d’entreprise du CAC 40 ? C’est le côté « toutes les fâmes de ta vie » du 8 mars, une conception hautement dépolitisée et fortement commercialisée de l’événement. Une célébration ravagée du cerveau par le capitalisme qui, comme à son habitude, éviscère un concept progressiste et révolutionnaire pour se revêtir de ses oripeaux et nous le revendre version rébellion aseptisée.
Année après année, le doute au sujet du 8 mars renaît : quelle est la portée véritable de cette journée qui tend dangereusement à la dépolitisation ? Empiler les portraits de femmes entrepreneuses ou d’initiatives commerciales représente-t-il vraiment le meilleur usage de notre temps ? Et du côté des journalistes, effectuer une couverture médiatique spécifique, comme s’il fallait désespérément ne pas louper le coche importantissime du 8 mars est-il vraiment incontournable ? Tout cela ne commencerait-il pas à devenir un peu rance ?
Le 8 mars a perdu son sens
Car c’est qu’il est difficile d’être féministe en l’an de grâce 2022. Au crépuscule du quinquennat Macron, les espoirs sont aussi mouillés qu’un chat sous une averse : bye bye le rêve d’un ministère plein de l’Égalité femmes-hommes, bonjour les textos lubriques de Gérald Darmanin. Le féminisme washing, ces belles déclarations des entreprises et politiques, riches en vocabulaire et pauvres en investissements financiers et humains réels, a fait florès. Le 8 mars, censé être une journée politique de mise en avant des thématiques féministes, a logiquement perdu de son sens. Qui essaie-t-on d’impressionner ? Et surtout, se réveille-t-on le 9 mars avec les mêmes belles intentions ?
M., journaliste chez Madmoizelle, confirme nos suspicions :
« J’ai l’impression que le 8 mars, c’est en train de devenir la Saint-Valentin des pro-fem. En vrai, c’est un peu une provoc, mais sur le côté récupération marketing, on le voit vraiment : le féminisme est bankable, donc le 8 mars est juste une occasion de le marketer et de nous vendre des trucs ou de voir des mecs nous souhaiter bonne fête. Ou pire : nous offrir des fleurs. »
Le 8 mars serait donc une occasion éphémère pour les mecs de se sentir féministes, le temps d’un partage sur les réseaux sociaux, avant de repartir fièrement après cette tape donnée dans le dos des gonzesses. Révolutionnaire, on vous dit.
Pourtant, l’année dernière à la même époque, on avait la niaque. Madmoizelle s’était alors répandu en articles autour des initiatives féministes ; on avait parlé lesbianisme politique et victoires féministes. On n’avait pas réalisé de portrait de femmes entrepreneures championnes du capitalisme (alias les girlboss), malgré les demandes par dizaines dans nos mails, mais on s’était donné du mal pour réaliser un beau dossier, riche en nuances sur le féminisme.
Et finalement, ce qui a fait le plus parler, ce qui a volé la vedette aux féministes engagées, ça a bel et bien été la lettre d’un violeur en une d’un quotidien national. Il faut croire que même le 8 mars, nos instincts nous poussent au clickbait plutôt qu’au clic vertueux, car moi aussi, j’ai lu et je me suis indignée. Quoi qu’il en soit, vous comprendrez notre fatigue.
La journée de la flemme
Visiblement, nous ne sommes pas seules dans ce que j’appellerais l’impasse du 8 mars, puisque Sandrine Goeyvaerts, autrice de Manifeste pour un vin inclusif, a décidé de lancer cette année un hashtag qui fait écho à nos turpitudes, celui de la #journeedelafLemme. Elle détaille ainsi son initiative :
Le huit mars, je vais exercer mon droit le plus strict et le plus fondamental : me taire. Parce que je suis usée de fournir du travail gratuit à l’année. Parce qu’un seul jour ne suffit pas à régler les inégalités et au mieux sert d’alibi pour rien foutre à partir du 9 mars. Parce que d’autres ont des choses à dire qu’on n’entend pas. Parce qu’il est temps qu’on s’interroge de façon un peu plus profonde sur la visibilisation de certains combats et le passage sous le radar complet d’autres. Je compte les partager sur mes réseaux ce jour-là accompagnés du hashtag #journeedelafLemme et relayer le plus possible de comptes militants moins visibles: ceux des TDS [travailleuses du sexe, ndlr], femmes racisées, trans, handies, grosses, voilées…
Sandrine Goeyvaerts a senti le vent tourner, et nous aussi. Et si on arrêtait deux secondes de faire porter aux féministes le poids de la promotion de leurs activités militantes ? Parce qu’en plus de défendre la cause, d’aller en manif sous la pluie, de se prendre les insultes des Jean-Mi sur les réseaux sociaux, il faut aussi se transformer en promoteur officiel de la cause, chocolats et fleurs à la clé. Ne me jetez pas la pierre : comme je l’ai dit, j’y ai cru un moment. Moi aussi, j’ai posté et instagrammé et accepté d’animer des conférences. Qu’on ne m’y reprenne plus !
Le 8 mars, en vrai, ça change quoi ?
À qui profite cette journée internationale des droits des femmes ? Parce que non, Clara Zetkin, le femme politique marxiste allemande à l’origine du 8 mars et féministe acharnée, ne s’est pas battue pour qu’on nous offre un aspirateur en soldes en plein XXIe siècle ou qu’on idéalise les girlboss.
Pourtant, un espoir pointe : cette année, plusieurs organismes regroupés dans le mouvement Grève Féministe ont appelé à une manifestation d’ampleur à travers tout le pays contre les inégalités sexistes.
Avec la crise sanitaire, les femmes sont toujours en première ligne, mal payées, majoritaires dans des métiers essentiels (soins, santé, services publics). Nous sommes touchées de plein fouet par la précarité, les bas salaires et le temps partiel subi. […] Faisons converger ces luttes le 8 mars pour imposer des revalorisations salariales, des emplois stables et durables et des perspectives de carrière ambitieuses !
En voilà un programme intéressant !
Foutre le bordel dans la rue, ça a quand même plus de chien que d’acheter un tee-shirt à message en solde à -20%.
À lire aussi : Clara Zetkin, l’héroïne oubliée qui nous a offert la journée du 8 mars
Ajoutez Madmoizelle à vos favoris sur Google News pour ne rater aucun de nos articles !
Les Commentaires